Christian Castagna est aujourd’hui responsable de plaidoyer au sein de l’association « Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre ! » où il pilote le groupe de travail dédié à la spoliation du patrimoine culturel ukrainien. Il connaît bien l’Europe centrale et orientale depuis le début des années 1980 : il y a vécu la sortie du communisme, puis la façon dont ces états, aujourd’hui, se reconstruisent, soit dans le choix du modèle démocratique porté par l’Union européenne, soir dans le choix de différentes formes de modèles autoritaires pouvant conduire au conflit intérieur et/ou extérieur… C’est ce parcours qui a conduit Christian dernièrement en Ukraine et qui l’a amené à s’impliquer aux côtés de nombreuses organisations de la société civile.
– Vous connaissez bien l’Ukraine, mais aussi les Balkans, la Pologne, la Bulgarie… Comment expliquez-vous pourquoi l’Europe, et la France en particulier, font un certain déni sur la vraie nature de l’état russe ? Pourtant, les objectifs du Kremlin ont peu changé depuis les décennies : dominer, envahir, faire expansion par tous les moyens…
– Les milieux intellectuels français continuent de regarder l’Europe Centrale et Orientale à travers un prisme russe. J’ai réalisé mes premiers voyages en Ukraine au début des années 2000. Je travaillais alors avec des entreprises françaises impliquées sur la réalisation du sarcophage devant sécuriser le site nucléaire de Tchernobyl. A l’époque, j’étais basé en Pologne et j’avais beaucoup de clients français qui avaient des sous-traitants polonais. J’étais consultant et j’accompagnais certaines entreprises qui souhaitaient développer aussi leurs activités en Russie ou en Ukraine. Et je pouvais déjà alors constater déjà que c’était vraiment des mondes différents en termes de pratiques commerciales…
De 2011 à 2023, j’ai travaillé au Sénat comme collaborateur parlementaire auprès d’un sénateur connaissant bien l’Ukraine et y voyageant régulièrement. Nous avons suivi ensemble ce qui s’est passé lors du Maïdan. Et en février 2022. Il s’était rendu en Ukraine entre le voyage du Président Macron et le début de la guerre totale.
Quand il était revenu d’Ukraine, il m’a dit : « Écoute Christian, tout ce que tu m’as raconté au sujet de l’armée russe se préparant à attaquer, c’est de la propagande américaine ». Je lui répondis : « Non, ce n’est pas de la propagande américaine, mais des informations américaines basées sur des images provenant de sources ouvertes ». Ainsi, quand les Russes filment au fond de leur jardin des trains qui transportent des chars vers la Biélorussie, les Américains partagent ce que mettent les Russes sur les réseaux sociaux pour confirmer le contenu des informations confidentielles dont ils disposent. Simplement, on n’arrivait pas à comprendre ça…
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Juste avant, en janvier 2022, j’avais été contacté par des ONG me demandant si j’étais prêt à me rendre à la frontière polonaise pour accueillir des réfugiés ukrainiens. Comme j’avais déjà travaillé auprès d’organisations internationales sur les crises de réfugiés, notamment dans les Balkans, j’avais demandé plus de détails : on me répondit dit qu’il s’agissait, selon leurs prévisions, d’accueillir 5 à 8 millions de personnes en 15 jours. Ainsi, dans un certain nombre d’organisations, on était bien en train d’appréhender et d’anticiper ce qui se passerait quelques semaines plus tard ! Mais si voir les faits est une chose, les comprendre en sont une autre …
– Mais pourquoi même les gens bien informés ne voient pas des évidences ? C’est le manque de courage peut-être ?
– Je fréquente le monde politique depuis la fin des années 1980. Je vois comment nous avions favorablement réagi au début des années 1990 quand une nouvelle élite politique s’était mise en place dans les pays d’Europe de l’Est. Nous discutions avec elles, nous les prenions au sérieux, nous les aidions dans les transitions. Aujourd’hui, nous n’avons plus cette culture. Nous sommes tombés dans une culture où jour après jour, heure après heure, nous nous rendons compte que le droit international est en train de tomber. Nous nous rendons compte que ce n’est plus la fin de l’URSS, ni même la fin de la Seconde guerre mondiale avec l’émergence d’un ordre mondial basé sur des nouvelles normes de droit international. Aujourd’hui, nous en revenons au monde d’avant la Première guerre mondiale : l’Europe des Empires !
