Il existe deux façons de se rendre sur le territoire de la Laure des grottes, le grand monastère orthodoxe, au centre de Kyiv. Par la porte du musée, dans la Laure Haute, ou par la porte du monastère, qui donne sur la Laure Basse. Tout le monde peut le faire. Il existe aussi quelques petites portes peu connues, mais elles sont réservées aux habitants. Devant le portail du monastère, depuis quelques temps, est apparu un poste de police. Il est là uniquement pour surveiller que tout se passe bien.
Il est apparu depuis que l’Etat a résilié le bail accordé à l’Eglise orthodoxe russe. Et cette rupture du bail a été source de nombreuses disputes entre les partisans et les opposants à cette décision.
Officiellement, le bail a été résilié en raison de nombreuses violations de ses conditions par les locataires. La Laure est le plus ancien et le plus grand monastère d’Ukraine. Il appartient à l’État ukrainien. A l’époque soviétique, il était devenu un musée. Puis l’Eglise orthodoxe russe a obtenu le droit de s’y installer en 1991.
Fin 2022, le gouvernement a mis en place une commission pour vérifier le respect du contrat de bail. Les conclusions se sont avérées très négatives. Lors de leur séjour dans la Laure, les habitants du monastère ont causé des dégâts au monument. Pendant trois décennies, les ecclésiastiques ont traité la propriété de l’État comme si elle était la leur. Presque tous les bâtiments situés sur le territoire du monastère ont été illégalement reconstruits ou réaménagés, des constructions entièrement nouvelles sont apparues, et certaines ont été purement et simplement détruites, ce qui est inacceptable, car le monastère des grottes de Kiev est un site du patrimoine mondial de l’UNESCO.
Photo prise par l’auteur en 2012, lors de la construction non autorisée іsur le territoire de la Laure
Au moment de la nouvelle année 2023, l’État, représenté par le Site protégé de La Laure de Kyiv Pechersk, a décidé de ne pas renouveler le contrat de location avec l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou (PM), ou, comme on l’appelle maintenant, l’Église orthodoxe russe en Ukraine, pour l’utilisation de deux églises de la Haute Laure – la cathédrale de l’Assomption et l’église du Réfectoire. En revanche, l’État ukrainien a autorisé l’utilisation de l’une des églises pour les services aux fidèles d’une autre confession, l’Église orthodoxe d’Ukraine (EOU), qui relève de la juridiction du patriarche œcuménique de Constantinople. Ce revirement a provoqué une vive indignation parmi les représentants de l’Eglise orthodoxe russe. Les responsables et les fidèles ont reçu toutes sortes de menaces et de malédictions.
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Puis le 10 mars 2023, l’Etat a informé les représentants de l’Église orthodoxe russe d’Ukraine de la résiliation du contrat de location de la Basse Laure et leur a demandé de quitter le territoire d’ici la fin du mois. Les prêtres russes ont tenté de bloquer cette décision. La commission n’a pas été autorisée à pénétrer sur le site pour dresser l’inventaire des biens et inspecter l’état des installations. Ce face-à-face a duré plusieurs jours. Chaque fois que la commission essayait de se rendre au monastère, des inconnus à l’air de bandits déguisés en moines ont organisé des émeutes et même des bagarres. En fin de compte, les forces de l’ordre ont été contraintes d’intervenir. Des poursuites ont été intentées devant les tribunaux. La question de l’expulsion n’est toujours pas résolue. L’État ne souhaitant pas recourir à la violence, les moines se trouvent toujours sur le territoire de la Laure, bien qu’illégalement.
Cependant, leur abbé, le métropolite Pavlo Lebid, surnommé « Pacha-Mercedes » (en raison de son amour excessif pour les voitures de luxe), a été contraint de quitter le monastère et de s’installer dans sa fastueuse propriété à l’extérieur de la capitale. Les autorités ukrainiennes l’accusent de justifier l’agression armée de la Russie contre l’Ukraine et d’humilier les citoyens en raison de leurs croyances religieuses. Alors que l’enquête est en cours, le tribunal a envoyé le métropolite en résidence surveillée, afin qu’il ne puisse pas influencer les témoins.
