Lera Bourlakova attachée de presse du bureau ukrainien d'Amnesty International

Les profs ukrainiens sous occupation : persécutés, brutalisés, battus

Culture
5 octobre 2024, 17:02

Dans les zones occupées par les Russes, les enseignants ukrainiens sont victimes de persécutions et de violences.

Dans un premier temps, les occupants sont venus chercher les militaires, les officiers de police et d’autres employés. Puis ce fut le tour des fonctionnaires, des leaders civiques, des activistes et des militants qui exprimaient des opinions pro-ukrainiennes. Ces personnes ont été détenues, enlevées, torturées et emprisonnées. Il y a également eu des cas d’exécutions extrajudiciaires pour intimider les autres et s’assurer de leur loyauté et de leur obéissance.

Vint ensuite le tour des enseignants, et ce sont surtout les enseignants ukrainiens qui intéressent particulièrement les occupants. Dans tous les territoires temporairement occupés, la stratégie était la même : rouvrir les écoles en faisant revenir l’ancien personnel enseignant. Et commencer à enseigner aux enfants selon le programme russe pour les endoctriner et détruire l’identité ukrainienne. Les envahisseurs ont cherché et brûlé les symboles de l’État ukrainien, les cartes, les livres et les manuels, tant dans les écoles qu’au domicile des enseignants.

Ces derniers ressentaient souvent le besoin de cacher leur identité professionnelle. « J’avais très peur qu’ils (les soldats russes – ndlr) découvrent que j’étais enseignante. J’ai expliqué à mes enfants qu’ils devaient dire à toute personne qui le leur demanderait que j’étais femme de ménage à l’école », raconte Svitlana, enseignante dans la région de Mykolaiv, à Amnesty International. Elle ajoute qu’elle avait personnellement peur, notamment parce que « les professeurs d’ukrainien et d’histoire étaient leurs principaux ennemis ».

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« Si vous vouliez éviter de travailler pour les occupants dans une école nouvellement ouverte, vous deviez disparaître », décrit Tetiana, professeur d’histoire à Kherson. La directrice de l’école où elle travaillait avant l’occupation a accepté de coopérer et « a fait pression sur moi pour que j’accepte de travailler dans une école russe ». Tetiana a pu quitter la ville. Son mari est resté, mais il a été contraint d’aller vivre chez ses parents, car des fonctionnaires de l’administration d’occupation et des militaires russes visitaient constamment l’appartement du couple, à la recherche de Tetiana.

Oleksandr, directeur d’école et professeur de géographie d’une petite ville de la région de Zaporijjia, n’a pas voulu organiser dans son école la réunion demandée par les occupants. Il a refusé, invoquant des problèmes de santé. Par la suite, le chef de l’administration de l’occupation a commencé à lui rendre visite régulièrement, exigeant qu’il remette aux Russes les dossiers personnels des enseignants de l’école. Il a déclaré les avoir brûlés. « J’avais peur de chaque bruit de voiture qui passait dans ma rue », a déclaré le directeur.

Et il n’avait pas peur pour rien. Bientôt, quatre hommes armés sont venus chez lui : « Deux d’entre eux m’ont traîné jusqu’à ma voiture. Ils m’ont frappé avec leurs fusils. Les deux autres hommes sont restés avec ma femme. Ils m’ont emmené dans la cour de l’école et m’ont à nouveau battu. Ils m’ont traité de « fasciste » et de « nazi ». Ils ont exigé que je vienne à un événement organisé à l’école et que j’« approuve » ainsi le fonctionnement de l’école en posant pour des photos avec des symboles de l’État russe. Ils voulaient utiliser ces photos plus tard comme preuve de ma collaboration et de mon soutien à l’occupation. Ils m’ont menacé en disant que ces photos suffiraient aux autorités ukrainiennes pour prouver mon soutien à l’occupation et m’emprisonner ».

Le matin de l’événement, l’enseignant s’est vu « rappeler » d’y assister et a dû participer à ce qu’il décrit comme de la « pure propagande ». Finalement, Oleksandr a pu quitter le territoire contrôlé par les envahisseurs. Aujourd’hui, des soldats russes vivent dans sa maison.

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Ces petites histoires, douloureuses et poignantes, sont déjà familières dans le kaléidoscope sans fin de la douleur et de la souffrance que la Russie a apportées à notre pays. Il semble que tout cela a déjà été dit et répété des centaines de milliers de fois, et qu’il est inutile de le répéter et d’en parler de nouveau.

Mais tout ce dont nous parlons, tout ce que nous enregistrons, tout ce que nous déclarons est la preuve de crimes russes qui devront tôt ou tard faire l’objet d’une enquête. C’est une preuve supplémentaire que la Russie diffuse de la propagande dans les écoles. Qu’lle viole les droits humains et qu’elle a recours à des pratiques violentes. Les enseignants sont contraints de travailler contre leur gré, ce qui correspond à la définition du travail forcé, et il est très important de l’appeler ainsi.

Les menaces, intimidations, harcèlements, interrogatoires et perquisitions abusifs, tortures, expulsions forcées et emprisonnements illégaux ne sont pas liés à notre traumatisme et au désir d’en parler à nouveau, mais à la responsabilité des Russes et au désir de le voir ces crimes appelés par leur nom pour la première fois depuis le début des années de guerre de la Russie.

Amnesty International appelle les autorités ukrainiennes et la communauté internationale à prendre toutes les mesures appropriées pour documenter les violations des droits humains commises dans les territoires occupés et faire en sorte que les responsables rendent des comptes, et à prendre des mesures proactives efficaces pour protéger les victimes et les témoins dans le cadre de toute enquête future. Tous les cas connus de violations des droits humains doivent faire l’objet d’une enquête efficace et indépendante, à la fois par les autorités nationales compétentes et, le cas échéant, avec la participation de mécanismes internationaux. Les victimes de violations doivent se voir garantir le droit à un accès effectif à des voies de recours et à des réparations appropriées.

Oui, cela semble optimiste, peut-être. Voire une chimère pour l’instant. Mais nous y croyons. On dit que ce en quoi vous croyez peut devenir une réalité – si vous y travaillez.