Et quand vous essayez de rapporter ces éléments d’histoire à des personnes qui sont dans l’instant présent, qui sont dans le commentaire de l’information au jour le jour, elles n’arrivent plus à suivre. Et donc, soit vous êtes effectivement dans l’actualité et vous vous perdez dans l’analyse de l’actualité, soit à un moment donné, vous devez essayer de prendre le recul et de comprendre les choses.
Par exemple, Poutine. Quand nous analysons son discours à la Conférence de la Sécurité de Munich en 20071, quand nous reprenons son article publié sur le site du Kremlin en juillet 20212, il dit bien à chaque fois : « Les Russes et les Ukrainiens, nous sommes un seul peuple ». Il s’agit bien là d’une preuve de préméditation !
– Et personne n’a voulu prendre cette préméditation au sérieux… Ni en 2007, à la veille de l’agression contre la Géorgie, ni en 2021… Les dirigeants occidentaux et les russologues répétaient une sorte de mantra : « Les Russes ne sont pas tous comme Poutine, c’est un gentil peuple »…
– Quand je montre la photo d’un véhicule blindé de l’armée russe avec les manifestants ukrainiens dessus, prise en 2022 lors de la chute de Kherson3 et quand je dis : « 2 jours après, il y avait 400 ukrainiens arrêtés », les gens se taisent ; un moment de silence s’installe. J’insiste : « Ça prouve la mise en place de l’état policier, de l’état répressif ». Mais les gens ne se rappellent plus de ça.
Quand les troupes russes entrent dans Kherson, elles avaient déjà le listing des personnes de confiance -c’était déjà prémédité, c’était comme s’il y avait des croix blanches sur les bonnes portes-. C’est pour ça qu’il faut prendre le temps de raconter les choses, parce que c’est en les racontant que nous arrivons à ébranler les gens qui ne veulent pas y croire.
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A la fin des années 1980, j’étais étudiant à la Sorbonne, où je suivais notamment des cours d’économie centralement planifiée. Je me rendais alors souvent en Pologne au côté de Solidarnosc. A mes retours de voyage, J’expliquais à mes profs : « Je reviens de Pologne, ça ne marche pas ». Et ils me répondaient : « Non Christian, tu ne mesures pas la portée de la planification socialiste… » Ça devenait totalement schizophrène : Je me rendais à la fac pour suivre des cours qui ne marchaient pas.
Et donc parfois des intellectuels sont tellement convaincus de connaître les choses qu’en fait ils ne les voient pas telles qu’elles sont.
En 1985, alors que j’habitais dans une ville de la banlieue parisienne où le maire était le secrétaire particulier de Georges Marchais [le dirigeant du PC français], celui-ci qui souhaitait me faire adhérer au PCF m’a proposé de partir en Bulgarie dans le cadre d’un voyage de jumelage. Alors que nous étions sur la route en Bulgarie, nous pouvions voir des ponts sans route à leurs bouts. Et quand nous nous s’arrêtions dans des bars pour une pause, nous faisions face dans les toilettes à des kilomètres de tuyaux de cuivre, alors qu’il suffisait d’un tuyau droit. Voyant ma surprise à chacun de ces constats, le commissaire politique local qui nous accompagnait me dit alors : « Les routes arrivant aux ponts sont prévues dans le prochain plan quinquennal. Les kilomètres de tuyaux, c’est parce que le plan quinquennal prévoit la fourniture de tant de kilos de tuyaux ». Et ce fut comme cela durant tout le séjour ! Au retour dans l’avion, mon maire se rendit bien compte qu’il ne m’avait pas convaincu de rejoindre le PCF. Il me dit alors : « Écoute Christian, ce que tu as vu, tu ne le racontes pas aux camarades. Parce qu’ils perdront la foi ».
– Depuis le discours de Macron sur le danger russe et la sécurité européenne, les débats sont vifs en France. Faut-il dépenser plus pour l’industrie militaire ? Faut-il s’engager davantage de coté de l’Ukraine ? Les gens ont l’air de découvrir que le monde change à toute vitesse et paraissent surpris, désemparés … Les Français sont-ils en train de devenir plus matures ?
