L’un des bâtiments les plus emblématiques d’Iziumet symbole de la ville est la structure dévastée d’une école, le lycée n° 4 d’Izium. Son histoire a commencé en 1882. En 1943, les Allemands ont mis le feu au bâtiment, mais en comparaison avec ce que les Russes ont fait aujourd’hui…
Chaque ville du monde, qu’elle soit grande ou petite, possède des lieux particuliers, des symboles en quelque sorte. C’est par eux qu’une ville se distingue, un peu comme par l’empreinte digitale ou la rétine d’une personne. Ces lieux peuvent être des vues ou des paysages créés au cours des époques géomorphologiques, mais le plus souvent il s’agit de créations humaines, œuvres d’artistes, de sculpteurs, d’architectes, de bâtisseurs.
Dans la capitale ukrainienne, c’est le mont St Volodymyr, le tombeau d’Askold et le quartier du Podil, le monastère de la Laure et ses saints, le boulevard du Khreshchatyk et le bent Bohdan. À Kharkiv, c’est l’église Ozeryansky sur Kholodna Hora, le ruisseau du Miroir, la cascade, le jardin de Chevchenko … Difficile de tout citer.
À Izioum, il y a beaucoup moins d’endroits de ce genre. Et ils sont de moins en moins nombreux.
Mais l’un de ces bâtiments emblématiques d’Izioum, ou plutôt ses vestiges, est le pavillon n° 4 du lycée de la ville, détruit par les occupants russes. Il n’est pas exagéré de dire qu’il s’agissait de l’un des plus beaux et des plus majestueux bâtiments d’Izioum, situé en plein centre de la ville, dans son parc principal.
Un édifice à l’histoire singulière et unique. Un bâtiment auquel il ne manque que cinq mois pour fêter son 140e anniversaire.
Il a en effet d’une longue histoire, qui a commencé à la fin de l’été 1882, lorsque la première école secondaire pour garçons, une école professionnelle, a été inaugurée à Izioum. Elle a existé durant 37 ans et, fait intéressant, le tournant du siècle a divisé cette période presque en deux. Le dix-neuvième siècle a duré 18 ans et le vingtième siècle à peu près autant.
Pendant cette période, l’école a eu six directeurs, quatre inspecteurs et des dizaines d’enseignants, auteurs de recherches scientifiques et de manuels de physique, de chimie, de littérature et d’histoire naturelle. Un niveau vraiment élevé pour une ville de province.
Parmi les élèves et les diplômés qui ont étudié ici durant près de cent cinquante ans, on trouve des ingénieurs, des architectes, des scientifiques, des militaires, des artistes, des membres de gouvernements de différents pays, et même des aventuriers. Il faudrait du temps et de l’énergie pour vous parler de chacun d’entre eux. La seule chose dont je suis sûr, c’est que nous avons de quoi mettre non pas une ou deux, mais une douzaine de plaques commémoratives sur la façade.
L’école professionnelle a finalement été fermée en 1919, après avoir survécu au début de la révolution, au mouvement de libération, aux Trois Royaumes, à l’occupation austro-hongroise, à la Terreur rouge et blanche et à la période anarchiste.
L’école professionnelles a fermé ses portes, mais l’histoire de son bâtiment ne s’arrête pas là.
Les habitants d’Izioum se souviennent bien de la plaque commémorative concernant le premier congrès des Soviets et une réunion de la faction bolchevique qui s’est tenue dans la ville en 1918. Dans le même temps, au moins cinq réunions du parti socialiste révolutionnaire ukrainien, dirigé par le membre du gouvernement Odoievskyi ont, bien sûr, été passées sous silence pendant longtemps. À l’époque soviétique, l’idée a été imposée qu’aucun autre processus de construction de l’État n’avait eu lieu ici. Pour l’histoire officielle, il n’y avait que des bolcheviks, principalement des ouvriers et des paysans partageant les mêmes idées. Des pauvres, bien sûr.
La période suivante de l’existence du bâtiment, qui a commencé en 1919 et s’est terminée avec l’établissement du régime soviétique, a été mouvementée et pleine d’événements liés à la guerre civile.
En 1919, c’est l’Université du Peuple qui a vu le jour ici, un établissement d’enseignement où les professeurs donnaient des cours à leur guise pour une somme relativement modique. Les conférenciers étaient pour la plupart d’anciens professeurs de lycées et d’écoles primaires, et les étudiants étaient des ouvriers et des paysans.
