Notre correspondante, Kateryna Léonova, vit à Dnipro. Dans cet article, elle partage son expérience de maman et celle d’autres jeunes femmes qui emmènent leurs enfants à l’école sous les bombardements depuis 2 ans et demi.
J’aimais aller à l’école parce que c’était l’occasion de faire de nouvelles découvertes dans le domaine des sciences, des langues ou de la littérature. J’appréciais aussi le jeu dans lequel nous nous répartissions les rôles avec mes camarades de classe. Cela nous aidait, mes amis et moi, à nous adapter à nos pairs et nous préparait à la vie adulte. Bien sûr, c’était inconscient, et toutes les personnes ne se sentent pas forcément à l’aise dans un tel jeu. Ayant moi-même un enfant et discutant avec d’autres parents, je comprends à quel point notre enfance était sûre et confortable. Nos enfants ont eu moins de chance, la faute à la pandémie et à la guerre.
Nos enfants naissent et grandissent dans le stress et l’incertitude, et pire encore, entourés de pertes brutales et d’anxiété. À mon avis, les enfants nés au cours des deux dernières décennies ont davantage le droit d’être choyés, pour pouvoir connaître le vrai bonheur de l’enfance. Certains parents ont emmené leurs enfants à l’étranger dès que la guerre totale a commencé. C’est leur droit et leur choix. Les autres ont décidé de rester en Ukraine, ce qui impose de grands défis et responsabilités, ainsi qu’un grand respect. Je vous présente quelques familles qui n’ont pas quitté l’Ukraine.
Sofia Bogutska, journaliste, mère d’Anna, élève en CP à Dnipro :
« L’idée de partir pour un endroit plus sûr en Ukraine n’est venue qu’au début de l’invasion à grande échelle. Ma famille n’envisageait pas du tout de partir à l’étranger. Dans les premiers jours de la guerre totale, les gens ont quitté Kharkiv en masse. Deux familles de cette ville se sont logées chez nous, à tour de rôle. Et nous, nous sommes restés à Dnipro.
Ma fille Anna – elle avait trois ans et demi à l’époque – a cessé de fréquenter l’école maternelle car celle-ci avait fermé. Plus tard, l’éducation est devenue accessible en ligne. En février 2023, Anna a commencé à suivre des cours particuliers d’anglais dans un centre privé. Notre enfant a appris sans effort à compter, à écrire et à lire. J’en suis très heureuse. Parallèlement, nous avons suivi l’école maternelle en ligne. Depuis avril 2024, ma fille est scolarisée dans une école publique. C’est là que mon mari a fait ses études, l’école n’est pas loin de chez nous et il y a un abri anti aérien. Lors des alertes aux raids, des parents font des permanences à tour de rôle, pour aider à organiser la descente des élèves vers l’abri plus rapidement.
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Il est très important que les enfants aillent à l’école et communiquent avec leurs pairs et les adultes. À la question « Préfères-tu dessiner sur YouTube ou avec maman ? », le fils de mon amie a répondu : « Avec maman, papa, grand-mère et oncle Tolik parce qu’il est artiste ».
J’ai récemment emmené mon fils en excursion dans une école maternelle privée. La seule chose qui m’a troublée, c’est qu’il n’y avait pas d’abri. Mais l’établissement est ouvert et très actif. Ils ont une salle sans fenêtre où ils mettent tous les enfants derrière deux murs en cas d’attaques massives. D’un côté, ce n’est pas très sûr, mais d’un autre côté, en cas d’attaque directe, y a-t-il un endroit où l’on soit véritablement en sécurité ?
Olena Chupryna, mère de Bohdan, élève en CP, épouse d’un soldat disparu :
« J’élève seule mon fils de 7 ans. Il se trouve que l’année dernière, ma mère est décédée, mon mari a disparu à Bakhmout, et Bohdan et moi sommes restés seuls. Je passe la plupart de mon temps au travail et le choix de l’école était donc très important pour moi. Je devais tenir compte de l’emplacement, du projet pédagogique et vérifier si l’école disposait de classes primaires et d’abris. Sur les deux écoles de l’arrondissement, l’une est en ligne et l’autre hors ligne, mais il n’y a pas de classes primaires.
