Maksym Butkevych, ex-prisonnier de guerre: «La Croix-Rouge internationale n’est jamais venue me voir»

PolitiqueGuerre
10 janvier 2025, 14:11

Militaire détenu dans la région de Lougansk durant 27 mois, Maksym Butkevych raconte les conditions d’incarcération et évoque les tortures. Ancien journaliste, il était surtout un militant connu des Droits de l’homme, avant de rejoindre l’armée en 2022.

Ancien journaliste et militant des droits de l’homme, Maksym Butkevych, est connu pour avoir défendu les droits des réfugiés, des personnes déplacées et des apatrides. Il est également cofondateur du centre des droits de l’homme ZMINA. Au début de l’invasion russe, il a rejoint les forces armées ukrainiennes. En juin 2022, alors qu’il dirigeait un peloton en mission de combat, il a été capturé dans la région de Lougansk. Il a été condamné à 13 ans de détention, avant d’être échangé le 18 octobre 2024. Maksym est resté en captivité pendant 27 mois.

Tyzhden s’est entretenu avec lui quelques semaines après sa libération, alors qu’il commençait tout juste à s’adapter à la vie en liberté. Dans cet entretien, il raconte le traitement des prisonniers de guerre ukrainiens, qu’ils soient militaires ou civils, au sein du système pénitentiaire russe.

– Où avez-vous été détenu pendant votre captivité ?

– J’ai passé trois mois dans un SIZO (slidchyi isolyator, centre de détention) à Louhansk avant d’être transféré dans la colonie pénitentiaire à régime strict n° 2, dans les territoires occupés de la soi-disant République populaire de Louhansk (RPL). Au bout d’un mois, je suis retourné au SIZO pour des audiences à la Cour d’appel et à la Cour de cassation à Moscou – auxquelles j’ai assisté par liaison vidéo. Puis j’ai été renvoyé dans la même colonie à la fin du mois de mars 2023, où je suis resté jusqu’à ma libération.

– Y a-t-il eu des différences entre votre détention au SIZO et dans la colonie ?

– En tant que prisonniers de guerre, nous n’avions pas droit à des promenades. Nous étions donc privés d’air frais pendant huit mois et demi. La nourriture était pire. Les portions étaient si petites que la faim devenait un compagnon constant, parfois si intense qu’elle nous empêchait de dormir. Nous n’avions aucun contact avec le monde extérieur.

Après l’annexion officielle de Louhansk par la Russie, le 30 septembre 2022, le système pénitentiaire de la « RPL » a commencé à être intégré au système du FSIN (Service fédéral de l’exécution des peines) russe. Cela a entraîné quelques changements : les routines éprouvantes, telles que les « contrôles » du matin et du soir impliquant des pompes ou des flexions, ainsi que les passages à tabac, ont soudainement cessé. Au lieu de cela, les gardiens ont commencé à nous ignorer. Les soins médicaux, bien que toujours médiocres, se sont légèrement améliorés. Au début, on nous a refusé des articles de base tels que du papier, des stylos ou même une bouilloire, mais par la suite, on nous a permis d’avoir quelques petites choses. Nous avons également reçu des uniformes de prison noirs à rayures grises, conformément au système russe.

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– Y avait-il des détenus criminels avec vous ?

– Au début, il n’y avait que des prisonniers de guerre. Plus tard, les ainsi nommés « prisonniers politiques » nous ont rejoints, c’est-à-dire des civils condamnés pour « espionnage » ou « trahison d’État ». Après ma condamnation, j’ai été transféré dans une section où se trouvaient des personnes accusées d’infractions pénales. Parmi eux se trouvaient des Ukrainiens locaux qui avaient refusé d’accepter des passeports russes ou des passeports de la « RPL ».

