Le programme « Je veux vivre », adressé aux militaires russes qui ne souhaitent pas se battre en Ukraine, voit parfois des pelotons entiers se rendre. Selon des responsables des renseignements militaires ukrainiens, les pics de redditions dépendent moins de l’intensité des combats et que des campagnes de communication.
« Je veux vivre » est un projet national initié par le Quartier général de coordination pour le traitement des prisonniers de guerre, créé en septembre 2022. Le programme est géré de facto par la Direction principale du renseignement. L’initiative est conçue pour aider les Russes à se rendre en toute sécurité et dans le respect du droit de la guerre.
« Il y a en moyenne une reddition tous les deux jours. Il y a des semaines où personne ne se rend. Parfois, c’est une petite unité, un peloton entier qui se rend. En fait, il est préférable et plus facile pour nous de travailler avec des groupes de personnes, car chaque passage de frontière implique du travail et des ressources. Par conséquent, lorsqu’il s’agit d’au moins quelques personnes, cela justifie l’effort », explique Petro Yatsenko, porte-parole du Quartier général de coordination pour le traitement des prisonniers de guerre. « Mais, bien sûr, les soldats se rendent aussi individuellement », précise-t-il.
Le programme a été lancé quelques jours avant que Poutine n’annonce la mobilisation générale de 2022. Au début, les Russes n’ont pas cru qu’il s’agissait d’une véritable possibilité, pensant qu’il s’agissait d’un prétexte pour le FSB [le service de renseignement russe – ndlr] pour collecter des données sur les traîtres potentiels. « Il a fallu plusieurs mois de travail médiatique pour que les choses se mettent en place. Le porte-parole du projet était un acteur connu, qui avait déjà joué dans des séries télévisées russes. Les Russes lui ont fait confiance plus facilement, car il s’agissait d’un visage familier », explique M. Yatsenko.
« Nous avons également insisté partout sur le fait qu’il s’agissait d’un projet d’État. Environ un mois plus tard, le Roskomnadzor [Service fédéral -russe- de supervision des communications, des technologies de l’information et des médias de masse- ndlr] a bloqué notre site web, et ce fut une petite fête pour nous », s’amuse-t-il. Actuellement, le projet compte plusieurs centaines de noms de domaine et le principal moyen de communication est Telegram. Le blocage ne pose donc pas de problème. Au départ, la ligne d’assistance ne comptait que deux opérateurs, mais par la suite, il y en a eu beaucoup plus. Le numéro n’est pas divulgué.
Le nombre d’appels dépend moins de l’intensité des combats que des différentes campagnes médiatiques. « Par exemple, le nombre d’appels a augmenté de manière significative au moment du projet de contre-offensive ukrainienne au printemps 2023. Chaque événement médiatique, qui indique que les conditions de captivité sont normales, qu’il est possible de travailler en étant payé, incitent les candidats à se décider », explique l’officier des renseignements.
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« Au début, de nombreuses personnes qui n’avaient pas servi mais qui se doutaient qu’elles seraient mobilisées nous ont contactés », raconte Petro Yatsenko. Il y a également eu beaucoup d’appels de parents à l’étranger. « Des grands-mères ont appelé des États-Unis : leurs petites-filles sont à Saint-Pétersbourg, et la grand-mère veut savoir comment elle peut se rendre si elle est mobilisée », raconte-t-il.
Dans certains cas, des parents vivant en Ukraine ont appelé aussi, par exemple, pour une personne possédant la citoyenneté russe. Ils ont également demandé comment se rendre.
L’un des premiers hommes à se rendre, Mikhail, a laissé un souvenir inoubliable au Quartier général de coordination : « Il était comme un homme sorti d’un livre, un Russe très particulier. Il parlait à sa mère et disait « petite maman ». Il était très intelligent. En fait, il n’était pas du tout censé être mobilisé dans l’armée russe, car il avait un certificat attestant qu’il était inscrit dans un dispensaire psycho-neurologique. Mais il a quand même été mobilisé ».
« Notre objectif n’est pas seulement d’inviter les Russes à se rendre. Il y a des gens qui aimeraient coopérer. Dans ce cas, ils n’ont pas à se rendre, mais ils peuvent appeler la ligne et proposer leurs services. En conséquence, la coopération sera un facteur positif s’ils sont capturés », précise Petro Yatsenko.
Si les personnes qui se sont rendues ne veulent pas retourner dans la Fédération de Russie, elles ne seront pas échangées ou renvoyées de force. Selon la loi, elles sont considérées comme prisonniers de guerre tant que la guerre est en cours. À la fin de la guerre, elles pourront demander l’asile dans les pays européens avec lesquels il existe un accord .
« Un certain nombre d’entre eux veulent revenir chez eux », déclare M. Yatsenko. Et c’est également possible, car l’Ukraine ne déclare pas officiellement qu’ils se sont rendus volontairement. Les documents sont établis de la même manière que pour ceux qui ont simplement été faits prisonniers. Dans le cadre du programme, rien ne mentionne que les personnes se sont rendues.
Parmi celles qui le font, il y a des activistes qui avaient protesté contre la guerre et qui ont ensuite été envoyés au front. Il y a également des personnes originaires des territoires occupés. Il y a ceux qui ne veulent tout simplement pas se battre. Il y a ceux qui appellent et crient : « Je ne veux pas vivre en Russie, faites-moi prisonnier ». Des gens très différents, des histoires très différentes.