Roman Malko Correspondant spécialisé dans la politique ukrainienne

Chef de l’Église gréco-catholique ukrainienne, Sviatoslav déclare: « La guerre est le moment où les mâchoires du mal authentique s’ouvrent »

Société
11 janvier 2023, 14:48

La veille de Noël, Tyzhden s’est entretenu avec le Père et Chef de l’Église gréco-catholique ukrainienne, Sa Béatitude Sviatoslav. Voici les moments les plus intéressants de notre conversation.

A propos de la foi à l’ère de la post-vérité

“Aujourd’hui, les Ukrainiens anéantissent totalement les stéréotypes du monde de la post-vérité, car ils disent qu’il existe une vérité pour laquelle nous sommes prêts à mourir. Ainsi, il existe ce besoin humain, profond et fondamental de l’éternel.”

“Nous défendons la dignité humaine, nous défendons la vie contre ceux qui nous ont condamnés à mort, on dit que nous sommes une erreur de l’histoire, que l’Ukraine n’aurait pas dû exister, que le peuple ukrainien n’existe pas, et ils sont venus pour nous tuer. Pour assassiner la Vérité authentique. Malheureusement, ils ne peuvent pas comprendre ce que nous sommes, les pauvres. Il leur est impossible de l’accepter. Que cette Ukraine ait émergé, et rien ni personne ne peut le nier. Et aujourd’hui, cela attire beaucoup de monde.”

A propos de la guerre et de l’église russe

“Chaque guerre est d’une absurdité absolue. Et cette absurdité ne peut être ni rationalisée ni expliquée d’aucune façon. La guerre est le moment où les mâchoires du mal authentique s’ouvrent, se concrétisant dans ceux qui sont les responsables du meurtre, de la haine et de la destruction.”

“J’ai beaucoup réfléchi et j’ai répété plusieurs fois une phrase que j’ai entendue de la bouche de M. Klitschko, notre cher maire de Kyiv, pendant l’un des moments les plus difficiles du siège de la capitale. Je suis venu le voir parce qu’il était important pour nous de comprendre ce qui se passe à Kyiv, combien de personnes sont restées, quels sont les besoins urgents afin d’y répondre de manière adéquate, de sorte que nous ne fassions pas double emploi avec les autres institutions sociales de la ville. Il m’a très bien décrit le panorama général de la communauté de Kyiv, les besoins urgents, mais à la fin il a dit la phrase suivante : « Mais plus que de pain et de vêtements, aujourd’hui, nous avons besoin d’une parole d’espoir de la part de l’Eglise. » C’est une phrase, croyez-moi, à laquelle je pense encore aujourd’hui. Parce que l’Eglise n’est pas un club de service social, ni même un quelconque service social public. L’Eglise c’est la seule qui a la parole d’espérance.”

“Cette guerre montre que la Russie, ses autorités, y compris l’Église orthodoxe russe, ont donné naissance aujourd’hui à l’idéologie du « monde russe », qui n’est rien d’autre qu’une réincarnation chrétienne de l’idéologie d’ISIS. Avec les mêmes postulats : justification religieuse de la violence, diabolisation de l’Occident collectif et ce chahidisme orthodoxe, où tous ceux qui se battent en Ukraine iront immédiatement au paradis. Il s’agit d’une véritable provocation contre l’Évangile du Christ en tant que tel. C’est un défi à la crédibilité du message chrétien pour les générations futures. Dieu merci, le monde islamique a trouvé les anticorps en lui-même qui ont rejeté la provocation d’ISIS, l’instrumentalisation dangereuse de la religion à des fins politiques très agressives. J’espère sincèrement que le monde chrétien, au niveau interreligieux, saura également rejeter cette provocation de l’idéologie du « monde russe » afin de préserver l’autorité morale du christianisme en tant que telle et la crédibilité de l’Évangile du Christ pour les générations futures. Sinon, nous serons confrontés à une sécularisation sauvage.”

A propos du Pape François

“Le pape est très bien informé, il sympathise très profondément avec l’Ukraine et comprend ce qui se passe. La seule question est de savoir comment agir. En effet, le Saint-Père était convaincu que la guerre pouvait être arrêtée grâce à la diplomatie. Il a échoué. C’est-à-dire que tous les pas de la Capitale Apostolique vers la Russie pour arrêter l’agresseur ont échoué. Cela provoque une certaine frustration. En dehors de la diplomatie, le Vatican ne dispose d’aucun autre outil pour prévenir les conflits ou les guerres dans le monde, puis d’y mettre fin. Conformément aux traditions du premier millénaire, le Siège Apostolique et le Saint-Père ont toujours été considérés comme l’arbitre suprême dans divers litiges, conflits, ou guerres. La diplomatie Vaticane, en fait, a donné naissance à la diplomatie Européenne, afin que les parties en conflit, les belligérants, puissent être arrêtés et réconciliés d’une manière ou d’une autre. Le Vatican n’a pas d’autre solution. La diplomatie c’est toujours des relations. Et donc, dans ces relations, selon la tradition millénaire, le Pape doit être au-dessus du conflit. En d’autres termes, il ne doit pas prendre parti pour l’un des adversaires, car il ne ferait que jeter de l’huile sur le feu et deviendrait incapable de jouer le rôle de médiateur entre les deux parties qui se font la guerre.

Seulement nous voyons que la guerre en Ukraine fonctionne par étapes, et à ce stade il n’y a pas de place pour la diplomatie. Quand les armes parlent, les muses se taisent. Mais je suis convaincu que cette période viendra, et alors nous verrons toute la puissance de l’art de la diplomatie, et ce que ce rôle millénaire de la Capitale Apostolique peut faire pour arrêter cette guerre, dissuader l’agresseur et révéler la Vérité.”

La version intégrale de l’interview en ukrainien peut être consulté ici

Auteur:
Roman Malko