Lorsque la Russie a officiellement annexé le territoire, le « code pénal de la RPL » a été remplacé par le code russe. Je ne suis pas juriste, mais je n’ai pas pu m’empêcher de me demander comment des ressortissants non russes n’ayant jamais vécu en Russie pouvaient être accusés de trahison envers la Russie. Comment allaient-ils justifier cela ? D’après ce que j’ai compris, ils ont trouvé temporairement une solution très simple : ils n’ont pas pris la peine d’expliquer quoi que ce soit.

– Qu’est-il arrivé aux huit personnes avec lesquelles vous avez été capturé ?

– Nous avons été détenus ensemble pendant trois semaines et demie. Après avoir subi une « pression physique prolongée », j’ai été transféré dans une plus petite cellule. Pendant l’interrogatoire, ils m’ont dit que j’avais une « mauvaise influence » parce que j’essayais de maintenir la confiance des autres prisonniers de guerre.

Deux interrogateurs, probablement membres du FSB, semblaient connaître mon profil grâce à des articles de presse russes qui me décrivaient comme un « commandant nazi d’une unité d’extermination ». Ils m’ont demandé si j’accepterais de donner une interview à un « média international respectable » – comme la BBC, mais pas la BBC.

Ils voulaient que je parle des dirigeants ukrainiens, de l’idéologie nazie en Ukraine, des donateurs internationaux et, en particulier, de George Soros. Je devais dire comment Soros sape les valeurs traditionnelles, sert de couverture à l’impérialisme américain, contrôle l’Ukraine et promeut l’idéologie LGBT. Je leur ai dit que ce n’était pas un problème et que je serais heureux de dire tout ce que je sais : qu’il soutient les initiatives en faveur des droits de l’homme, l’autonomie locale et les publications universitaires.

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[L’interrogateur] s’est mis en colère, m’accusant d’avoir subi un lavage de cerveau par l’Occident. Il a affirmé que si je n’étais pas un espion, j’étais quand même sous l’influence de l’Occident et que je propageais son idéologie en Ukraine. Il m’a déclaré son ennemi idéologique personnel, affirmant qu’il était honteux que je ne me sois pas suicidé après avoir été capturé, comme un officier aurait dû le faire.

Il m’a dit : « Si je te rencontrais ailleurs, je te tuerais, mais malheureusement, je ne peux pas le faire ici et maintenant. Nous allons te condamner ». Lorsque j’ai dit qu’il n’y avait pas de quoi m’accuser, il m’a répondu : « Tous les militaires ukrainiens sont des criminels de guerre parce qu’ils nous combattent. Trouver une charge n’est pas un problème ». Après cela, j’ai subi « une pression physique intense ».

Le lendemain, le chef de l’« enquête » (en charge du contrôle informel), un homme de petite taille mais physiquement intimidant, m’a menacé de tortures. Il a commencé par : « Toi, l’enculé. Tu es qui toi? La seule raison pour laquelle je ne te frappe pas encore, c’est parce que c’est dimanche matin et que les gens sont encore à l’église. Ce serait un péché de te battre maintenant ». Il a ensuite expliqué ce qui se passerait si je continuais à mal me comporter. Ils a dit qu’ils n’utilisent plus des tortures comme sciage des dents d’une personne parce que « nous utilisons le tapic » (un téléphone militaire filaire). Il m’a expliqué où il faut placer les électrodes pour qu’une personne se couche dans son vomi, ses excréments et sa pisse. « Bientôt, des gens sérieux te poseront des questions sérieuses, et si tu ne réponds pas, voilà ce qui t’arrivera ».

Environ un mois plus tard, le Comité d’enquête, chargé de fabriquer des dossiers criminels, est arrivé, et j’étais l’une de ses cibles.

