A Kharkiv, l’école souterraine, un modèle de résistance

Société
7 janvier 2025, 13:06

Maryna Kumeda est écrivaine et journaliste franco-ukrainienne qui a quitté Paris pour Kyiv en 2023. Dans ce texte, elle raconte le quotidien de l’école souterraine à Kharkiv, la ville de l’est de l’Ukraine qui vit sous les bombardements constants.

Le 19 septembre, une bombe planante a atterri entre l’école et la maternelle, faisant un cratère de deux mètres, selon Valentyna Pukhliy, la directrice de l’école. Le toit a été endommagé et les fenêtres soufflées. Mais les enfants n’ont pas eu de cours dans ce bâtiment depuis la pandémie de Covid. Valentyna quitte l’école, qu’elle dirige depuis 23 ans sur les 42 ans dans l’enseignement, et nous emmène dans une nouvelle école souterraine.

L’école a été construite sous terre dans une période éclair : entre septembre 2023 et mars 2024, à l’initiative du maire de Kharkiv, Ihor Terekhov. Le 7 mai 2024, l’école a accueilli les premiers enfants du quartier Industriel. Depuis le 1er septembre 2024, ils sont déjà 1100, de la première à la onzième classe, à la fréquenter. « Il y a eu beaucoup de demandes. Nous avons dû occuper les 20 salles de classe et inscrire jusqu’à 23 enfants par classe », précise Valentyna, qui rappelle que l’école et les repas sont gratuits.

De 9 heures à 15 heures 30, les enfants suivent les cours en deux shifts: le matin avec le repas sur place, les plus petits jusqu’à la cinquième classe, et l’après-midi, les plus âgés. Les enfants restent à la maison deux jours par semaine. Deux écoles souterraines fonctionnent actuellement à Kharkiv – la seconde est ouverte dans les stations de métro, ayant augmenté sa capacité à 3 000 élèves à la rentrée 2024, selon Olga Demenko, directrice du département de l’éducation du conseil municipal de Kharkiv, cité par Ukrinform. Elle note que 53 000 écoliers sont à Kharkiv à l’automne 2024, soit 2 000 de plus qu’il y a un an. Le centre anti-corruption de Kharkiv estime le coût de l’école bunker à 1.4M euros (60 millions d’UAH), soit la moitié du coût d’une nouvelle école en cours de construction à Saltivka (un arrondissement de la ville).

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« C’est une merveilleuse opportunité de travailler en présentiel à notre époque. Voir les yeux des enfants. Lorsqu’ils sont arrivés en septembre, ils étaient sans émotion, effrayés. Maintenant, ils sourient et leurs yeux brillent », explique Alina Kholodova, directrice adjointe et professeur d’anglais, qui travaille à l’école depuis 2014 et admet que la charge de travail est importante.

Des affiches intitulées « Règles d’un vrai Ukrainien » ornent les couloirs blancs aseptisés, avec des indications au sol pour la cafétéria, les toilettes et la sortie. Parmi ces règles, on trouve : « être honnête », « soutenir les forces armées » et « être fier d’être ukrainien ».

Juste derrière le gardien se trouve une salle de sécurité. Au mur, des affiches sur le danger des mines et des dangers numériques, les règles de comportement lors d’un raid aérien, les risques liés à l’eau et au feu. Sous la maquette d’une poitrine, il y a un petit modèle d’appareil de respiration artificielle. Sur les étagères, on trouve un gilet pare-balles pour enfant, des maquettes de chars d’assaut et des jeux Lego avec des voitures de police. Tout porte le logo de l’USAID, le principal bailleur de fonds du projet.

Les cours ici sont dispensés par des médecins, des représentants du service d’urgence de l’État, des policiers scolaires et des organisations caritatives telles que la FSD (Fondation suisse de déminage), etc. « Qu’est-ce que je ressens ? Tout le monde a le même sentiment, mais les enfants doivent savoir que cela existe et qu’ils ne doivent pas ramasser les mines. Lorsque nous présentons ces maquettes, nous ne permettons pas aux enfants de les toucher, mais seulement de les regarder, afin qu’ils ne prennent pas l’habitude ».

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Dans la salle de conférence voisine, on prépare les fêtes de fin d’année. Les cadeaux et le Père Noël avec ses rennes et son traîneau sont disposés devant l’arbre de Noël.

