Les Bibliothèques d’Ukraine, encore plus nécessaires mais victimes collatérales du conflit

Société
24 avril 2024, 15:46

Depuis février 2022, les bibliothèques sont devenus des dortoirs, des centre de distribution d’aide humanitaire. Elles demeurent des lieux de transmission indispensables, d’autant plus que de nombreux lecteurs cherchent à lire en Ukrainien. Mais elles sont aussi des cibles: plus de 130 d’entre elles ont été entièrement détruites.

Le 12 novembre 2023, la plus grande bibliothèque de la ville de Kherson a été détruite par des bombardements russes. La frappe a provoqué un incendie que les sauveteurs ont mis plus d’une heure et demie à éteindre. Puis le 13 janvier 2024, la photo d’un livre brûlé sur l’histoire de l’Ukraine, laissé dans un appartement endommagé lors d’une attaque de missiles russes, a été activement partagée sur les réseaux sociaux. Il existe de nombreux autres exemples de ce type. Tous témoignent de la façon dont la Russie tente de détruire l’identité ukrainienne sous sa forme la plus durable : les livres.

Photo : @u24.gov.ua

Après le 24 février 2022, la plupart des espaces publics en Ukraine se sont devenus des abris temporaire pour des dizaines de milliers de personnes déplacées, mais aussi des cuisines, des entrepôts, des centres de tri… Les bibliothèques ne font pas exception. En plus de conserver des livres, elles sont devenues des dortoirs, des centres d’information, des espaces de travail notamment lors des coupures de courant ou encore des point relais pour l’aide humanitaire.

La bibliothèque de Kherson après le bombardement. Photo: mcip.gov.ua

Leur transformation s’est produite tout naturellement : les gens qui passaient quotidiennement devant savaient qu’ils pouvaient à la fois y venir pour aider et demander de l’aide. Les bibliothèques sont devenues ces lieux de socialisation pour les enfants sortis de la zone de combat et des centres de documentation sur les crimes de guerre russes. Citons par exemple, la bibliothèque publique de Boutcha qui a créé ce service l’année dernière.

Lorsque les Russes ont fait sauter le barrage de la centrale hydroélectrique de Kakhovka, les bibliothèques sont devenues les centres d’accueil les plus efficaces pour les victimes de la catastrophe. Durant la même période, ce sabotage russe a lui-même entraîné la destruction définitive de dix bibliothèques de la région.

Un autre effet de la guerre est à mentionner: les bibliothèques de toute l’Ukraine se sont séparées de 11 millions de livres en langue russe en 2022. Cependant, dans la même période, les institutions ne se sont pas enrichies de nouveaux livres en langue ukrainienne. Selon Oksana Brouy, directrice de l’Association pan-ukrainienne des bibliothèques, leur financement et l’acquisition de nouveaux livres sont actuellement au point mort.

« En 2023 et 2024, aucun fonds n’a été alloué aux bibliothèques publiques. Quant aux achats centralisés de livres par l’État par l’intermédiaire de l’Institut ukrainien du livre (UIK), ils ont aussi été arrêtés. Et tout ceci est dû à de la guerre qui règne dans le pays. De plus, l’UIK accorde en général des subventions aux éditeurs pour la publication de nouveaux livres, qui sont ensuite remis gratuitement aux bibliothèques. Mais aujourd’hui, les livres manquent », déplore-t-elle dans son entretien à TheUkrainianWeek/Tyzhden.fr.

Des bénévoles tentent de remplir les bibliothèques de livres ukrainiens. Ils partagent des collections personnelles pour en faire profiter des centaines de lecteurs dans l’espace public. Certains collectent les livres auprès de personnes intéressées, ou les achètent avec l’argent de donateurs, puis les transmettent aux bibliothèques.

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« Nous avons besoin d’action bénévole : les Ukrainiens contraints de partir à l’étranger après le début de l’invasion à grande échelle demandent des livres. C’est tout un symbole: un objet qui ne faisait pas partie des produits de première nécessité au sens classique du terme devient un soutien pour les populations réfugiées loin de l’Ukraine », expliqué à The Ukrainian Week/Tyzhden Oleksandra Yaroutchyk, responsable des projets et des programmes de la bibliothèque de l’Université catholique de Lviv.

Plus récemment, Oleksandra a lancé un nouveau projet « Je veux lire ». Il s’agit de garnir les espaces de lecture d’écoles, de bibliothèques et de centres éducatifs d’Ukraine qui ont été touchés par des opérations militaires. « Nous avons aidé dans les régions de Kyiv, Kharkiv et Mykolayiv. Transmettre l’histoire culturelle locale, partager les différences régionales avec les uns et les autres est très important. Des personnes qui ne se sont jamais vues dans la vie réelle approvisionnent tout un réseau d’espace de lecture commun. Et ce réseau ne cesse de se développer. Nous soutenons les donateurs de livres en leur permettant d’utiliser la bibliothèque de l’Université catholique ukrainienne. Et eux, en contrepartie, ils soutiennent les enfants de Kharkiv et Kyiv, c’est un véritable échange », raconte Oleksandra.

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L’espace de lecture permet aux lecteurs d’y choisir des livres sous l’oeil de bibliothécaires. « Ils sont responsables de la conservation des livres », explique Oksana Brouy. Et elle ajoute que « Nous avons besoin de programmes éducatifs, d’une réforme de l’ensemble du secteur et notamment de revaloriser les salaires ».

En temps de guerre, la mémoire prend une importance particulière. Chacun cherche à se souvenir des êtres chers, du temps où il était en sécurité, de ce qu’il a vécu mais aussi de ce qu’ont traversé les générations précédentes. Les bibliothèques contribuent non seulement à préserver cette mémoire, mais aussi à la transmettre. Les bibliothèques se sont adaptées aux réalités de ce temps de guerre, en devenant des espaces de vie universels. Notre conscience évolue également : lorsque nous protégeons un livre, nous préservons l’avenir et la possibilité de transmettre ce passé.