L’histoire de l’Eglise gréco-catholique : retour sur le temps des catacombes

Histoire
8 avril 2023, 18:18

Durant plus de quarante ans, l’Église gréco-catholique ukrainienne (UGCC) a été l’une des communautés religieuses les plus persécutées au monde. En novembre 1989, elle a pu enfin sortir de la clandestinité. Depuis sa fondation, cette Eglise, née de l’Union de Brest en 1596 et de la proclamation d’une alliance avec Rome par le métropolite Mykhailo Rohoza de Kyiv, a souvent été prise entre deux feux, rejetée à la fois par les catholiques polonais et par les orthodoxes. Malgré cela, les gréco-catholiques ont réussi à traverser les époques. Et pendant les années du totalitarisme soviétique, ils ont servi de socle à la préservation de l’identité ukrainienne. Selon une étude réalisée en 2020 par le Centre Razumkov, 8,2 % des Ukrainiens s’identifient aujourd’hui comme des croyants de l’Église gréco-catholique ukrainienne. Voici l’histoire de cette Eglise durant les années où elle s’est trouvée renvoyée vers les « catacombes ».

1939-1941 : le temps des troubles

Les 4 millions de gréco-catholiques de Galicie ont vite compris ce qu’était le gouvernement soviétique dès les premiers jours de l’adhésion forcée de l’Ukraine occidentale à l’URSS, en 1939. Ensuite, les Bolcheviques ont interdit l’enseignement religieux dans les écoles, ont nationalisé les propriétés des églises et ont fermé toutes les maisons d’édition religieuses. Et tout cela a commencé avant même les élections à l’Assemblée populaire, qui devait adopter un appel au gouvernement avec une demande officielle d’adhésion à la République Socialiste Soviétique d’Ukraine.

Le métropolite Andrey Sheptytsky a réagi aux persécutions en appelant le clergé « à ne pas mélanger politique et affaires laïques ». Dans sa lettre au pape Pie XII, il a demandé une bénédiction « pour mourir pour la foi et l’Église ». La nouvelle de l’assassinat du frère du métropolite et de sa femme par les bolcheviks dans la maison d’Andrey Sheptytsky justifiait cet appel.
A cette époque, les cas d’intimidation et de disparition de prêtres sont aussi devenus plus fréquents, tandis que les autorités ont commencé les préparatifs de « la réunification des uniates ». À cette fin, le diocèse de Ternopil-Halych de l’Église orthodoxe russe a été créé en octobre 1940. Cependant, la guerre germano-soviétique est venue contrarier ces plans.

Le retour de soviétiques

La seconde venue des bolcheviks (en 1944) fut étonnamment moins tragique. Au contraire de la dernière fois, les autorités soviétiques hésitaient à prendre des mesures trop radicales, compte tenu de l’énorme autorité de Sheptytsky en Ukraine occidentale. Mais il y avait d’autres bonnes raisons : la guerre se poursuivait et il n’était pas certain que le monde occidental accepterait la saisie par l’URSS de l’ancienne partie de la Pologne : la Galice. Le mouvement de résistance nationaliste, qui paralysait l’action du gouvernement sur ce territoire, n’en était pas moins un problème.

Déjà le 4 septembre 1944, le métropolite Sheptytsky lors d’une réunion du Conseil archidiocésain a déclaré que « l’impiété a cessé d’être une bannière de la lutte des Soviétiques… ». Cependant, cette situation n’a pas duré longtemps.

Tout d’abord, le 1er novembre 1944, Andrei Sheptytsky est mort et, en février 1945, Roosevelt et Churchill à Yalta ont accepté les nouvelles frontières de l’Union soviétique.

La cible principale du NKVD était le nouveau métropolite Joseph Slipy. Les soviétiques exigeaient qu’il condamne les activités du mouvement de résistance ukrainien. Il a été contraint de préparer un premier discours pastoral condamnant les assassinats politiques. Cependant, ni l’Organisation des Nationalistes Ukrainiens, ni l’armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA), n’ont jamais été mentionnés dans son discours. De plus, il s’est avéré que son discours n’a pas été distribué au clergé ni aux fidèles, mais seulement remis aux représentants des autorités.

En ce moment, une délégation de l’église greco-catholique ukrainienne, dirigée par l’archimandrite Klymentii Sheptytsky est arrivée en visite à Moscou. En signe de bonne volonté, la délégation de l’Église a remis 100 000 karbovanets à la Croix-Rouge, ainsi qu’une lettre de Joseph Slipy au gouvernement soviétique demandant non seulement de rendre tous ses droits à l’Eglise, mais aussi « de permettre l’enseignement de la religion dans toutes les écoles populaires et secondaires », ainsi que « d’allouer une église à Moscou et à Kyiv à l’usage des catholiques grecs qui y vivent… »

De telles demandes ne pouvaient qu’indigner la direction du parti. Invitée à l’état-major du commandement suprême, la délégation s’est vu clairement indiquer que l’avenir de l’Eglise dépendrait de son attitude à l’égard de l’armée insurrectionnelle qui continuait sa résistance à l’occupation soviétique.

