Serhiy Demtchouk rédacteur en chef du journal Tyzhden

Mon enterrement de vie de garçon, c’était dans un abri anti-aérien

Guerre
15 février 2024, 18:54

Dans la capitale ukrainienne, la vie continue, malgré les bombardements: les gens vont au travail, au magasin, et se marient. Serhiy Demtchouk raconte comment il a vécu la nuit précédent son mariage.

Ce soir-là, Kyiv a été à nouveau bombardée. Tout comme les régions de Mykolaiv, Kharkiv, Lviv, Dnipro… Même si n’est rien comparé à ce qui se passe sur le front, la défense anti-aérienne a abattu une bonne vingtaine de missiles au-dessus de la capitale. Alors à six heures, avec ma femme enceinte de neuf mois nous sommes descendus au sous-sol de notre immeuble.

C’était la veille de notre mariage. Certain, ce jour-là, enterrent leur vie de garçon ou de jeune fille. Ils se retrouvent en famille, ou avec des amis. Ils se préparent pour le jour à venir. Nous, nous l’avons passé dans l’abri.

Le nôtre est assez confortable : nous avons quelques canapés, chaises et matelas sous les murs pour pouvoir les poser par terre et s’asseoir s’il y a beaucoup de monde.

Mais en général, il n’y a pas beaucoup de gens, juste assez pour occuper tous les canapés et les chaises. Parfois, certaines personnes restent debout si les bombardements sont longs et intenses, comme cela a été le cas le 29 décembre. Les gens avec des enfants viennent le plus souvent. Les gens avec des chiens viennent aussi. Et bien nous venons, ma femme enceinte et moi.

Alors, cette fois-ci, nous sommes venus au sous-sol vers 18 heures. Nous y sommes restés environ une heure. Nous avons entendu les premières explosions. Un peu plus tard, on a annoncé qu’il n’y avait plus de missiles dans l’espace aérien, à l’exception du missile qui approchait la frontière polonaise. Nous sommes donc rentrés chez nous, au 16ème étage, avec l’espoir de dormir un peu, mais une nouvelle alerte nous en a empêché : un autre groupe de missiles était déjà en vol vers Kyiv.

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Nous avons ainsi décidé de redescendre. Pendant que nous nous habillions, nous avons entendu des explosions. Il fallait se dépêcher. Dans le refuge, nous avons retrouvé les mêmes personnes. Après une autre explosion, une femme blonde est entrée en courant. C’était la vendeuse de la boutique du rez-de-chaussée que tout le monde connaît. Elle s’est plainte d’un ivrogne qui lui avait demandé un gin tonic gratuit au petit matin, en vain.

C’est à ce moment que les premières photos d’une tour en feu dans notre quartier ont été publiées sur les chaînes Telegram. Après une demi-heure de silence, nous avons décidé de rentrer à la maison, car il n’y avait plus de missiles dans le ciel et nous avions faim pour le petit-déjeuner. Je suis sorti sur le balcon du 16ème étage et j’ai vu un nuage de fumée noire à plusieurs kilomètres. La maison était en feu : il s’est avéré, plus tard, que quatre personnes avaient été tuées et plus de quarante blessées.

Nous avons préparé des sandwichs au fromage, fait frire des œufs et des saucisses et nous nous sommes mis à table pour le petit-déjeuner. Il fallait penser à la cérémonie, au moment important pour nous, malgré le contexte. Un esprit festif ? Pas vraiment, à vrai dire. Pas vraiment…

Nous sommes descendus pour la première fois dans le sous-sol de notre maison le 29 décembre. Ce jour-là, 88 missiles de croisière ont été abattus dans le ciel de l’Ukraine. Trente-trois personnes ont été tuées dans la capitale. C’était le bombardement le plus violent. Avant cela, nous restions le plus souvent à la maison pendant l’attaque, dans le couloir. Par exemple, le 25 novembre, des explosions ont été entendues toute la nuit – 70 drones kamikaze d’assez grande taille, des Shahed, se dirigeaient vers Kyiv. Et le 29 mai, les débris d’un drone ont touché un immeuble situé en face de chez nous – une voisine au dernier étage a été tuée.

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Le matin du mariage, nous sommes restés dans le couloir en attendant que ça se termine. Car à dix heures et demie, la cérémonie solennelle à la mairie était prévue. Vers neuf heures et demie, nous attendions déjà, mais rien.

Vers neuf heures cinquante, l’alerte a été enfin levée. Nous avons pris une bouteille de champagne, nous sommes montés dans la voiture, nous avons récupéré quelques amis en chemin et nous sommes allés à l’hôtel de ville. Le ciel nous était favorable ce matin-là. Nous avons pu non seulement nous marier, mais aussi célébrer cet événement dans un bon petit restaurant tatare de Crimée.