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Le métropolite n’est pas le seul à qui les forces de l’ordre ukrainiennes ont posé des questions sur l’aide et le soutien de l’ennemi. Depuis le début de la guerre, de nombreux hiérarques et prêtres de l’église orthodoxe restée fidèle au Patriarcat de Moscou se sont avérés des collaborationnistes. Beaucoup d’entre eux ont accueilli les troupes russes d’occupation quand elles se sont emparées des territoires ukrainiens et ont appelé leurs fidèles à ne pas résister. Certains faisaient ouvertement campagne pour la Russie dans les églises. Cela n’est pas passé inaperçu auprès des services spéciaux ukrainiens, le SBU, et ils ont finalement commencé à s’intéresser aux fans les plus enthousiastes du « monde russe » et de Poutine. Mais même les enquêteurs expérimentés du SBU, lorsqu’ils ont examiné les cellules du monastère et les chambres de l’évêque, ne s’attendaient pas, semble-t-il, à voir ce qu’ils ont vu. L’ampleur du réseau de renseignement hostile opérant sous le couvert de l’église était impressionnante.
La guerre a révélé beaucoup de choses en Ukraine, et il est devenu impossible d’ignorer l’évidence. Par conséquent, des sanctions ont été introduites contre de nombreuses personnalités du Patriarcat de Moscou par le Conseil national de sécurité ukrainien. Des agents du FSB, le service de sécurité russe, qui se cachaient parmi les moines ont été arrêtés. Certains ont même ensuite été échangés contre des soldats ukrainiens capturés par la Russie.
De nombreuses personnes, en particulier des étrangers, ne comprennent pas pourquoi, pendant la guerre, les fonctionnaires ukrainiens du ministère de la culture, les fonctionnaires du gouvernement et les forces de l’ordre ont voulu entrer en conflit avec l’une des églises (très influente) et lui retirer son plus grand sanctuaire. Selon eux, ce n’était pas le bon moment, car cela divise la société. Mais l’annulation du bail et la tentative de rester sur place des moines ne sont qu’un épisode d’un drame beaucoup plus vaste. Les racines de cette tragédie ne se trouvent pas dans l’espace religieux. Il s’agit de la sécurité nationale de l’État ukrainien. Et s’il n’y avait pas eu la guerre, pendant très longtemps, l’État n’aurait probablement pas osé défaire ce nœud gordien complexe, qui est censé être lié à la liberté de religion.
Cependant, c’est l’agression russe qui a clairement montré et confirmé que l’église russe et sa branche en Ukraine n’ont rien à voir avec la religion, ni avec la croyance. Nous avons affaire à un réseau d’agents créé sous le couvert d’une église, qui promeut les intérêts des Russes dans le monde entier depuis des décennies. Et les principaux services spéciaux de la planète en sont bien informés.
Il n’y a pas si longtemps, des journaux suisses ont publié des informations provenant d’archives déclassifiées selon lesquelles l’actuel patriarche de l’Église orthodoxe russe Kirill, qui était un représentant de l’Église orthodoxe russe au Conseil œcuménique des Églises et vivait en Suisse dans les années 1970, était également membre du KGB. Les Ukrainiens n’ont pas été trop surpris par cette information, car pour eux, la coopération entre l’Église orthodoxe russe et le KGB était connue depuis longtemps.