– Vous avez dit qu’un officier vous avait menacé lors de votre capture. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

– Nous avons été emmenés dans ce qui semblait être une position de première ligne et nous avons été laissés nus, les mains attachées dans le dos, allongés sur le sol. Il m’a distingué en tant qu’officier. Il nous a demandé ce que chacun d’entre nous faisait avant l’invasion, qui était marié et, apprenant que la plupart de leurs femmes étaient à l’étranger, il s’est adressé aux hommes un par un, décrivant en détail ce qui arrivait, selon son imagination tordue, à leurs femmes avec des hommes locaux – suggérant essentiellement des viols et des relations sexuelles en groupe. Il tentait délibérément de nous faire réagir.

À un moment donné, il a fait venir un soldat et m’a demandé de dire devant la caméra : « Je souhaite bonne chasse aux forces spéciales russes ». Lorsque j’ai refusé, il s’est moqué de moi, me faisant la leçon sur l’honneur d’un officier et me traitant de honte pour l’armée en raison de mon poids. Je n’ai pas répondu. Plus tard, des hommes cagoulés sont arrivés et nous ont amenés un par un pour « parler » et nous filmer.

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Plus tard, quand nous étions filmés, il est revenu et a annoncé que nous allions apprendre l’histoire de l’Ukraine. Il a sorti un de Poutine daté de juillet 2021 et a commencé à en lire des passages à haute voix – sur les origines de l’Ukraine, son incorporation à la Russie en trois régions (Kyiv, Tchernihiv et Zhytomyr), la rive gauche, ce qu’on appelle la « Novorossiya », l’Ukraine de l’Ouest et la Crimée. Il a ensuite déclaré : « Je vais lire une phrase et désigner l’un d’entre vous. Cette personne doit la répéter mot pour mot. Si quelqu’un se trompe ou confond les mots, [Maksym] sera battu ».

Il a continué, et j’ai été battu longuement. Je voyais les autres faire de leur mieux pour ne pas faire d’erreurs, mais c’était difficile. Si quelqu’un hésitait, je recevais un coup. Si quelqu’un mélangeait les mots, je recevais deux ou trois coups. Il a commencé à s’amuser, a fini par abandonner complètement son jeu et s’est contenté de me battre. Puis il a sorti son téléphone, a appuyé sur la touche vidéo et m’a demandé de dire « Gloire à la Russie. Nous souhaitons une bonne chasse aux forces spéciales russes. Pardonnez-nous de ne pas l’avoir fait ce matin ».

– Pensez-vous que cet officier était un sadique ou qu’il avait pour mission de vous briser ?

– Il paraissait à la fois sadique et méthodique, prenant soin de ne pas briser d’os tout en infligeant de la douleur. Pendant un certain temps, ma main a été partiellement immobilisée. Il s’est également servi de moi comme d’un avertissement pour les autres, leur montrant ce qui se passerait si nous ne suivions pas les ordres. Que l’on pouvait nous faire tout ce qu’on veut, il n’y a pas d’instance extérieure.

– Avez-vous rencontré d’autres prisonniers de guerre qui ont été capturés et qui ont décrit des expériences similaires ?

– Je n’ai rencontré personne ayant vécu exactement la même expérience. Cela me semble assez sophistiqué. J’ai maintenant cette cicatrice sur l’épaule et de l’arthrite post-traumatique. J’ai presque l’impression que la métaphore est trop parfaite – avoir la version de Poutine de l’histoire ukrainienne gravée dans ma peau.

D’un autre côté, d’après ce que l’on m’a dit, les soldats qui capturent les prisonniers étaient plus calmes ou plus respectueux – du moins dans une relation de soldat à soldat – que ceux qui étaient dans les deuxièmes lignes de front, pas directement impliqués dans les combats.

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Lorsque nous avons été capturés, nous n’étions pas au milieu d’un combat. Mais s’il y avait eu des combats intenses et des victimes, la réaction aurait pu être différente.

– Vous avez quitté l’Ukraine en juin 2022 et êtes revenu dans un pays très différent. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?

