Les réfugiés internes : comment ils vivent en aidant les autres

Société
19 avril 2024, 08:39

Lyudmila Sirko, une juriste originaire d’Energodar, sur la rive droite du Dniepr, directrice de l’organisation publique « Le cercle de famille/ L’expertise sociale» (Сімейне коло/Громадська експертиза), responsable adjointe de l’administration militaire du village de Blagovichtchinske, assure une assistance juridique gratuite aux personnes déplacées. Elle soutient les gens dans l’occupation. L’entreprise familiale qu’elle possédait avec son mari Volodymyr Sirko a été « nationalisée » par les occupants, et leur maison ravagée. Lyudmila a raconté à Tyzhden comment elle a créé une association et obtenu de nombreuses aides pour ouvrir une cantine sociale à Zaporijjia.

« Notre hôtel à Energodar et la colonie de vacances « Lazourna Rajduga » (Arc en ciel azur) ont été « nationalisés » par les envahisseurs. De la maison, il ne reste que les murs », témoigne la jeune femme. « Chaque été, pendant la saison des vacances, plus de trois mille enfants venaient se reposer chez nous. Chaque mois, 147 personnes travaillaient pour s’occuper d’eux. Après le 24 février, les Russes ont tout dévalisé. Le camp de vacances comprenait cinq hectares : ateliers, cantines, poste médical et bâtiments où vivaient les enfants. Le matériel de bureau a été volé, mais aussi les armoires et les lits. Pourquoi sortir les lits des enfants et les abandonner à vingt mètres de là ? », s’étonne Lyudmila.

Elle dit que du camp, il ne reste que les murs. L’hôtel à Energodar a été « nationalisé de force », lui aussi, en avril 2022. La famille Sirko est nombreuse, leurs trois grands enfants ont quitté la maison. Le 24 février, Lyudmila et Volodymyr ont quitté Energodar avec leurs deux dernières, des jumelles, pour être accueillis chez des connaissances à Delyatyn, dans la région d’Ivano-Frankivsk [ouest de l’Ukraine – ndlr]. Le village s’est beaucoup mobilisé. « Au début de l’invasion, le village de Delyatyn comptait environ 2 500 personnes déplacées dans sa communauté, alors que sa propre population s’élevait à près de 8 000 personnes seulement », raconte Lyudmila,

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Énergique et combative, elle n’est pas resté inactive. Dès le premier jour, elle s’est mise à organiser un espace pour les enfants dans la Maison du Peuple du village, qui a été transformé plus tard en centre humanitaire. « Pendant trois semaines, nous avons reçu des colis de toute l’Ukraine », se souvient-elle. Des peluches, des jeux de société, des ballons, des poupées sont arrivés de partout.

Photo: Lyudmila Sirko

« Dans chaque maison ou presque, les gens ont accueilli des réfugies internes. Mais si c’est une chose d’héberger des adultes, c’est plus difficile avec les enfants. J’ai publié un message sur mes réseaux sociaux: « Aidez-nous à organiser un centre de loisirs! » Et la solidarité que nous avons ressentie a été immense ».

Lyudmila est spécialiste dans les affaires familiales et, avant l’invasion à grande échelle, elle était conseil juridique à Energodar et dans la région de Vassilivka et de Zaporijjia. Elle a poursuivi cette activité dans le village Delyatyn. L’association « Le cercle de famille/L’expertise sociale » offre par le biais de Telegram une assistance gratuite aux personnes déplacées et aux habitants des territoires occupés.

Selon Lyudmila, « la plupart des gens se sont adressés à nous pour des questions familiales, car la guerre a séparé beaucoup de familles. Les crises qui existaient avant l’invasion sont devenues plus aigües : déplacements d’enfants à l’étranger, divorces, privation des droits parentaux, détermination du lieu de résidence des enfants… Il y a aussi eu des demandes concernant la vente de biens immobiliers dans les territoires temporairement occupés ».