– J’ai eu une discussion à la fin de 2022 avec un parlementaire sur le risque d’un conflit entre la France et la Russie : il m’a alors répondu que nous n’avions pas de frontière avec la Russie et que donc il n’y avait rien à craindre… Comme si le tir d’un missile russe s’arrêtait aux frontières ! il lui faut moins de 10 minutes pour frapper la France…
Aujourd’hui, l’armée française dispose d’un peu plus de 200.000 soldats actifs : combien pourrions-nous en déployer en Ukraine pour sécuriser une frontière, une ligne de partage de plusieurs centaines de kilomètres, étant entendu que nous devrons assurer un remplacement des troupes tous les 3 mois, maintenir des effectifs dans certains des états voisins (en Roumanie, dans les pays baltes…). Sans oublier la sécurisation du territoire national ! La réalité est qu’aujourd’hui, nous ne pourrions pas tenir un conflit plus de 15 jours, parce que nous avons fait le choix de l’arme nucléaire. Mais serions-nous prêts à l’utiliser contre la Russie ? Et combien de temps nous-faudrait-il pour accepter de protéger par ce parapluie les états européens ?
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Par ailleurs, aujourd’hui les attaques cyber ne dépendent pas de frontières. Et nous sommes déjà dans une cyber guerre depuis un moment !
Le souci aujourd’hui, c’est que la réflexion politique ne se fait plus par rapport à des interactions avec la société civile ou par rapport à des vecteurs de terrain, elle se fait souvent par rapport à des éléments produits par des think tanks. Mais le think tank, il n’est pas là pour parler du terrain, il répond le plus souvent à des questionnements des vecteurs d’opinion. Donc si ceux-ci ont une lecture biaisée du terrain…
Avant, les diplomates se chargeaient de cette remontée d’informations de terrain. Aujourd’hui, ces personnes censées être les capteurs de ces situations, se sentent dévalorisées car elles sont conscientes de ne plus être écoutées.
– Qu’est-ce qu’on peut faire maintenant et qu’est-ce qu’il faut faire ?
– La bonne nouvelle, c’est que maintenant l’Europe doit s’affirmer. Mais la mauvaise nouvelle, c’est que s’affirmer à 27, c’est compliqué. Donc, est-ce que l’Europe peut déjà avancer à 5 ou 6 pour disposer d’une groupe leader que les autres suivront ou ne suivront pas ? Est-ce que la Grande-Bretagne va se réunifier avec nous ? Est-ce que nous sommes de construire une relation solide entre français, britanniques, allemands, italiens et polonais ? Nous verrons bien. Mais nous devrons voir vite…
– Supposons qu’on a une défense européenne réunissant quelques états. Si demain Marine Le Pen est présidente de la République ce qui peut arriver, elle risque de tout casser, comme le fait Trump aux États-Unis…
Aujourd’hui, la première chose à faire, c’est de ne plus avoir de tabou par rapport à aucun scénario, même celui qui semble le plus improbable. Il faut réfléchir à tous ces scénarios même les plus fous.
– Les décompositions de la Russie, est-ce que c’est un scénario, d’après vous ?
– Hélène Carrère d’Encausse avait prévu la décomposition de l’URSS, mais dans le mauvais sens : elle avait pensé qu’elle viendrait de l’Asie centrale et non des états baltes. Et pourtant c’était une russologue avertie. Ce n’est pas parce que vous êtes reconnu comme expert que votre expertise doit vous donner une parole de confiance.
Comme Poutine n’a pas imposé la conscription dans les grandes villes, il n’a pas aujourd’hui les élites urbaines contre lui. Mais toute modeste manifestation d’une opposition des élites intellectuelles nous rassure parce que nous souhaitons croire que la société civile réagit. Cela permet à Poutine de ne pas avoir de véritable opposition structurée comme cela aurait pu arriver à la fin des années 2000. De toute façon il s’appuie sur les campagnes pour avoir ses conscrits pour faire la guerre. Il y a un tel agencement des rapports de force dans la société russe qui fait qu’il n’est pas menacé.