J’ai passé un mois dans un centre de réadaptation, et cela s’est avéré mieux que ce à quoi je m’attendais. Je pensais qu’un pays en guerre depuis plus de deux ans n’aurait pas de ressources. Mais nous avons été bien pris en charge et nous avons eu le temps de nous faire à l’idée que nous n’étions plus en zone de guerre. Certaines choses me semblent familières, mais beaucoup sont très différentes de ce dont je me souviens. J’espérais mieux, mais je m’attendais à pire – c’est l’un de mes vieux principes pour éviter les déceptions.

Les choses vont mieux que je ne le pensais. Même si les gens sont épuisés par la guerre, le mouvement de bénévolat est incroyablement important et bien organisé. De nouveaux lieux se sont ouverts, et il y a cette « taxe militaire volontaire » partout où l’on va, que ce soit chez le coiffeur, dans un café ou à l’épicerie. Les gens donnent beaucoup. C’est tout à fait dans l’esprit ukrainien, anarchique, de faire les choses.

Je me réjouis également de voir la scène culturelle s’épanouir. Je me souviens qu’au printemps 2022, les avis étaient très pessimistes sur l’édition ukrainienne. Certaines des ressources de l’industrie de l’édition avaient été détruites au début de l’occupation. Les gens prédisaient que les Ukrainiens dépenseraient vite le peu d’argent qu’ils avaient pour survivre. Mais l’édition ukrainienne est florissante.

J’ai l’impression que les gens sont plus attentionnés les uns envers les autres aujourd’hui ; ils comprennent à quel point chacun d’entre nous peut être fragile et traumatisé.

Il me reste encore beaucoup à découvrir. Je suis actuellement en congé de retour de captivité pour des procédures médicales, et je devrai ensuite décider de ce que je ferai. En tant qu’ancien prisonnier de guerre, j’ai le droit de quitter l’armée. Je sais dans quels domaines je veux être actif. Pour moi, peu importe de rester dans l’armée, retourner dans le monde associatif d’où je viens, aller dans le secteur public ou commercial. Je veux aider à ramener nos concitoyens de leur captivité et contribuer à la solidarité internationale avec l’Ukraine. Le reste est une question d’efficacité, comme le dit Ani DiFranco : « Chaque outil est une arme si vous le tenez correctement ».

– En tant que militant des droits de l’homme, qu’est-ce qui vous a amenée à rejoindre les forces armées en février 2022 ?

– Je savais qu’il y avait un réel besoin de personnes dans le plaidoyer international, des programmes humanitaires et la prise en charge des personnes déplacées internes depuis les régions nouvellement occupées, ainsi que chez les bénévoles qui aident l’armée. Mais je me suis aussi senti moins vulnérable que beaucoup d’autres. Presque tous mes proches, à l’exception de mes parents, se trouvaient dans des endroits relativement sûrs, et il fallait défendre Kyiv. Si Kyiv tombait, cela signifiait qu’une grande partie du territoire ukrainien passait sous contrôle russe, où les droits de l’homme sont inexistants. Tout ce pour quoi nous avons travaillé pendant des décennies serait effacé. Si je voulais protéger cela, je devais m’engager. Je continuais à me battre pour le même objectif – les droits de l’homme – mais d’une manière différente, avec une kalachnikov.

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Il y avait une tension intérieure parce que je suis antimilitariste, mais ne pas prendre les armes aurait eu des conséquences bien plus graves. J’ai ressenti une responsabilité personnelle. Pour aider les personnes déplacées, il fallait que quelqu’un se batte pour elles sur la ligne de front. Ceux qui se battent permettent aux autres de faire d’autres choses.

– Qu’est-ce qui vous a aidé à faire face au cours des deux dernières années et demie ?

