Vingt jours de guerre : le documentaire de Mstyslav Tchernov sur la ville de Marioupol

Culture
27 janvier 2023, 15:36

Le 20 janvier 2023, le  journaliste et écrivain ukrainien Mstyslav Tchernov a présenté au festival du film indépendant américain Sundance son long métrage documentaire « 20 jours à Marioupol ».

Lui et deux collaborateurs d’Associated Press, Yevhen Maloletka (photographe) et Vasilisa Stepanenko (productrice), sont arrivés à Marioupol le 24 février 2022, peu avant le début de l’invasion russe à grande échelle. Et, comme le titre le suggère, ils sont restés dans la ville pendant deux dizaines de jours, filmant et photographiant tout ce qui s’y passait. Les jours deviennent des chapitres du film, lorsque la situation s’aggrave progressivement, au point qu’il n’est plus temps de travailler et que la question qui se pose est : comment survivre et sortir de cet enfer ? Par miracle, ils y parviennent.

PHOTO : Mstyslav Tchernov

Un peu plus tard, le monde a appris la terrible histoire du réalisateur lituanien Mantas Kvedaravicius, resté plus longtemps dans la ville, fait prisonnier et tué fin mars 2022 par l’armée russe. Hanna Bilobrova a réussi à faire passer clandestinement quelques fragments de ses images et les a montées pour faire le film Mariupolis 2 (présenté en avant-première au Festival de Cannes en mai 2022, où il a remporté un prix spécial).

Les prix sont une autre raison d’attirer l’attention sur la guerre en Ukraine et sur ceux qui en sont coupables. Il est important de ne pas l’oublier pour que cela ne se reproduise plus jamais. Au début de « 20 jours à Marioupol », on demande aux journalistes, qui embêtent souvent les gens avec leurs caméras à des moments inutiles : « Pourquoi faites-vous ça ? » Et la réponse vient naturellement : « Nous sommes dans une guerre historique et il est impossible de ne pas la documenter. »

Dans la suite du film, les auteurs communiquent moins avec les témoins oculaires, enregistrant simplement l’horreur, pour laquelle il est difficile de trouver les mots justes : « Ça fait mal, ça fait mal à regarder, mais ça doit être douloureux à regarder. » Mstyslav Tchernov décrit son état et sa tâche comme suit : « Mon cerveau aimerait l’oublier, mais la caméra ne le permettra pas. » Les journalistes «enregistrent» objectivement comment l’humeur des habitants ordinaires change en peu de temps: de la confusion et de la panique au désespoir et à la colère. Et comment le manque d’informations pendant le siège conduit au fait que de temps en temps certains s’exclament : Marioupol est bombardée par l’armée ukrainienne et c’est de sa faute s’il n’y a pas de couloir humanitaire ! Mais aucune des personnes interviewées dans le film ne dit qu’elle aimerait vivre en Russie. Un souhait commun exprimé à plusieurs reprises par différentes personnes : que ce soit fini au plus vite (« Je veux rentrer chez moi. Je veux aller travailler. Je ne veux pas mourir ici »).

PHOTO : Mstyslav Tchernov

Mais les images les plus effrayantes proviennent des hôpitaux, où les journalistes sont restés le plus longtemps, car ils ont longtemps été considérés comme les endroits les plus sûrs. Jusqu’au moment où la Russie a bombardé une maternité et ensuite, avec une ruse démoniaque, a « prouvé » que les vidéos qui y étaient montrées étaient des faux et des mises en scène ukrainiennes. Mstyslav Tchernov et ses collègues étaient présents dans le bâtiment et ont ensuite essayé de retrouver les personnes qui avaient été secourues. Hélas, toutes les femmes enceintes n’ont pas survécu ce jour-là.

Il est très difficile de regarder les images des enfants mortellement blessés, avec mention de leur prénom et de leur âge : Evangelina (4 ans), Ilya (16 ans), Kyryl (18 mois)… Et à la fin du film, un médecin conduit également une personne munie d’une caméra vers un bébé mort dans une morgue improvisée, car il n’y a pas de place à l’hôpital. C’est dur, mais il faut qu’il en soit ainsi, pour qu’on ne l’oublie jamais. Et Mstyslav Tchernov, qui commente les images, mentionne constamment que quelque part en dehors de Marioupol, ses deux filles, « nées dans un monde en guerre, » sont toujours en vie.

Volodymyr, un simple soldat ukrainien, a aidé l’équipe pendant l’essentiel du tournage car il était convaincu que « lorsque le monde verra cela, il comprendra le sens de cette horreur. » Et il blâmera à juste titre la Fédération de Russie.

« 20 jours à Marioupol » est monté comme une répétition des épisodes. Dans un premier temps, le filme montre ce que les journalistes ont pris et ont pu envoyer à leur rédacteur en chef quand il y avait une connexion. Et dans un deuxième temps les mêmes plans, mais en version abrégée, qui ont été utilisés par les agences de presse internationales. Et cela donne un effet supplémentaire de loupe, quand on voit la même chose, mais avec les yeux de quelqu’un d’autre, en regardant d’autres détails.

PHOTO : Mstyslav Tchernov

L’un des médecins de « 20 jours à Marioupol » dit que la guerre est comme une radiographie qui rend tout visible : les bons deviennent meilleurs et les méchants empirent. Mstyslav Tсhernov saisit à la fois les premiers (personnels hospitaliers, militaires et policiers) et les seconds (pilleurs) dans l’objectif de la caméra d’une manière apparemment impartiale, mais avec beaucoup d’émotion, car le chaos est une épreuve difficile pour absolument tout le monde.

À la fin, les journalistes remercient leur sauveur, Volodymyr, et il les remercie d’avoir raconté l’histoire de sa Marioupol. Pendant la guerre, certaines villes ukrainiennes sont devenues des symboles, et certaines ont disparu. Il y a des villes, il y a des héros, il y a des « villes-héros ». Il est important de se souvenir de tous les héros et de ne pas oublier ceux qui ont obligé l’Ukraine à transformer ses enfants en héros. L’ennemi doit être soigneusement documenté et montré dans toute sa laideur. D’abord, ce sera nécessaire pour le tribunal, puis pour l’histoire, dont vingt jours dans la ville balnéaire ont été enregistrés en détail par Mstyslav Tchernov et ses co-auteurs.