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Restaurée par Staline en 1943, l’Église orthodoxe de Russie est immédiatement devenue une branche des services spéciaux soviétiques, l’ensemble de ses membres a été soigneusement contrôlé et les évêques même avaient les grades d’officier. Les prêtres de l’Église orthodoxe russe étaient tenus d’informer les autorités sur leurs fidèles s’ils apprenaient quoi que ce soit d’embarrassant à leur sujet pendant la confession. En fait, dans cette église le secret de la confession n’existait pas. À l’époque, il était impensable pour un Soviétique, surtout pour un croyant, de se rendre à l’étranger, en particulier dans les pays capitalistes. Il fallait passer par les sept cercles de l’enfer pour obtenir une autorisation. Il ne fait donc aucun doute que le représentant officiel de l’Église orthodoxe russe à Genève n’était pas un simple ecclésiastique, mais un éminent officier du KGB en soutane. Il ne fait aucun doute qu’aujourd’hui encore, toute la structure qu’il dirige, se cachant derrière la foi et Dieu, continue de fonctionner comme un service spécial et remplit les tâches données par des supérieurs directs du FSB. Mais revenons à la Laure.
Cela fait dix ans que je n’ai pas mis les pieds dans la Laure Basse, où se trouve le monastère. Par contre, je suis allé souvent à la Laure Haute, où se trouvent les musées. Le « royaume » du métropolite Pavel ne donnait pas envie de le visiter. Le « monde russe » se faisait sentir trop fort là-bas, et il ne restait presque rien de la grâce passée de l’ancien monastère ukrainien, à l’exception des reliques conservées dans les grottes. Mais il fallait quand même y accéder. Ou plutôt, traverser la morosité pseudo-religieuse de la communauté locale, qui se rendait immédiatement compte de la présence d’étrangers et, dans le meilleur des cas, essayait simplement de les tenir à l’écart.
« Vous vous croisez mal, vous vous inclinez mal, vous tenez mal un cierge, vous embrassez mal une icône… » Des inconnus pouvaient demander sans délicatesse quelle était votre confession et, s’ils apprenaient que vous n’étiez pas orthodoxe (catholique, greco-catholique ou, pire encore, orthodoxe mais d’une confession rivale, d’une église autocéphale ou du patriarcat de Kyiv) ils pouvaient vous mettre à la porte, tout en vous arrosant inlassablement d’eau bénite en même temps et répétaient leurs incantations. Ce n’était pas un spectacle pour les âmes sensibles.
La dernière fois que j’ai prié dans l’ancienne église souterraine des grottes profondes, un moine m’a harcelé pour mon apparence peu orthodoxe àses yeux – pour ma «mauvaise» coiffure (mon toupet cosaque) et une boucle dans l’oreille. Je me fichais de ce qu’il en pensait, mais ce n’était pas une expérience agréable. J’ai donc décidé de ne plus y revenir. Mais récemment, beaucoup de choses ont changé. La Laure a également été prise dans une vague de grands mouvements provoqués par une guerre brutale, et il est devenu intéressant de voir de près à quoi elle ressemble.
Cette fois-ci, le monastère a un aspect complètement différent. J’ai même été agréablement surpris. J’ai été frappé par le calme, le silence et la grâce. Lorsque j’ai quitté le lieu après de nombreuses heures de déambulation dans les temples et les grottes, j’ai pensé que le monastère semble avoir retrouvé l’ambiance qu’il n’avait pas connue depuis longtemps. Il semble que la tentative de l’État d’apaiser les adeptes du « monde russe » qui y vivaient depuis des décennies a été couronnée de succès. Et bien que le processus soit loin d’être achevé, les progrès sont notables.
Aujourd’hui, la Laure accueille très peu de visiteurs, mais il y en a – des touristes profanes et des pèlerins pieux qui se déplacent par petits groupes d’une église à l’autre. La plupart d’entre eux visitent les deux parties du monastère, la Haute et la Basse. Dans la partie Haute désormais, les dimanches et lors des grandes fêtes, des prêtres ou des évêques de l’église orthodoxe ukrainienne servent la liturgie, et dans la partie Basse, se retrouvent toujours des représentants de l’église pro-Moscou. Cependant, cette division ne dérange pas la plupart des pèlerins et des touristes. Il y a bien sûr ceux qui, par principe, ne veulent pas franchir la frontière conventionnelle entre la Haute et la Basse Laure.