Photo: le travail d’association à Delyatyn

« Nous avons aidé les citoyens des territoires temporairement occupés. Après le début de l’occupation d’Energodar, le 2 mars, les juristes, les notaires et les juges ont suspendu leur activité en ville. Tout était bloqué et nous avons conseillé les gens par téléphone et en ligne, mais aussi par le biais de Telegram. Les gens nous ont beaucoup écrit et téléphoné ».

La famille a vécu pendant un an à Delyatyn, puis est revenue à Zaporijjia. Lyudmila est devenue responsable adjointe de l’administration militaire du village Blagovichchinske. La décision a été difficile à prendre, car à Delyatin, ils avaient la possibilité d’inscrire leurs filles à l’école maternelle, alors qu’à Zaporijjia, qui se trouve à 130 kilomètres de la ville occupée d’Energodar, cette possibilité n’existe pas.

Malgré les risques, la famille a décidé de se rapprocher de sa ville natale. À Zaporijjia, Lyudmila a également contribué à la mise en place d’un quartier général humanitaire pour les personnes déplacées. Elle explique que l’expérience du siège de Delyatyn l’a beaucoup aidée, même s’il y a des différences : elle a dû à nouveau établir des partenariats avec des fondations, car beaucoup de celles qui travaillent dans l’oblast d’Ivano-Frankivsk ne travaillent pas à Zaporijjia, et vice-versa.

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Le centre fonctionne de la même manière qu’à Delyatyn : d’abord la satisfaction des besoins de base, puis l’intégration des personnes déplacées dans la communauté de Zaporijjia. « En particulier, nous veillons aux loisirs des enfants. Il y en a 140 de mois de 18 ans dans notre communauté », précise Lyudmila Sirko.

Avec pas mal de difficultés, le processus éducatif en ligne a été lancé, les enfants qui vivent dans les territoires occupés peuvent même se joindre aux cours. « Pour l’avenir, la principale priorité est de fournir des conseils gratuits à ceux qui ont été forcés de quitter leur maison. Notre objectif est d’apprendre à nos personnes déplacées à formuler des demandes de subvention et à recevoir de l’argent », évoque Lyudmila.

Avant l’invasion à grande échelle, le couple Sirko organisait des repas quotidiens pour 500 enfants dans la colonie de vacances. Ils géraient une rotation de 38 cuisiniers. C’est ainsi que le couple a appris à faire marcher une cantine. Quand la famille est retournée à Zaporijjia, dans le même temps, trois jeunes cuisinières sont arrivées dans la ville. Alors le mari de Lyudmila a fondé une cantine sociale où travaillent essentiellement les personnes déplacées, en invitant aussi ces nouvelles venues.

« Nous avons fait une demande de subvention pour ouvrir une cantine sociale et, en attendant la réponse, nous avons visité tous les établissements de ce type à Zaporijjia. Nous avons goûté, nous avons analysé les prix. Aujourd’hui, à Zaporijjia, le niveau de vie de la population est très bas. Sur une population de plus de 700 000 habitants, 230 000 sont des personnes déplacées. Les conditions de vie de la population locale restent difficiles : de nombreuses entreprises ont quitté la ville, beaucoup sont fermées en raison des bombardements constants, et il n’y a plus de création d’emplois. Un autre groupe auquel nous avons prêté attention est celui des militaires en transit. Ils ont souvent besoin d’un repas rapide et bon marché », explique Lyudmila.

La cantine emploie aujourd’hui neuf Ukrainiens qui ont été obligés de quitter leurs maisons. Les prix sont plus qu’abordables: un repas complet coûte en moyenne 120 hryvnias (moins de 3 euros).
Mme Sirko assure que « si vous ne faites rien de vous-même, il ne faut pas espérer d’aide, car personne ne croira en vous. Il faut se lancer et l’aide viendra. La victoire dépend de chacun d’entre nous. Alors, les projets sociaux sont de bons moyens pour s’en rapprocher».