Klymenti Sheptytsky, le frère du métropolite défunt, a réussi à organiser des négociations sans précédent, bien qu’infructueuses, entre la direction du NKVD (service secret, prédécesseur du KGB et FSB russe – ndlr) et les dirigeants de l’armée insurrectionnelle, qui ont eu lieu dans la région de Ternopil. Cependant, après la conférence de Yalta, les Bolcheviques ne se sont plus sentis obligés de se contenir. Le 11 avril 1945, le métropolite Slipy a est arrêté et envoyé à Kyiv, suivi d’évêques et de quelques prêtres. Depuis lors, la persécution ouverte de l’Eglise gréco-catholique a commencé.

Concile de Lviv

Après l’emprisonnement de la hiérarchie ecclésiastique, les forces de sécurité ont été libres de liquider officiellement cette Eglise. À cette fin, le Groupe d’initiative pour la réunification de l’Église gréco-catholique avec l’Église orthodoxe a été créé et confié au prêtre Gavriil Kostelnyk.

C’est lui qui représentait la direction des « orientalistes » au sein de l’église gréco-catholique à l’époque de l’intégration des terres de l’Ukraine occidentale au sein de la Pologne. Le père Kostelnyk prônait la pureté du rite oriental. Cependant, cela n’a pas empêché Kostelnik de s’élever contre le « régime rouge » dés les années 1930. À l’époque des « premiers Soviets », comme on dit en Galicie, pour définir le période entre 1939 et 1941, le NKVD a arrêté et assassiné l’un des trois fils de Gavriil, tandis que les deux autres se sont enrôlés comme volontaires dans la division de Galice, auprès des Allemands. Il est évident qu’il n’a pas été facile pour Kostelnyk d’accepter de coopérer, et de nombreux témoins oculaires ont vu dans cette démarche le désespoir et un grand drame personnel du prêtre.

Dans une lettre au Soviet des commissaires du peuple de la République Socialiste Soviétique d’Ukraine, les dirigeants du Groupe d’initiative, les pères Gavriil Kostelnyk, Mykhailo Melnyk et Antony Pelvetsky, ont décrit l’état « d’impuissance, de désorganisation et d’anarchie » qui régnait au sein de l’église greco-catholique, et ont proposé un moyen d’adhérer à l’Église orthodoxe russe. Et bien qu’à cette époque le Groupe d’initiative n’était soutenu que par quatre prêtres sur 65 à Lviv, l’ensemble du système judiciaire et pénal soviétique était de son côté. Avec l’aide de ce dernier, ainsi que de l’Église orthodoxe russe (le patriarche Alexey a béni l’initiative de Kostelnyk par un télégramme), les préparatifs du concile ont commencé.

Le seul obstacle était l’absence d’évêques, car eux seuls avaient le droit de convoquer et de tenir des conciles. Mais on est passé outre dans la seconde moitié de février 1946. Ensuite, la délégation du Groupe d’initiative s’est rendue à Kyiv, où les prêtres ont accompli le rite d’adhésion à l’Église orthodoxe dans la laure de Kyiv-Pechersk. En quelques jours, les pères Melnyk et Pelvetsky ont été ordonnés évêques.

Le concile de Lviv, qui a eu lieu du 8 au 10 mars 1946, était un non-sens d’un point de vue canonique, car il a été organisé et dirigé par des prêtres qui à l’époque ne faisaient plus partie des catholiques grecs, mais sont devenus des hiérarques de l’Église orthodoxe russe. A cette époque, tous les évêques gréco-catholiques étaient en prison, à l’exception d’un seul qui est mort à l’hôpital du NKVD.

Dans le style du système répressif soviétique, la coopération avec les organisateurs du Concile a également pris fin : en septembre 1948, un agent du NKVD a abattu Kostelnyk à Lviv; peu après, Mykhailo Melnyk a été empoisonné dans un train ; Anton Pelvetsky est mort subitement dans sa résidence.

Підпільне богослужіння у сільській церкві в 1960 -их роках

« Église du silence »

Les quatre décennies suivantes d’activité de l’UGCC ont été qualifiées de « temps du silence », car de 1945 à 1950, 344 prêtres ont été arrêtés, et après le Concile, l’Eglise gréco-catholique a officiellement cessé d’exister. Pourtant, ce n’était qu’une disparition formelle. Car les autorités ne savaient pas comment dissoudre les monastères restés fidèles à l’idée uniate (ou gréco-catholiques). Et après la mort de Staline, les prêtres ont commencé à revenir d’exil en Galicie.

Les offices clandestins, l’ordination des prêtres et des évêques, le phénomène des pères et des moines itinérants qui apparaissent en divers lieux et soutenaient les croyants sont devenus une réalité que le régime n’a pu effacer. En août 1968, dans la note du rapport du département de propagande du Comité central du Parti communiste d’Ukraine, il était mentionné que dans les régions occidentales de l’Ukraine se trouvaient toujours 800 « prêtres et moines uniates non unis ». Et cela est d’autant plus remarquable qu’à l’époque, les gréco-catholiques ouvraient sans autorisation et organisaient des messes dans près de 200 églises supposées « inactives ».

