Revoir Marioupol et revivre l’enfer du siège

Guerre
14 avril 2024, 08:47

Le documentaire 20 jours à Marioupol reste un témoignage de premier plan sur l’un des épisodes les plus sanglants de la guerre. Nous avons visionné ce film en compagnie d’une famille qui a vécu ce siège, et qui est aujourd’hui réfugiée en Lettonie.

« Je vois le sang sur le goudron, je ne veux pas y mettre mon pied, mais le sang est partout » !
J’ai regardé film 20 jours à Marioupol avec mon amie Dacha et sa famille. Elle, sa sœur, sa maman et son frère cadet ont vécu le siège de la ville par des troupes russes au même moment que les auteurs de ce documentaire.

Ces deux dernières années, Dacha et sa famille ont vécu en Lituanie. Je suis venue dans leur appartement qu’ils louent. Autrefois, Dacha avait son appartement à elle, et sa maman avait sa maison. Aujourd’hui, il n’y a rien, les Russes ont tout détruit. Nous avons fait du thé et nous nous sommes installées sur le canapé.

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Le temps de regarder le film, Dacha laissait échapper des commentaires ci et là:

« C’était l’immeuble où Andriy habitait. Sa voisine de l’étage supérieur a péri. Elle était chez elle lorsque la frappe a touché l’immeuble. Et là, moi et ma sœur ont couru vers un abri antiaérien, c’était justement le bombardement de la maternité de Marioupol ».

Les photos de la maternité de Marioupol, je vais les garder dans ma mémoire probablement jusqu’à la fin de mes jours. Et aussi la séquence où le missile touche en plein vol l’immeuble de huit étages. Et toutes ces autres immeubles brulées qui étaient en rang, comme dans un cimetière géant.

« Et là, c’est l’agence de notaire où je travaillais », dit Dacha en pointant l’écran.

« C‘est devenu horrible. Et c’était une belle avenue », ajoute la maman de Dacha.
Pendant que nous regardons le documentaire, Ricci l’épagneul s’est couché sur mes genoux. Il vient lui aussi de Mariupol.

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« Une fois, je suis sortie avec lui de notre sous-sol pour qu’il se promène deux minutes, parce que lui, le pauvre, il restait trois jours sans sortir. Et là, les bombardements commencent. Et lui s’échappe et se sauve ! Je crie : « Richi ! Richi » ! Et je ne savais plus quoi faire. Mais, Dieu merci, il est revenu rapidement et on est descendu dans le sous-sol » se souvient Dacha.

« Eux, au moins, ils ont eu de la place dans le sous-sol », note la maman de Dacha, pour commenter les images sur l’écran. « Et nous, on a mis la porte par terre, afin que les enfants dorment dessus. Alors, on n’avait pas où dormir, on dormait assis ».

Durant une heure et demie on a regardé des hommes vivants qui pleuraient leur douleur ou la perte de leurs proches, et des hommes morts. Dacha s’est rappelée que dans les rues il y a eu beaucoup de cadavres.

« Quand ma sœur et moi, nous avons couru chez elle pour chercher à manger, j’ai vu le sang sur le goudron. Je ne voulais pas mettre mes pieds dedans, mais le sang était partout, pas possible de mettre le pied ailleurs ! Insupportable »! dit la jeune femme.

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On a vu sur l’écran une fosse commune et un ouvrier en veste orange qui y mettait les cadavres. Il n’y avait plus de possibilité d’enterrer les gens d’une façon normale. « Qu’est-ce que je ressens ? Si je me mets à parler, je vais pleurer », dit-il en répondant au réalisateur du film. Et il a continué sa tâche.

De fait, s’il y a eu quelque chose de moins sombre dans ce film, c’étaient les gens, qui n’étaient pas désemparés et continuaient d’agir. Le médecin qui a sauvé les blessés dans un hôpital sans électricité et sans matériel pourtant indispensable. Il a pleuré devant un enfant tué. Des sages-femmes qui accompagnaient un accouchement avec des complications après les frappes aériennes. Un policier qui a enregistré une vidéo en ukrainien et en anglais. « Russian troops commit war crimes… Please, help Mariupol ». Et c’était lui qui a fait sortir le réalisateur Mstyslav Chernov et le photographe Yevhène Maloletka de la ville, quand le couloir humanitaire a été ouvert.

Dacha et sa famille ont quitté la ville le 16 mars. Ils ont eu de la chance : leur voiture est restée intacte. De qu’ils ont appris qu’il y avait une possibilité de partir, ils ont eu juste le temps pour s’en aller, avant que les frappes visant le couloir humanitaire ne commence.

Selon des informations confirmées, durant 86 jours de siège, à Marioupol vingt mille de civils ont trouvé la mort. Mais bien des gens sont persuadés que les morts ont été en réalité beaucoup plus nombreux, jusqu’ à une centaine de milliers. J’ai une autre amie qui vient de Marioupol. Elle pense aussi que la quantité de victime est beaucoup plus élevée.

Je voudrais tant que tous ceux qui sont venus porter la mort et qui ont commis ces crimes de guerre répondent devant la justice. Et que les russes qui se disent être « en-dehors de la politique » ouvrent enfin leurs yeux sur la réalité qui n’a été possible qu’avec leur accord tacite.