Il est à noter que la confrérie monastique de la Laure n’était pas très homogène. Se rendant compte que l’État finirait tôt ou tard par obtenir gain de cause et expulser le monastère russe, certains moines ont décidé de rejoindre pacifiquement l’église ukrainienne sous l’autorité de Constantinople et de créer leur propre monastère, qui pourrait recevoir l’autorisation de rester à l’intérieur des murs du site. L’archimandrite Avramiy (Latish), membre de la cathédrale spirituelle de la Sainte Dormition de la Laure Kyiv-Pecherska, qui a quitté l’église de Moscou pour rejoindre celle de Kyiv, est devenu l’abbé de ce monastère. On ne sait pas combien de frères de la Laure ont suivi ce mouvement. Les employés des musées disent qu’ils les voient maintenant assister aux offices à la cathédrale de l’Assomption dans la Haute-Laure, mais ils ne connaissent pas le nombre exact de moines du monastère.
Ils expliquent que parmi les moines, il y en a beaucoup qui n’ont pas fait leur choix et qui attendent.
Sans doute, la plupart de ceux qui ne voulaient pas rejoindre l’église ukrainienne ont déjà quitté les murs du monastère. La Basse Laure est vraiment très peu peuplée aujourd’hui et les moines sont pratiquement invisibles. Ceux que j’ai croisé se montrent résolument amicaux, ce qui est inhabituel. Il est peu probable que les autres se soient cachés dans leurs cellules et y soient restés toute la journée. Sans doute, ils sont partis pour d’autres monastères. Après tout, malgré les assurances du métropolite Pavel que les moines ne quitteront pas le monastère, fin mars, à l’expiration du contrat de bail, on a pu observer beaucoup d’agitation. Certains occupants ont emporté non seulement des objets personnels, mais aussi des icônes. Interrogé par les journalistes sur la destination de ces icônes, le clergé du Patriarcat de Moscou a répondu qu’ils avaient l’intention de tout emmener avec eux, à l’exception des reliques, car il considère que tous ces biens, y compris les icônes, sont la propriété de leur Eglise.
En fait, pour comprendre toute l’essence du problème actuel de Laure, il ne suffit pas d’écouter les deux parties en conflit. Nous devrons aussi nous plonger dans l’histoire du monastère et essayer de comprendre ce qu’il était et ce qu’il est pour les Ukrainiens, et en quoi les occupants russes ont tenté de le transformer. Le monastère des grottes de Kyiv est le plus ancien, le plus grand et le plus respecté des monastères d’Ukraine. Il en a toujours été ainsi. Fondé en 1051 comme monastère troglodyte à l’extérieur de l’ancienne Kyiv, il s’est rapidement développé pour devenir le véritable centre spirituel du pays.
Il était placé sous le patronage des princes et des hetmans, qui l’ont généreusement dotée de dons, de terres et de domaines. Pendant mille ans, sans exagération, la Laure a été le centre de leur monde pour les Ukrainiens. Surtout à des époques où ils ont été privés de leur nation. À ce moment, le monastère restait peut-être la seule île vivante où l’on pouvait non seulement prier, mais aussi préserver la mémoire de la grandeur passée et nourrir l’esprit et la force nécessaires à sa renaissance. C’était un centre important de la vie sociale, politique et spirituelle des Ukrainiens.
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La Laure est associée à de nombreuses personnalités de l’histoire ukrainienne. Il y a ici une nécropole unique, où en plus de nombreux saints ascètes, des princes ukrainiens, des métropolites de Kyiv, des personnalités publiques et politiques bien connues de l’ancienne Ukraine reposent. Depuis des siècles, comme les musulmans à la Mecque, les Ukrainiens viennent en pèlerinage de toutes les régions du pays, même les plus reculées. Même en tant que sujets d’autres États. La signification sacrée de la Laure pour les Ukrainiens est énorme. C’est un peu comme la cathédrale de Reims pour les Français ou l’Acropole pour les Grecs.
En 1592, le monastère de Pechersk a été rattaché au patriarcat de Constantinople et a commencé à rendre compte directement au patriarche, et non plus au métropolite de Kyiv. Mais moins d’un siècle plus tard, en 1686, le patriarche de Moscou, avec le soutien du tsar de Moscou, a annexé la métropole de Kyiv et, deux ans plus tard, a assujetti le monastère des Grottes de Kyiv.