Au début de l’invasion, l’école terrestre est devenue un hab humanitaire, et les employés – des bénévoles pour distribuer l’aide humanitaire : de la nourriture pour bébés, des vêtements pour les personnes déplacées. « Il n’y a pas eu un jour où nous ne sommes pas allés travailler. Au début, nous avons aidé, puis nous avons continué à enseigner aux enfants à distance, et maintenant tout le monde travaille dans cette école souterraine », explique Valentyna, qui a dû chercher à embaucher la moitié des 80 enseignants de l’école souterraine pour compléter son équipe.

Dans la salle dédiée, l’éducateur social Ihor Shtankevskyi, 25 ans, attend les enfants avec des besoins éducatifs spécifiques. L’école compte 7 enfants avec des troubles autistiques qui sont répartis dans les classes ordinaires ainsi que d’autres enfants souffrant de troubles du développement ou de troubles musculo-squelettiques. La salle est équipée des outils les plus avancés: un sol et un bac à sable interactifs, « pour développer leurs fonctions et leurs compétences cognitives, la perception, l’attention, l’imagination, la mémoire et l’activité motrice de l’enfant ». Dans le bac à sable, les enfants peuvent déterrer des trésors (par exemple, des amphores), ou l’utiliser pour étudier la géographie, la biologie et l’histoire. Le tableau busy-board simule les gestes de base comme l’ouverture d’une porte ou l’allumage de la lumière.

Ce diplômé de l’Académie des sciences humaines et pédagogiques de Kharkiv précise : « Les enseignants amènent également un enfant s’ils constatent qu’il a des écarts en classe ou si l’enfant est anxieux, par exemple, comme aujourd’hui, après le bombardement du matin, pour soulager le stress. L’enfant peut marcher sur le sol pour se calmer, avec un accompagnement musical et les couleurs spécialement choisies. Les poissons vont réagir ».

Valentyna fait remarquer : « Les enfants qui restent ici à Kharkiv sont habitués aux alertes aériennes, même si ce n’est pas bon. Lorsque l’alarme retentit, ils continuent à jouer dehors. On ne peut pas empêcher cela. Ce n’est pas facile pour un enfant de rester au sous-sol, il faut qu’il bouge ». Le 28 août, six enfants de l’école ont perdu leurs appartements et ont dû déménager. Un enseignant a eu toutes les vitres brisées et sa voiture incendiée.

Dans le cours de l’Ukrainien de deuxième année, l’enseignante finit la dictée et les enfants, vêtus de différentes nuances de jaune, la couleur du jour, commencent à s’agiter. « Veuillez ranger vos cahiers et vos livres », dit l’enseignante. La fillette précise : « Maintenant, c’est la lecture ». « Quelle lecture ? C’est l’heure du petit-déjeuner », s’indigne une autre. « Nous mangerons d’abord et nous lirons ensuite », la rassure l’enseignante. « C’est la dernière leçon ! », crie joyeusement un garçon du fond de la classe. La sonnette retentit. Aujourd’hui, au menu, le plat préféré – le hamburger. « J’aime les repas complets – une milanaise, du riz et une salade de légumes », dit Sofiika, de la classe 4b. Elle est arrivée ici avec ses amis de l’ancienne école. Elle trouve que les études et les examens sont faciles.

Dans une autre salle, où l’on peut lire ou discuter avec des copains, où les téléphones ne sont pas autorisés, commence un cours de gestion du stress avec une organisation humanitaire polonaise. Les animateurs proposent quelques exercices d’échauffement, puis vont montrer aux enfants des images – par exemple, d’une montagne – et analyser leur état émotionnel. Ensuite, ils feront de l’origami. « Les enfants des territoires occupés, où nous étions hier, dans le village de Vasylenkovo, sont dans un état bien pire », explique l’animateur.

« En plus des ordinateurs, la salle informatique est équipée d’une imprimante 3D. Les élèves ont embarqué leur premier produit – des marteaux rouges – pour le montrer à leurs parents. Les enfants se sentent très à l’aise ici. L’école est très demandée. Les enfants reviennent aussi pendant les vacances, pour suivre des cours de programmation et de robotique, pour rattraper les lacunes, et pour se préparer aux examens nationaux », explique la directrice.

Dans la cantine située juste derrière le cabinet médical, un garçon achète un petit pain, affamé avant le déjeuner.

« Je suis heureux que mes professeurs et moi ayons la possibilité de donner des cours en présentiel, car les cours à distance limitent la communication avec les enfants. Ici, tout est comme avant, nous n’avons pas l’impression d’être sous terre, à l’exception de l’absence de fenêtres », conclut Valentyna.

Le reportage a été réalisé pendant la résidence à la maison Slovo du musée littéraire de Kharkiv.