Dans le même temps, la question de l’Eglise greco-catholique a fait l’objet d’une large publicité dans le monde occidental : en 1963, Moscou a accepté de libérer Joseph Slipy après 18 ans d’emprisonnement. Ce métropolite, âgé de 70 ans, de santé fragile, qui a participé au concile Vatican II, a immédiatement soulevé la question pour des millions de gréco-catholiques. Son témoignage au nom de l’« Église du silence » est devenu un problème non seulement pour Moscou, mais aussi, paradoxalement, pour le Vatican pendant de nombreuses années.

L’ère de la « perestroïka » a coïncidé avec un regain d’activité dans les catacombes de l’Eglise greco-catholique. En août 1987, un groupe important de membres du clergé et de laïcs a annoncé qu’il sortait de la clandestinité et a appelé le pape Jean-Paul II à soutenir la légalisation de l’Eglise. L’activité des catholiques grecs a dépassé les frontières de la Galicie. Grâce à de fréquentes délégations, des pétitions et de nombreuses grèves de la faim, ils sont devenus présents et visibles à Moscou.

Incapable de contrer efficacement cela, le 20 novembre 1989, le Conseil des affaires religieuses relevant du Conseil des ministres de la République Soviétique Socialiste d’Ukraine a adopté une déclaration annonçant que « sous réserve du respect inconditionnel de la Constitution … les catholiques grecs peuvent jouir de tous les droits créés par la loi pour les associations religieuses… ».

C’était la fin de l’étape des catacombes et le début d’une nouvelle histoire de l’Église gréco-catholique.

Le catholicisme grec en Ukraine : des hauts et des bas

1596 Le synode des évêques de la métropole de Kyiv sous la direction de Mykhailo Rogoza a décidé d’entrer dans l’unité avec Rome, en préservant le rite traditionnel orthodoxe oriental. Cela a été approuvé par l’Union à Brest.

1620 Grâce au patronage du hetman ukrainien Petro Sahaidachny, le nouveau métropolite orthodoxe Iov Boretsky a été consacré : une partie des uniates (catholiques grecs) est retournée à l’orthodoxie.

1646 Parallèlement aux structures des uniates de l’Union de Brest sur les terres de Transcarpatie, l’Union d’Uzhhorod a consolidé l’unité avec Rome des diocèses de Mukachevo et de Priashiv.

1648–1654 À la suite de la guerre de libération de Bohdan Khmelnytsky, l’Union de la rive gauche de l’Ukraine est complètement liquidée.

1772 Avec l’annexion de la rive droite de l’Ukraine par la Russie, tous les diocèses uniates sont liquidés (sauf Polotsk en Bélarus).

1808 Création du diocèse galicien sur le territoire de l’Autriche-Hongrie.

1839 Liquidation complète de l’union sur les terres de Volyn, rive droite et Bélarus.

1875–1876 Liquidation de l’Union dans la région de Transcarpatie et Priashiv, à la suite de laquelle plus de 200 000 uniates sont passés aux catholiques romains.

1905 Une tentative de renouveau dans les terres de l’Empire russe sous le couvert du néo-uniatisme (à ce jour, il y a une paroisse à Kostomoloty au-dessus du Bug occidental en Pologne).
1946 Synode de mars à Lviv qui, sous la pression des autorités communistes, annonce l’unification avec l’Église orthodoxe russe.
1948–1950 Liquidation de l’Union d’Uzhhorod (retour forcé à l’orthodoxie en Transcarpatie et dans la région de Priashiv).
1989 Sortie des catholiques grecs de la clandestinité.

Information de The Ukrainian Week/Tyzhden.fr

À la suite de l’Union de Brest en 1596, la métropole de Kyiv a été divisée. La majorité de l’épiscopat, dirigée par le métropolite de Kyiv, accepta l’union avec Rome. Mais la majorité du bas clergé et de la noblesse ukrainienne restèrent dans l’orthodoxie. Par conséquent, l’église catholique se considère comme l’héritière de l’Église de Kyiv et du baptême de Volodymyr.

Au début du XVIIe siècle des tentatives ont été faites pour restaurer l’unité de la métropole de Kyiv. Les soulèvements cosaques du début du XVIIe siècle et la révolution menée par Bohdan Khmelnytsky se sont déroulés sous les mots d’ordre de la défense de l’orthodoxie. Mais plus tard, les passions se sont apaisées. À la suite des divisions de la Pologne et, par conséquent, du territoire de l’Ukraine, l’Église de l’Union a eu une histoire séparée dans les empires russe et austro-hongrois. En Russie, l’union a été détruite en plusieurs étapes au cours du XIXe siècle. En revanche, en Autriche les gréco-catholiques (le terme est apparu en 1774) connaissent un renouveau, qui a atteint son apogée à l’époque du métropolite Andrey Sheptytsky (1900–1944). Après la période des catacombes (1946-1989), l’Eglise gréco-catholique ukrainienne a été restaurée et s’est développée. Elle est aujourd’hui la plus grande église catholique orientale du monde. Elle est dirigée par Sa Béatitude Sviatoslav (Shevchuk).