Rien d’étonnant. Les Moscovites ont compris que la Laure pouvait devenir la clé de l’assujettissement complet des Ukrainiens. La première chose qu’ils ont faite a été de brûler la bibliothèque de la Laure, qui abritait des milliers de manuscrits anciens, des livres uniques du passé de l’Ukraine, des manuscrits écrits dans différentes langues, ainsi que de nombreux documents des siècles passés : chartes princières et royales, lettres d’hetmans cosaques, etc. L’ampleur de la tragédie est difficile à imaginer. En un instant, toutes nos archives historiques nationales, qui avaient été soigneusement rassemblées et protégées dans les murs du monastère pendant des siècles, ont été détruites. Cela a été fait sur ordre du tsar Pierre Ier, dans la nuit du 21 au 22 avril 1718. Selon des témoins oculaires, l’incendie a été allumé par les envoyés du tsar, qui étaient arrivés à la Laure la veille, déguisés en moines. Six décennies plus tard, sur ordre de la Grande Catherine, une autre bibliothèque unique en Ukraine, la bibliothèque de l’Académie Mohyla de Kyiv, sera brûlée de la même manière. À l’époque, 8 632 manuscrits et imprimés anciens ont été détruits dans l’incendie.
L’objectif de cette purge était sans aucun doute de détruire les preuves que les Ukrainiens n’ont rien à voir avec les Russes et que Moscou ne peut en aucun cas revendiquer l’héritage princier de Kyiv. La falsification cynique de l’histoire par les historiens russes et la création de toutes sortes de mythes, tels que celui de la « nation unique », en sont une confirmation. Mais la tâche principale était plus globale il s’agissait de mettre la Laure, important centre de spiritualité pour les Ukrainiens, au service du tsar et de l’empire. En d’autres termes, il s’agissait d’en faire un outil de russification de l’Ukraine.
Cet objectif a été partiellement atteint. La Laure est passé sous la surveillance des tsars de Moscou. Déjà à la fin du XVIIIe siècle, tout un groupe de moines de l’arrière-pays russe s’y est installé et son nombre n’a cessé de croître. Pendant plusieurs décennies, presque toute l’élite de l’église ukrainienne a été expulsée, non seulement de la Laure, mais aussi de l’église ukrainienne annexée. En échange, les Ukrainiens ont été envoyés pour christianiser la Sibérie et l’Asie, replacés par des prêtres et des évêques en provenance de Russie.
En conséquence, la quasi-totalité de l’épiscopat sur les terres ukrainiennes était composée de Russes ethniques et, pendant de nombreuses décennies, des archimandrites venus d’ailleurs ont été nommés gouverneurs de la Laure. La langue de culte et de publication de l’imprimerie de la Laure a changé. Elle est passée de la version ukrainienne du slavon ecclésiastique à la langue moscovite, et le monastère lui-même a été progressivement transformé en nécropole pour la noblesse russe. Toutes sortes de personnes ont été enterrées ici : généraux de Moscou, maréchaux, princes, comtes, petits et grands fonctionnaires, leurs femmes et leurs enfants. La russification complète de la Laure a été empêchée par les bolcheviks, qui l’ont pillée, puis en 1929 l’ont fermée. Plus tard, pendant l’occupation allemande, le monastère a été restauré, mais en 1961, il a de nouveau été liquidé.
Après la restauration de l’indépendance de l’Ukraine en 1991, un conseil local s’est tenu dans la Laure, où la majorité des évêques ukrainiens de l’Église orthodoxe russe ont voté pour la création d’une église indépendante de Moscou, dirigée par le métropolite Filaret (Denysenko). Dans le même temps, la Laure a été restaurée sous la juridiction canonique du métropolite de Kyiv et de toute l’Ukraine.
