La voie la plus courte pour mettre fin à la guerre est une victoire rapide de l’Ukraine

Politique
22 novembre 2023, 11:28

Pour l’Occident, la riposte de l’Ukraine à l’agression russe devrait devenir une priorité. Si les armes sont livrées avec trop de prudence et de parcimonie, les problèmes de l’Occident ne vont que s’accentuer. Le seul et véritable moyen de s’approcher de la fin de la guerre et de réduire les risques pour les puissances occidentales est d’augmenter l’aide militaire à l’Ukraine, fournie jusque-là avec trop de réserve. Tels sont les principaux éléments du dernier rapport du groupe de réflexion polonais du Club Jagellon intitulé « Comment mettre fin à la guerre en Ukraine ? Des scénarios de fin de conflit », de Józef Lang.

Les moyens à disposition de l’Occident pour une réconciliation des belligérants restent toutefois limités. La décision de mettre fin à cette guerre ne peut être prise que par Kyiv et Moscou.

Un besoin d’aide militaire renforcée et immédiate

L’auteur de cette nouvelle analyse est convaincu que la poursuite du conflit en Ukraine ne fera qu’augmenter ses coûts indirects, notamment pour les pays occidentaux. Il est notamment question des prix élevés de l’énergie, de l’inflation qui monte en flèche et de l’accroissement des fonds destinés à l’accompagnement des réfugiés. Un moyen optimal (à long terme) de réduire ces coûts, voire de les éviter, est d’augmenter l’aide militaire à l’Ukraine, ce qui reviendrait bien moins cher que de faire traîner le conflit en limitant l’aide à l’Ukraine.

Depuis le 24 février 2022, les États-Unis, principale source d’aide, ont fourni à Kyiv un soutien global pour un montant de 71 milliards de dollars. C’est nettement moins que ce que Washington a alloué à la guerre en Irak (environ 250 milliards de dollars par an, soit un total de 2 000 milliards de dollars) et en Afghanistan (115 milliards de dollars par an, au total 2 300 milliards de dollars).

Comme le souligne Józef Lang, malgré cet énorme écart, l’argent versé par les contribuables américains à l’Ukraine porte de réels fruits, fragilisant pour plusieurs années le potentiel offensif de la Russie. Cela accroît la sécurité des alliés européens des États-Unis. Malgré l’agression à grande échelle, Kyiv a réussi non seulement à préserver le fonctionnement de l’État, mais aussi à reconquérir 45 % des territoires précédemment occupés par Moscou.

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Dans son rapport, il souligne que l’aide de l’Occident devrait avant tout inclure des systèmes d’armes permettant d’atteindre des cibles militaires stratégiques russes, actuellement hors de portée des armes ukrainiennes.

Józef Lang n’oublie pas les risques et les défis. Aux États-Unis et en Europe occidentale, on craint souvent qu’une multiplication de l’aide à Kyiv n’entraîne une escalade du conflit avec la Russie. Lang note que la Russie a déclaré à plusieurs reprises des « lignes rouges » par rapport à l’aide occidentale. Lorsque l’Occident a franchi ces lignes, les réactions du Kremlin ont été limitées. Si l’escalade du conflit se produit du côté de la Fédération de Russie, ce ne sera pas une réaction face aux démarches de l’Occident, mais une conséquence de facteurs purement internes.

L’auteur souligne qu’une escalade significative, telle que l’utilisation d’armes nucléaires tactiques sur le sol ukrainien, serait risquée pour la Russie. En particulier dans le cadre de ses relations avec la Chine, qui a clairement évoqué qu’une telle éventualité était inadmissible. Jusqu’à présent, le Kremlin a évité de mener des opérations risquées (à part l’invasion à grande échelle), précisément en raison de la capacité de l’Occident à l’affronter de diverses manières.

Poutine espère qu’un conflit prolongé affaiblira la détermination de l’Occident à aider l’Ukraine avant de paralyser ses capacités militaires. Il tente d’exploiter les inquiétudes de l’Occident face à une éventuelle escalade du conflit, mais, selon l’auteur du rapport, ce discours de va-t-en guerre masque mal une absence de volonté de prendre de réels risques.

Le facteur-clé de la suite de la guerre doit être la dissuasion. Si l’Occident ne réagit pas d’une manière suffisamment décisive aux actions hybrides, cela constituera aux yeux du Kremlin une manifestation de faiblesse et une propension à faire des concessions en cas de véritable confrontation.

La décision de mettre fin à la guerre ne peut être prise que par Moscou et Kyiv

Selon l’idée de Józef Lang, la guerre ne peut prendre fin qu’en raison de facteurs internes et non sous l’influence d’une pression externe. Même une diminution du soutien occidental ne convaincra pas Kyiv de geler le conflit. De plus, forcer l’Ukraine à le faire pourrait conduire à une scission au sein de l’OTAN.

L’opinion publique ukrainienne s’attend majoritairement à une victoire absolue de l’Ukraine : 64 % croient à la restitution de l’ensemble des territoires ukrainiens d’avant 2014, c’est-à-dire y compris la péninsule de Crimée. Cela limite la marge du compromis pour les « centres de décision » en Ukraine et conduit également à l’existence d’un consensus dans l’arène politique en faveur de la poursuite de la guerre. Toute pression occidentale est pour l’instant vouée à l’échec, car les hommes politiques en Ukraine, quel que soit le parti politique auquel ils appartiennent, continueront de mener la guerre même sans soutien extérieur.