L’année 1920 a été marquée pour l’école par un incendie. En décembre de cette année-là, le quartier général de la 13e armée soviétique s’y est installé. Plus tard, des cours de commandement d’infanterie y ont été mis en place. Le directeur de la formation, Mykola Asmus, et le commissaire Sychev, furent liquidés par le régime stalinien dans les années 1940.
Le directeur adjoint, Fedor Falaleyev, devint en revanche une personnalité célèbre, un maréchal soviétique. Un autre instructeur, Mikhail Safir, fut un général de troupes de chars et théoricien militaire. Serhii Petrovych Nanii, qui enseignait la musique et le chant, était un homme aux multiples facettes : avocat, traducteur, ethnographe, compositeur, membre du gouvernement et organisateur du Conservatoire populaire d’Izioum. Sa vie mérite l’attention des historiens et nécessite des recherches approfondies.
C’est aussi dans ce bâtiment qu’en 1935 a été ouverte la première école secondaire de la ville. Cette école, comme toutes les autres de l’époque, était ukrainienne. Son histoire n’a pas été longue : elle n’a eu que sept promotions, la dernière le 16 juin 1941.
Parmi les diplômés de l’école, on trouve des personnalités connues : des scientifiques, des médecins, des militaires et des artistes. Beaucoup d’entre eux ont vécu et travaillé dans la ville, d’autres l’ont quittée. Une élève de la dernière promotion d’avant guerre, Zoya Vasilivna Klyoutchko, ingénieur à l’usine de fabrication d’instruments, a récemment fêté ses 100 ans ! C’est grâce à elle que je sais ce que je sais sur ce lieu emblématique.
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L’école secondaire modèle n° 1 d’Izioum a également cessé d’exister à cause de la guerre. Une autre, la Seconde Guerre mondiale. Des dizaines d’élèves de l’école sont morts, portés disparus ou ont été faits prisonniers. Ils sont morts de faim sous les bombardements ou sous la torture dans les camps nazis ou soviétiques. L’ancien directeur Posunko et le professeur d’éducation physique Garahulia ont été tués.
Dès octobre 1939, un hôpital militaire soviétique avait été installé dans l’école et y a fonctionné jusqu’au printemps 1940. Pendant l’occupation allemande, le bâtiment a de nouveau été utilisé comme hôpital. Cette fois, allemand. Au début du mois de février 1943, lors du retrait des troupes nazies, le bâtiment fut incendié. Tout a brûlé. On peut dire qu’il ne restait que les murs.
Avec les bombardements russes d’aujourd’hui, il ne reste même plus cela, mais nous y reviendrons.
Cinq ans après la fin de la guerre, l’école est reconstruite. Au printemps 1951, la première remise de diplômes de l’après-guerre a lieu. Elle peut être considérée comme le successeur des deux écoles d’avant-guerre à Izioum : la première école ukrainienne et l’école russe n° 4. C’est de cette dernière que l’école qui fonctionnait jusqu’à l’agression russe a gardé son nom.
J’ai eu la chance de m’entretenir avec son ancienne directrice, Lioubov Sinna. « En 1991, les premières classes avec l’ukrainien comme langue d’enseignement ont été ouvertes immédiatement », dit-elle. « Nous avions beaucoup d’élèves à l’époque, environ 1 500, ce qui représente une quarantaine de classes. Lorsque je l’ai quitté en 2001, il restait environ 700 élèves, et juste avant la guerre de 2022, il n’y en avait plus que 500. Le taux de natalité dans les années 1990 était très bas ».
Dès les premiers jours de la guerre totale, l’école fut presque immédiatement détruite, d’abord par des bombes aériennes, puis par des incendies criminels. Izioum a été occupée pendant six mois. Lioubov Sinna précise que la majorité des enseignants sont partis ou ont rejoint d’autres établissements. « A Izioum, toutes les écoles sont désorganisées, les enseignants et les élèves travaillent en ligne, les conseils pédagogiques se réunissent essentiellement de manière virtuelle… », souligne-t-elle.
Au cours des trois décennies d’indépendance de l’Ukraine, l’emblématique école d’Izioum est redevenue ukrainienne. J’espère qu’elle le sera pour toujours. Ce « pour toujours » fait actuellement l’objet d’une lutte cruciale, et le prix à payer est très élevé. Pour beaucoup d’entre nous, anciens élèves de l’école, le prix, c’est la vie.