« Apte à fonctionner uniquement avec l’accord de la Russie » («Handlungsfähig nur mit Russlands Zustimmung»), c’est le titre d’un article de l’historien allemand Hubertus Knabe, publiée récemment dans Frankfurter Allgemeine Zeitung. Ce n’est pas le première fois que l’auteur attire l’attention sur la situation autour du musée de Berlin-Karlshorst, qui avant l’invasion à grande échelle s’appelait le « Musée germano-russe de Berlin-Karlshorst ». Plusieurs ministères russes font toujours partie de l’association qui détermine des activités du musée.
Ce musée est effectivement un lieu unique. Il se trouve à Berlin dans le bâtiment de l’ancienne cantine des officiers. C’est dans ce bâtiment que Wilhelm Keitel, un officier allemand et le chef de l’Oberkommando der Wehrmacht a signé les actes de capitulation de l’Allemagne dans la nuit du 8 mai 1945 devant les représentants de l’Union soviétique, des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France. « En 1967, l’Armée rouge a ouvert à cet endroit une exposition de propagande adressée à ses soldats en République Démocratique Allemande, ensuite l’exposition a été ouverte pour les Allemands de l’Est. Après la réunification, la RFA a accepté avec la Russie de perpétuer le musée sous une forme renouvelée. En 1994, l’association «Musée Berlin-Karlshorf» a été fondée en tant qu’organisation commune », écrit Hubertus Knabe.
Le financement de cette association provient exclusivement du budget allemand. Parallèlement, 17 membres institutionnels, dont notamment les ministères russes de la défense, de la culture et des affaires étrangères sont membres du conseil d’administration de l’association. Des représentants de l’Ukraine et de la Biélorussie font également partie des responsables. En particulier, du côté ukrainien, le musée de l’histoire de l’Ukraine durant la Seconde Guerre mondiale est mentionné.
The Ukrainian Week a envoyé un courriel au musée ukrainien pour savoir si ses représentants sont toujours membres à part entière de l’association qui compte dans ses rangs les ministères du pays agresseur. Lyudmila Rybchenko, directrice par intérim du musée a répondu que « depuis le début de l’agression russe, à savoir depuis neuf ans, le Musée de l’histoire de l’Ukraine durant la Seconde Guerre mondiale n’a pas participé au conseil scientifique du musée de Berlin-Karlshorst en raison de la présence de représentants russes et biélorusses. La coopération entre deux institutions a été suspendue dès le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie ».
Bien que le financement du « Musée Berlin-Karlshorf » provienne du budget allemand, la procédure de prise de décision inclut la participation de tous les membres de l’association, et donc aussi des ministères russes. Les membres votent notamment le budget, élisent le directeur et fixent les priorités. Selon Hubertus Knabe, pour continuer, le musée allemand a récemment envoyé des projets de résolution à ses membres, qui les ont approuvés. « L’une d’entre elles concernait le budget pour 2023 », écrit-il.
Liste des membres de l’association du musée, y compris le ministère russe de la culture et de la défense
« Le fait que des ministères russes participent à la prises de décision concernant le musée allemand, malgré la guerre contre l’Ukraine, contredit la politique de l’Allemagne de mettre fin à la coopération avec la Russie. Dès avril 2022, le porte-parole (de la ministre allemande de la Culture et des Médias, Claudia Roth – ndlr) a souligné que « la position du gouvernement fédéral et du musée est de mettre fin à tout contacts directs avec les représentants de l’État de la Fédération de Russie et de la Biélorussie », précise l’historien allemand. Après avoir posé sa question une deuxième fois il a appris que « des documents ont été envoyés aux membres de l’association conformément aux statuts ».
L’auteur de l’article de la FAZ fait remarquer que le porte-parole de Mme la ministre n’a pas voulu détailler la décision. Il n’a également pas obtenu de réponse à la question de savoir à quelle fréquence communiquaient les représentants de la Russie et la partie allemande. Selon les statuts de l’association, les membres déterminent une fois par an le budget. Le représentant a également noté que le conseil d’administration n’a pas changé. Knabe note qu’il n’y a que deux personnes dans ce conseil, dont l’un est originaire de la Russie. Il s’agit de Vladimir Loukin, le responsable pour le musée à l’époque de la RDA, aujourd’hui directeur adjoint du Musée des forces armées de Moscou.
Selon Hubertus Knabe, « la réélection de M. Loukin (au conseil d’administration – ndlr) est une question sensible, car il ne se cache pas d’être un partisan déclaré du président russe. Lorsque M. Poutine a visité son musée en juin 2020, il l’a abondamment félicité pour ses essais sur l’implication de la Pologne dans le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale et sur l’adhésion volontaire des États baltes à l’Union soviétique. Pour empirer les choses, le musée de Loukin fait la promotion de la guerre de la Russie contre l’Ukraine », écrit Hubertus Knabe. Tout visiteur intéressé par le musée de Berlin-Karlshorst peut cliquer sur le lien vers le Musée des forces armées russes dans la description du conseil d’administration. Le site Web propose de l’information sur une exposition qui glorifie la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine. La description contient les « formules » habituelles: « le régime de Kyiv », « l’encouragement aux sentiments russophobes » et « les uniformes de l’armée ukrainienne (presque comme l’OTAN) ». L’exposition se tient jusqu’à la fin du mois de mai à Moscou. Pour la visiter, il ne reste qu’un simple clic à faire.
Le conseil d’administration du musée de Berlin-Karlshorst est composé du musée historique allemand et du musée des forces armées de la Fédération de Russie. Vladimir Lukin est son représentant.
« Dans ce contexte, l’implication de Loukin et des ministères russes dans la politique du Musée de Berlin-Karlshorst devient inacceptable », conclut Hubertus Knabe. Il souligne également qu’un représentant du ministère allemand de la culture a annoncé que la structure de l’association « ne semble pas viable à la lumière de la situation politique actuelle » et « exige un changement ». Le ministère fédéral des affaires étrangères a également émis le même avis. Mais personne ne dit comment la situation pourrait changer.
Hubertus Knabe indique que compte tenu de la structure de l’association, la rupture avec la Russie et la Biélorussie n’est pas aussi simple. « Bien que l’Allemagne assume la totalité du financement du musée – le financement institutionnel de cette année s’élève à 1,55 million euros – le Kremlin, ainsi que la Biélorussie disposent d’un droit de veto dans l’association. Selon le statut, l’assemblée générale est compétente si au moins deux tiers des membres sont présents. Donc, l’Allemagne ne peut pas prendre les décisions. Une majorité des trois quarts est nécessaire pour dissoudre l’association », explique l’historien allemand.
La situation concernant la dissolution ou le changement de membres de l’association est encore compliquée par d’autres documents qui lient les mains de l’Allemagne dans ses relations avec la Russie. Mais le plus grave, c’est que durant toute cette année de guerre totale personne n’a trouvé de temps pour prendre des décisions sur la participation des structures de Russie et de Biélorussie à la gestion du musée.