L’ancien rédacteur en chef du Tyzhden, Serhiy Demtchouk, sert actuellement dans l’armée ukrainienne. Dès qu’il a une possibilité, il nous raconte la vie des soldats sur la ligne de front.
C’était une belle journée ensoleillée. J’ai comme une dépendance au soleil. Le soleil me fait du bien. Je deviens de bonne humeur, gai. Je me souviens du dernier automne maussade. Celui-ci n’est pas bien mieux. Mais hier, c’était une journée magnifique. Cependant, on entendait des coups de tonnerre continus – il fait chaud sur la ligne de front.
Nous avions un peu de temps libre, alors Baron et moi sommes allés nous promener. Avec nos appareils photo. Et sur la rive du lac, nous avons remarqué qu’un bâtiment en ruine brillait de l’intérieur. Nous avons décidé d’y faire un tour. Un mur s’était complètement effondré. Juste devant le bâtiment, il y avait un profond cratère, sans doute d’une bombe aérienne. Ou peut-être d’une fusée. À l’intérieur du bâtiment, on voit des bureaux. Et un peu plus haut, des sortes de machines. Nous avons ensuite regardé autour de nous et nous avons remarqué qu’à l’intérieur, parmi les briques et le béton cassés, il y avait beaucoup de céramiques, certaines tasses étaient même intactes.
Nous sommes montés dans le bâtiment à l’endroit où se trouvait le mur. Et nous avons vu des théières en céramique, des tasses, des bonbonnières sur une table… parmi les ruines. Dans la lumière d’une rare journée d’automne. C’était à la fois beau et inquiétant. Il y avait aussi un four pour la cuisson des céramiques, et des moules. Nous avons pris quelques photos chacun, avec mon appareil photo argentique et mon téléphone. Et au moment de partir, un faisan a jailli des buissons ! Un beau faisan avec des plumes de couleurs vives.
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« La nature s’est tellement purifiée que des faisans courent en pleine ville », a remarqué mon camarade Baron.
Hier soir, à minuit, il faisait exceptionnellement clair dehors, comme au crépuscule. D’habitude, il fait si sombre ici qu’on ne voit rien au bout du bras. D’ailleurs, vers six heures du soir, je sortais les poubelles de notre cave et il faisait si sombre que je ne voyais rien devant moi.
Nous nous réjouissons donc de la lumière. Mais on n’échappe pas non plus aux jours sombres.
Plus tard, j’ai découvert que ma pellicule était vide. Pas une seule image, ni de Kostiantynivka, ni du bâtiment détruit avec les céramiques, ni du lac… C’est dommage, mais ce n’est pas essentiel. L’appartement de Baron à Kyiv a brûlé pendant qu’il était dans le Donbass. Sa mère âgée est en soins intensifs…
C’est une journée nuageuse aujourd’hui, avec de la neige et de la pluie. Il fait déjà nuit à quatre heures. La nuit, on nous promet une « gelée », ou « orechnik » russe, ou tant d’autres merdes. Ou tout à la fois. Mais aujourd’hui, c’est le jour des volontaires, le jour des défenseurs de l’Ukraine. Et on attend le soleil.