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– Avez-vous l’espoir que les crimes des guerre commis par l’armée russe seront jugés un jour ?
– En 2015, j’ai suivi les travaux de Memorial sur les crimes de guerre commis en Tchétchénie. Et Memorial commençait alors des enquêtes sur les crimes de guerre commis par les forces russes en Ukraine : les bataillons et les personnes étaient identifiés. C’était à peu près les mêmes forces militaires qui étaient engagées sur ces deux fronts.
Et quand, par la suite, je me suis intéressé à la nature de la présence russe en Syrie, je me suis rendu compte que c’était souvent les forces qui étaient auparavant en opération en Tchétchénie, au Donbass ou en Crimée. Nous nous rendons compte qu’en fait, les bombardements de la maternité ou du théâtre de Marioupol répètent exactement les mêmes pratiques constatées en Syrie. Si demain nous avons le courage de lancer les mandats d’arrêt contre ces militaires, leur CV ne se limitant pas aux crimes commis l’Ukraine, il sera possible d’exercer un droit de suite pour les crimes commis ailleurs…
Tous les matins, nous voyons sur les chaines d’information des reportages sur des bombardements de la nuit en Ukraine. À un moment donné, ça serait bien de dire que les missiles qui tombent sur ces villes sont envoyés par des avions qui décollent depuis 3 ans des 4 ou 5 mêmes bases aériennes russes. Plutôt que de parler du but, parler du départ. Et si vous rappelez le fait que depuis 3 ans, ces avions décollent de ces 4 ou 5 mêmes bases, nous ne sommes plus dans l’ordre du crime de guerre, mais dans l’ordre du crime contre l’humanité, parce que nous sommes dans la préméditation et la répétition.
C’est bien cette démarche délibérée dont nous sommes les témoins et les Ukrainiens les victimes depuis 3 ans.
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Сe qui m’a alerté, c’était le procès sur MH17. La juridiction néerlandaise avait comme accusés des hommes de la République de Donetsk1, mais elle n’a jamais eu les éléments de preuve permettant d’impliquer directement Moscou dans ce drame. Pour des raisons X ou Y, on ne voulait pas entraîner la responsabilité de Moscou dans la destruction de cet avion…
Un autre exemple, le site de Chersonèse en Crimée, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. En 2015, nous disposons des photos satellites montrant l’arrivée des forces russes sur ce site archéologique. De 2015 jusqu’à l’année dernière, nous avons toutes les photos satellites prouvant le démantèlement de ce site pour finalement aboutir l’année dernière à l’inauguration d’un site muséal2 dont l’une des annexes est à la gloire de la Novorossiya… Donc, nous pouvons prouver de 2015 à 2024 le démantèlement d’un site archéologique inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO ! C’est un crime contre l’humanité. Nous disposons de toutes les preuves mais à cet instant quelle juridiction est saisie de cette situation ? Qui même, dans l’opinion publique française, est consciente d’une telle dénaturation d’un site de l’UNESCO ?
– Pourquoi, à votre avis ?
– Par manque d’intérêt ? Il y a 2 ou 3 mois, nous avions une communication sur un réseau social d’une société partenaire de Gazprom. Tout le conseil d’administration de cette société s’exposait devant des icônes « rapatriées » de Kherson avec des responsables du ministère russe de la culture… La preuve d’une spoliation d’œuvres d’art ! Et vous avez tout le narratif russe accompagnant ces photos : « face à la guerre provoquée par les Ukrainiens, nous avons mis ces biens à l’abri ».
Quand j’ai commencé à m’intéresser au sujet de la spoliation, j’ai d’abord discuté avec l’UNESCO, pour avoir un point de vue objectif. Les personnes avec lesquelles j’ai échangé me confièrent alors : « Nous sommes très embêtés. Comme la Russie est membre de l’organisation, nous pouvons travailler sur des procédure de restitution d’œuvres d’art entre Russes et Ukrainiens, si la partie ukrainienne dispose de titres de propriété. Avant 1991, ce n’est pas possible ou c’est très compliqué. Et depuis 2022, de façon automatique, quand les Russes volent des œuvres d’art, ils détruisent les inventaires et les catalogues. Pour les Ukrainiens, il faut donc retracer la propriété des biens et la procédure part alors quasiment de rien ». C’est le premier constat .
