Radio Moscou depuis Berlin : le journal allemand Berliner Zeitung, le fantôme du Kremlin

Politique
9 avril 2024, 14:41

Au cours de la semaine dernière, des controverses ont eu lieu en Allemagne concernant des accusations envers le journal allemand Berliner Zeitung portées par Oleksiy Makeev, l’ambassadeur d’Ukraine en Allemagne. Le diplomate accuse le média de diffuser des récits pro-russes. Celui-ci réagit en évoquant la liberté d’expression. Les journalistes d’autres publications allemandes semblent toutefois être plutôt de l’avis de l’ambassadeur ukrainien.

« Le Berliner Zeitung m’associe régulièrement à des articles que l’ambassade de Russie aurait aimé diffuser, ce qui montre à quel point ils déforment la réalité sur l’agression russe contre l’Ukraine », a écrit l’ambassadeur d’Ukraine en Allemagne, Oleksiy Makeev, dans le premier d’un de ses récents tweets. Dans cette série de messages, il critique le caractère manipulateur des textes publiés par le journal allemand, ainsi que d’autres preuves de l’allégeance ouverte du rédacteur en chef et de ses éditeurs au Kremlin.

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Le journal n’a pas tardé à réagir en parlant de « tentatives d’intimidation » et « d’atteintes à la liberté de la presse ». Leurs confrères allemands commentent activement la situation et penchent plutôt du côté de l’ambassadeur d’Ukraine.

« Le Berliner Zeitung se sent menacé. L’ambassadeur d’Ukraine à Berlin a accusé le journal de ne pas toujours être entièrement critique à l’égard de la Russie lorsqu’il s’agit de la guerre en Ukraine. Et, il a tout à fait le droit de le faire. Rien ne l’interdit. Le Berliner Zeitung peut d’ailleurs s’exprimer ainsi. Et par conséquent, Oleksiy Makeev a le droit de le souligner, et d’en être mécontent », écrit Steffen Grimberg dans sa chronique pour le journal allemand Taz. Il note que « les attaques contre la liberté de la presse se manifestent autrement » et que « Makeev mériterait plutôt d’être critiqué pour avoir violé les conventions diplomatiques ».

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Le chroniqueur parle aussi de Holger Friedrich, éditeur et propriétaire du Berliner Zeitung depuis 2019. Lui et son épouse Silke sont considérés comme étant proches de la Russie ; l’ambassadeur d’Ukraine mentionne également Friedrich dans une série de tweets, soulignant son passé d’employé de la Stasi.

« Aujourd’hui, M. Friedrich se sent également visé par le Tagesspiegel. Après tout, le Tagesspiegel a longtemps accusé son journal de se comporter comme un agent russe, comme se plaint l’assistant de Friedrich [Michael] Mayer dans un tweet… De quoi s’agit-il maintenant ? Un grand débat politique ou un échange de piques médiatiques » ? conclut M. Grimberg.

Friedrich et Mayer ont tous deux attiré une attention négative lorsqu’ils sont apparus avec d’anciens hommes politiques de la RDA et des représentants du parti Alternative pour l’Allemagne (AfD) lors d’une réception organisée le 9 mai à l’ambassade de Russie en Allemagne, en 2023. Ils ont été rejoints par l’ancien politicien de RDA Egon Krenz, l’ancien chancelier Gerhard Schröder et des membres de l’AfD, Alexander Gauland et Tino Hrupalla.

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« Le Berliner Zeitung est-il la nouvelle Radio Moscou »? demande carrément l’ambassadeur ukrainien.

Mais, ce ne sont pas les seules accusations portées contre le Berliner Zeitung. Ce média a décidé notamment d’employer des présentateurs de la chaîne de propagande russe RT Deutsch, après son interdiction en Allemagne. L’un d’eux est par exemple le biographe de Vladimir Poutine, Thomas Fassbender.

Ces accusations ne datent pas d’hier. Malgré un tirage relativement modeste pour l’Allemagne (72 000 abonnés pour la version en papier et 38 000 abonnés pour la version en ligne), les articles provocateurs du journal ont déjà suscité des protestations. Par exemple, après le scandale de la visite à l’ambassade de Russie, Steffen Grimberg a demandé dans une chronique du journal Taz que le Berliner Zeitung soit exproprié de son éditeur.

Fin mai 2023, le journal suisse Neue Zürcher Zeitung a consacré un long article au Berliner Zeitung et à son propriétaire, notant que de nombreux collègues étaient contrariés par le fait que des personnalités aussi controversées que l’ex-chancelier Gerhard Schroeder puissent prendre la parole sur des pages de cette publication sans aucune critique. « Dans un article publié [pour le Berliner Zeitung — ndlr] M. Schroeder a expliqué que l’OTAN négligeait la Russie, et était en partie responsable de l’absence d’un plan de paix pour l’Europe et l’Ukraine. De telles voix sont particulièrement bien accueillies dans l’ex-RDA. Le Berliner Zeitung mène également une sorte de politique identitaire pour les Allemands de l’Est, comme le définit le rédacteur en chef Tomáš Kurijanovych », écrit la NZZ.