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L’auteur du rapport souligne que les capacités de l’Occident à réconcilier les parties au conflit sont limitées. Seules Kyiv et Moscou peuvent décider de mettre fin à la guerre. La Russie veut geler le conflit, mais par crainte d’une perte d’image à l’extérieur et à l’intérieur de son pays, elle n’est pas prête à battre en retraite.

Une influence directe sur le conflit (par la participation directe de troupes occidentales ou la fin du soutien à l’Ukraine) nuirait aux intérêts stratégiques de l’Occident, alors que soutenir l’Ukraine peut augmenter le prix de la guerre pour la Russie.

Les sanctions contre la Russie sont importantes dans une perspective à long terme

Cependant, même si l’Occident n’a pas de réel pouvoir pour forcer Moscou à mettre fin à l’invasion, il peut alimenter le mécontentement des élites russes par le biais de sanctions et de restrictions. Selon les conclusions de Lang, la différence entre les capacités militaires des parties signifie que sans une crise interne en Russie, l’Ukraine ne sera probablement pas en mesure de libérer tous ses territoires.

Comme le souligne Józef Lang, la tentative de coup d’État de Prigojine en juillet a démontré la polarisation des idées au sein des élites russes (en particulier entre le ministère de la Défense et le groupe Wagner) et confirme ce qui a été dit dans les médias à propos d’une scission entre un « parti de la paix » (des oligarques qui ressentent eux-mêmes les effets des sanctions, par exemple le chef de la banque VTB Andreï Kostine), le « parti de la guerre » (les dirigeants des forces de sécurité) et le « parti du silence » (les technocrates, comme par exemple le Premier ministre Mikhaïl Michoustine). En même temps, cela met l’accent sur l’opacité des liens fondés principalement sur les intérêts commerciaux et les relations personnelles entre les principaux centres de pouvoir en Russie.

Pour l’instant, le Kremlin parvient à modérer les effets des instruments économiques de pression extérieure et à garder son calme, mais à long terme, le prix de l’invasion russe devient de plus en plus élevé.

L’auteur affirme que même les subventions budgétaires pour compenser les réserves épuisées et la hausse des prix des hydrocarbures exportés ne sont pas en mesure de limiter à long terme la chute du PIB provoquée par les sanctions et le retrait des capitaux occidentaux. En 2022, la Russie a été confrontée à un déficit budgétaire de 45 milliards de dollars, au lieu de l’excédent prévu de 17,7 milliards de dollars. Cette année est également déficitaire : sur les sept premiers mois, le déficit est de 28,44 milliards de dollars.

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Ces chiffres affectent la vie de la société russe. Au début de l’année, jusqu’à 65 % des Russes interrogés affirmaient que leur niveau de vie avait diminué par rapport à l’année précédente. Il est cependant peu probable qu’un activisme social croissant réduise la popularité des convictions nationalistes et militaristes. Au contraire, cela peut les renforcer.

Plus important encore, si l’on parle de mettre fin à la guerre, les oligarques russes pourraient perdre plus de 94 milliards de dollars, selon les estimations occidentales. En effet, il est plus probable que ce soit la tension bien visible au sein des élites qui devienne la source d’une crise politique en Russie que les démarches de la société russe, passive dans sa globalité.

Une aide en échange des réformes

En même temps, Józef Lang indique clairement que le soutien de l’Ukraine doit être fourni selon le principe du « plus pour plus en retour ». En augmentant l’aide, il faudrait exiger de l’Ukraine qu’elle progresse dans ses réformes internes.

Les élites et les électeurs occidentaux sont fatigués du style persistant des politiciens ukrainiens dans leurs communications avec leurs alliés. Les autorités ukrainiennes expliquent la lenteur des réformes en raison des conditions imposées par la loi martiale.

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Pour réussir, il est nécessaire de coopérer et de communiquer davantage avec la société ukrainienne, qui espère vivement rejoindre les structures occidentales ( 85 % des Ukrainiens aspirent à rejoindre l’UE). En même temps, 77 % considèrent la corruption (le troisième indicateur le plus important) comme le plus gros problème de leur pays.

Józef Lang suggère que l’un des instruments de l’influence occidentale soit les médias ukrainiens, qui sont parrainés par l’Occident et qui ne dépendent pas de l’influence des oligarques.

Quel est le scénario le plus probable ?

Les facteurs-clés qui détermineront le sort de la guerre seront la capacité des forces armées ukrainiennes à s’opposer efficacement à l’armée russe et à reprendre le contrôle des territoires ukrainiens, la durée du soutien occidental à l’Ukraine, ainsi que la situation intérieure dans la Fédération de Russie. Ce sont ces éléments qu’il faut observer pour tracer des scénarios probables.
Le scénario le plus probable évoqué dans le rapport pour les mois à venir est la poursuite de la dynamique actuelle du conflit. Mais cela ne signifie qu’il est figé : les deux parties subiront encore des pertes militaires, économiques et sociales, ce qui affectera le déroulement ultérieur de l’invasion russe.