Ensuite, Florence Hartman a conduit au sein du groupe de travail que je pilote au sein de « Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre ! » un travail méticuleux sur la recherche des textes de loi ayant été votés par la Douma pour mettre en œuvre les spoliations : c’est vraiment la planification soviétique au plus haut degré.
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Et quand nous avons commencé à discuter ce travail avec nos partenaires ukrainiens, nous avons alors pris la mesure de la situation d’urgence dans laquelle ils sont : le plus souvent, ils partent dans leurs enquêtes du crime commis sur leur sol. Ils mènent les investigations pour retrouver les acteurs qui ont commis le vol ou retrouver les pièces détachées du missile qui a tapé tel musée : le point de départ de l’enquête est le plus souvent constitué par le vol ou la destruction. Souvent ils n’ont pas la perception de la préméditation de crime, même s’ils ont vu le FSB ou des administrateurs civils venant faire l’inventaire des musées. Nous étions vraiment dans des démarches qui étaient complémentaires.
Donc là où eux sont en train d’instruire le crime qui s’est produit, nous menions la recherche sur la préméditation du crime. Même si le génocide culturel n’existe pas dans le droit international, si la partie ukrainienne veut instruire le crime de génocide au niveau de la Cour pénale internationale, nous avons des éléments qui contribuent à prouver que ce qui se passe au niveau de la culture peut nourrir le crime de génocide, par la destruction du patrimoine culturel ukrainien ou de la culture ukrainienne.
– Est-ce qu’on arrivera à résister aux russes, renforcés par Trump ?
– Ce serait tentant de croire que si pendant 2 ans ou 3 ans, nous faisons la paix avec Poutine, il arrête la guerre. Mais non. Pour une raison toute simple : comme il est en économie de guerre, au contraire, il sera obligé de la continuer. C’est 50 % de l’économie russe qui est en économie de guerre ! Ces gens-là, du jour au lendemain, Poutine ne peuvent pas les mettre à la rue et leur dire d’arrêter de travailler.
Aujourd’hui, ce qui est difficile, c’est de croire à la parole des Américains. Ainsi, Elon Musk est en train de détruire tous les appareils de sécurité. Quel gage de garantie pouvons-nous alors imaginer ? Aujourd’hui, nous sommes au seuil de l’irréversibilité dans ce qui se passe dans les oblasts occupés. Je n’aime pas avoir cet argument de réalité mais dans 5, 10, 15 ans, sera-t-il possible de récupérer des territoires qui auront été totalement russifiés avec des populations n’ayant plus de culture ukrainienne ? Ce sera compliqué.
Apaiser l’agresseur, c’est la technique de 1938. Et en France, nous n’avons plus la mémoire de la guerre. Et plus nous disposons d’informations, plus il semble difficile de faire la part des choses et de les comprendre : nous nous perdons, nous ne prenons plus la mesure. Quand je dis aujourd’hui, qu’en Ukraine, il y a 350000 personnes amputés, pour toute leur vie, donc, c’est une charge pour la société pour 2 ou 3 générations, les gens ont du mal à imaginer une telle situation.
Je suis admiratif des Ukrainiens. Quand je vois la production des films documentaires, quand je constate la résilience des Ukrainiens face au quotidien de la guerre : je n’ai jamais vu ça. Ici, les gens ne peuvent imaginer que les gamins vont faire leurs devoirs dans des bunkers !
Si effectivement le Conseil de l’Europe installe un tribunal pour crime d’agression, ce sera une réelle avancée, parce que, à un moment donné, nous n’avons pas de leçons à donner aux pays du Sud. Nous avons des crimes qui sont commis sur le territoire européen. Si demain la Cour pénale internationale ne fonctionne plus, il faut que des juridictions européennes soient capables de s’occuper des crimes commis par des Européens. Et c’est par la suite plus facile pour argumenter sur la nécessité d’un droit international car nous l’avons au préalable appliqué à nous-mêmes. Nous avons des conventions qui existent au niveau européen. Il s’agit de les respecter, c’est tout : c’est par exemple le cas de la convention de Nicosie1, récemment adoptée par la Rada ukrainienne…