– J’ai créé des pratiques mentales: je repensais aux rencontres et aux conversations. Mon premier diplôme est la philosophie, mais pour moi, la philosophie n’est pas une théorie abstraite, c’est un mode de vie. J’avais besoin de temps pour réfléchir à certaines questions fondamentales, et finalement, ce temps m’a été donné. Ma foi m’a beaucoup aidé. Je suis chrétien et j’avais gardé ma foi assez secrète auparavant, non pas parce que j’avais honte, mais parce que c’est quelque chose de profondément personnel et que je n’aime pas imposer mes croyances aux autres. Alors que j’étais encore dans l’armée, j’ai réalisé que la foi était bien plus importante pour moi que je ne l’avais imaginé en temps de paix. Je me souviens d’un passage du Nouveau Testament décrivant les gardes tourmentant Jésus avant sa crucifixion. Ils lui ont couvert les yeux, l’ont frappé à la tête et se sont moqués de lui en disant : « Dis-nous qui t’a frappé. Si tu es un prophète, tu devrais le savoir ». Deux mille ans plus tard, dans un couloir de Louhansk, la même scène s’est répétée. Certaines choses ne changent jamais. Je voulais aussi aider les gens que j’aime, et la seule chose que je pouvais faire était de prier pour eux.

Ensuite, il y a eu les livres et les lettres. À partir de la fin du mois de février, nous avons été autorisés à écrire et à recevoir des lettres. Les gardiens m’ont dit que je recevais plus de lettres que tout le reste de la colonie. J’ai réussi à répondre à chacune de ces centaines de lettres, sauf trois. Je me souviens avoir écrit : « Il est très important de garder espoir ». Je me suis accrochée à cet espoir, mais j’ai veillé à ce qu’il ne me consume pas, car je devais être prêt pour tenir sur le long terme.

Je me suis adaptée au manque de nourriture et au manque d’hygiène. La peur a été la plus difficile à gérer : c’était une émotion instinctive, terrifiante et humiliante. J’avais peur d’être forcé à faire quelque chose que je ne pourrais pas me pardonner. Mais cela n’est jamais arrivé. Ils me forçaient à faire des choses, mais la plupart du temps, c’était gérable. J’ai parfois refusé, et ils n’ont pas insisté, ou ils l’ont fait, mais j’ai réussi, d’une manière ou d’une autre, à faire évoluer la situation en ma faveur.

Très vite, j’ai compris que ce dont j’avais le plus besoin, c’était du temps, la santé et la patience. Je n’étais pas très doué pour cette dernière auparavant, mais la captivité vous l’apprend.

– Que peut-on faire pour soutenir les prisonniers de guerre ukrainiens et les soldats condamnés?

– La solidarité, à tous les niveaux, est cruciale, pour rester en contact avec le monde extérieur. J’ai reçu des lettres de France, de Lituanie, d’Allemagne, de République tchèque, des Balkans, etc.

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Je pense que quelque chose doit être fait au niveau international : la Russie doit subir une pression extérieure sous forme de sanctions. Ce qui m’inquiète, et je n’ai pas encore eu la preuve du contraire, c’est que la question des prisonniers de guerre détenus en Russie est toujours considérée comme un simple phénomène lié à la guerre. Tout le monde sait que les conventions de Genève sont violées – « c’est dommage, c’est triste », dit-on, mais il y a toujours des violations. Après avoir été à l’intérieur, je vois les choses différemment. Ils ne se contentent pas d’enfreindre les conventions ici et là, ils sapent complètement le droit humanitaire international, le rendant inefficace et inexistant. Il y a déjà eu une tentative d’établir une structure internationale pour préserver l’humanité, mais ces efforts sont sciemment démantelés par les dirigeants politiques de la Fédération de Russie.

En ce qui concerne les prisonniers civils, la situation est encore pire, à mon avis, à la limite du génocide. Les prisonniers de guerre condamnés sur la base de fausses accusations – des affaires criminelles – deviennent de simples objets d’échange. Nous avons été condamnés à être échangés contre quelque chose, pas seulement contre quelqu’un. Lorsque vous forcez quelqu’un à avouer un crime et que vous l’emprisonnez pour une longue période, il ne s’agit plus d’un prisonnier de guerre, mais d’une prise d’otage, d’une forme d’esclavage, plutôt que d’un phénomène lié à la guerre – il s’agit d’une pratique terroriste. Et je crains qu’au niveau international, cela ne soit pas perçu comme tel.