Cependant, dès l’année suivante, le lobby pro-russe de l’église organisé par les services spéciaux russes, à l’insu du chef de l’église, convoqua arbitrairement un concile à Kharkiv et a élu Volodymyr (Sabodan) à sa tête, pour remplacer Filaret. Au même moment, les services spéciaux russes s’emparaient de nouveau de la Laure.
De nombreux agents de Russie sont venus au monastère sous l’apparence de moines. Des militants de l’organisation UNA-UNSO (organisation de la jeunesse nationaliste ukrainienne) ont tenté de les expulser. Ils ont même capturé la Laure et l’ont tenue pendant un certain temps, attendant l’arrivée du métropolite Filaret. Mais le chef de l’église n’est jamais venu.
En revanche, les autorités ukrainiennes de l’époque ne voulant pas gâcher les relations avec la Russie, ont envoyé des forces spéciales au monastère, les militants ont été arrêtés et la Laure a été officiellement confié à l’église pro-russe. D’abord une petite partie dans les Grottes Lointaines, puis peu à peu toute la Basse Laure, et plusieurs temples dans la Haute Laure sont passé sous la responsabilité moscovite. Depuis lors, le glorieux monastère ukrainien est devenu le principal point d’appui du « monde russe » dans l’Ukraine indépendante.
Il existe encore un aspect très important du problème. Chaque année, la Laure de Kyiv-Pechersk, un site du patrimoine mondial de l’UNESCO, a subi des changements irréparables. Reconstructions illégales, modifications, démantèlements de monuments d’importance mondiale, tout cela se produisait sans aucun contrôle de l’État, qui a simplement fermé les yeux.
Le métropolite Pavel, en tant qu’ancien expert en commerce et habile négociateur, a toujours eu de nombreux protecteurs dans les plus hautes sphères du pouvoir, ce qui lui a permis de s’en tirer à bon compte. De plus, son église jouissait d’un statut spécial en tant qu’établissement gouvernemental. Elle a été fréquentée par de hauts fonctionnaires, y compris des présidents, et soutenue par des « superviseurs » russes. Et sans le collaborationnisme pur et simple de nombreux prêtres, dont ils ont fait preuve pendant la guerre, sans toutes ces justifications de l’agression russe, la négation des crimes de la Russie, l’agitation en faveur du « monde russe », le refus de célébrer les funérailles des soldats ukrainiens morts au front et les prières pour « Mère Russie », les fonctionnaires continueraient très probablement à fermer les yeux sur le travail de ces escrocs en soutane.
Actuellement, une rumeur circule à Kyiv selon laquelle la Laure se préparait tellement à l’arrivée de l’armée russe en février 2022, tellement sûre que les Russes prendraient la ville en trois jours, que les moines s’autorisaient même à se laver les cheveux et la barbe (ce qui n’est pas dans leurs habitudes) afin de se préparer à la rencontre de leurs chers hôtes. Même s’il s’agit d’une invention des mauvaises langues, elle illustre parfaitement l’attitude actuelle de la majorité des Ukrainiens à l’égard de ces moines.
Le territoire de la Laure de Kyiv-Pechersk s’étend sur 26 hectares de terres, où se trouvent plus de 150 bâtiments historiques uniques, qui ont une grande valeur culturelle et spirituelle pour le peuple ukrainien. Les reliques de 122 personnes vertueuses, que les Ukrainiens considèrent comme des saints, et les restes de nombreuses autres figures historiques emblématiques reposent dans les grottes de la Laure. Des personnages et des événements importants de notre passé sont associés à ce lieu qui est exceptionnel pour nous. Les autorités promettent de résoudre le problème de l’expulsion des moines pro-russes de la Laure par la voie judiciaire. Elles invoqueront la violation du contrat de bail et les dommages que ces personnes ont causés à la culture nationale. Mais il est d’ores et déjà clair que la question sera tôt ou tard résolue. Après tout ce qui est arrivé à l’Ukraine depuis 2014, et depuis l’hiver 2022, l’existence d’une enclave pro-russe au centre de la capitale ukrainienne devient tout simplement impossible.