Je n’ai aucune idée de l’ampleur de la surveillance internationale des prisonniers de guerre ukrainiens et des centres de détention. Nous n’avons jamais vu personne. Au début, nous espérions une visite de la Croix-Rouge internationale. Puis nous avons cessé d’espérer. Finalement, la Croix-Rouge internationale, c’est presque devenu un gros mot. Nous nous sommes rendu compte qu’ils auraient dû être là, mais qu’ils ne l’étaient pas. La seule visite que nous avons eue a été celle d’un membre de la mission des Nations unies pour les droits de l’homme, accompagné du médiateur de la « RPL », Mme Serdyukova. Plus tard, nous avons reçu la visite du médiateur suivant, Soroka.

L’absence de contrôle indépendant sur ces sites nous rendait, nous les prisonniers de guerre ukrainiens, extrêmement vulnérables. On me l’a dit personnellement : « Nous pouvons faire ce que nous voulons de vous, vous briser pour le reste de votre vie, parce que personne ne regarde ».

Je comprends à quel point c’est difficile. Les dirigeants russes n’ont pas l’intention d’autoriser une présence internationale sur ces sites. Mais il existe encore des outils pour au moins essayer de faire pression de manière plus constante.

Il existe également des cas spécifiques que je n’arrive toujours pas à comprendre. Certains prisonniers de guerre, en mauvaise santé, ne reçoivent pas le traitement médical dont ils ont besoin et devraient être échangés en priorité. Comment des officiers de l’OSCE, emprisonnés depuis plus de deux ans et accusés d’espionnage après avoir avoué sous la torture, peuvent-ils encore être détenus, malgré les protections garanties par la convention de Vienne pour le personnel diplomatique et les organisations internationales ? Ces officiers étaient avec moi dans la même caserne. Et pourtant, la Russie continue à faire partie de l’OSCE tout en détenant ces personnes.

– Pensez-vous que la justice internationale pourrait un jour demander des comptes aux responsables du traitement des prisonniers de guerre ?

– J’aimerais beaucoup que cela se produise. Pour de nombreux prisonniers de guerre, c’est extrêmement important. Je comprends que certains auteurs puissent échapper à la justice, mais avant tout, le jugement de la CPI est essentiel pour que ces crimes soient reconnus et ne se répètent jamais.

– Pensez-vous que les mauvais traitements infligés aux prisonniers de guerre font partie de la politique de l’État russe ?

– Oui. Ils ont reçu des instructions ; certains d’entre eux ont pris plaisir à les exécuter, d’autres non. Un groupe spécial était chargé de mettre en place le tapis roulant d’affaires criminelles montées de toutes pièces. Ils devaient s’assurer qu’un certain nombre d’affaires étaient envoyées au tribunal. Il était clair qu’ils suivaient des ordres et n’agissaient pas de leur propre initiative.

Leurs méthodes étaient conçues pour reproduire les purges staliniennes. Dans la région voisine de Poltava, en 1938, mon arrière-grand-père a été arrêté, accusé d’espionnage, torturé pour obtenir des aveux, puis exécuté en tant qu’ennemi du peuple. Il a été réhabilité par la suite et j’ai lu son dossier.

Plus de 80 ans plus tard, dans la région voisine, j’ai fait l’objet d’une accusation similaire sous la torture – bien que, contrairement à lui, je n’aie été condamné « qu’à » 13 ans de prison, et non fusillé. Le même mécanisme est toujours en place, ce qui signifie qu’aucun garde-fou n’a été mis en œuvre pour mettre fin à ces pratiques.

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Cet article a été réalisé dans le cadre d’un projet soutenu par la fondation allemande N-Ost, financée par l’Union européenne.