Nous avons eu beaucoup de chance : j’ai trouvé une école près de mon travail. Et c’était le jackpot : en présentiel, il y a des classes primaires à 10 minutes de chez moi. Bien sûr, avant de postuler, j’ai demandé à d’autres parents ce qu’ils pensaient de l’école, et l’un des aspects les plus importants était la sécurité de l’enfant. J’ai accordé une attention particulière à cette question : je me suis renseignée pour savoir s’il y avait un refuge, dans quel état il se trouvait et s’il serait sûr ! »
La question de la sécurité sur le chemin de l’école est également pertinente en raison des problèmes d’éclairage lors des coupures de courant et des alarmes fréquentes. Les enseignants soulignent également l’importance du soutien psychologique, car beaucoup d’entre eux sont stressés par la guerre et l’incertitude. Malgré ces défis, la communauté enseignante s’efforce de s’adapter aux nouvelles conditions en introduisant l’apprentissage à distance et l’apprentissage mixte.
Yulia Dmitrova, mère de trois enfants :
« J’ai décidé que mes fils aînés devaient aller à l’école en présentiel. Après trois ans passés devant un ordinateur et à la campagne, ils avaient des problèmes de socialisation. Dire que je suis satisfaite de la qualité des écoles en termes de sécurité serait une exagération, la qualité de l’éducation n’est pas optimale en raison de l’anxiété constante, mais les enfants font partie de la société et apprennent y vivre, il y a une concurrence saine dans l’apprentissage, il est plus facile pour les enfants de savoir ce qu’ils veulent faire ensuite.
Natalia Rekunenko, journaliste et enseignante, mère de Nazar, 12 ans:
« Nous avons quitté Dnipro pour nous installer dans un village lorsque notre fils avait un an et demi. Lorsqu’il a été temps pour lui d’aller à l’école, mon mari et moi avons décidé qu’il terminerait l’école primaire ici (parce qu’il avait un excellent instituteur) et irait à l’école secondaire à Dnipro, parce que la qualité de l’enseignement dans une école urbaine est toujours meilleure que dans n’importe quelle école rurale. Mais Nazar est resté à l’école du village ».
Grâce à des cours et publications sur la psychologie, de nombreux parents se sont déjà préparés, ainsi que leurs enfants, à des situations de crise. Il s’agit notamment de techniques de respiration, de médicaments simples dans des trousses de premiers secours, d’autocollants ou d’un sac contenant des copies de documents au cas où l’enfant se perdrait. De plus, les mères, les grands-mères et même les pères qui sont militaires soutiennent les enfants sur le plan émotionnel et les aident à rester calmes. Certains enfants ont même réussi à vivre dans d’autres pays avant de retourner dans leur Ukraine natale.
Mykola, soldat des forces armées ukrainiennes, est le père d’un enfant de quatre ans, Mykhailo :
« Notre expérience a commencé à l’automne 2023. Ma femme et le bébé ont passé tout le printemps et une partie de l’été à l’étranger. Il était difficile de rester seul avec un enfant en bas âge, à la fois physiquement et psychologiquement. Après mon retour à l’été 2023, mes parents m’ont un peu aidé à m’occuper de l’enfant. Ensuite, j’ai été transféré dans une autre unité. Immédiatement après le transfert, j’ai été envoyé en formation à Kyiv, et ma femme et mon enfant sont venus avec moi, ce qui a été une excellente occasion de passer au moins un peu de temps ensemble et d’aider au quotidien avec le petit.
Nous sommes rentrés de ma formation, j’ai rejoint mon unité pour continuer mon service, et ma femme a commencé à se préparer pour envoyer notre enfant à l’école maternelle. Nous avons acheté de nouveaux vêtements pour le petit et attendu l’ouverture de l’école maternelle publique, qui n’a jamais eu lieu. Alors, nous avons donc décidé d’envoyer notre enfant dans une école privée.
Heureusement, tout s’est bien passé, Mykhajlo s’est vite intégré, et quelques jours plus tard, il y est allé pour une demi-journée, et la deuxième semaine, pour toute la journée. Comme l’école est privée et qu’il n’y avait pas de vacances ou de congés, nous n’avons pas à nous préparer à la « nouvelle année scolaire ».
Aujourd’hui, de nouveaux cours sont introduits dans les écoles, comme un cours actualisé sur la « défense de l’Ukraine » et des leçons de sécurité sur les mines et les incendies. Dans les maternelles, les enfants des groupes les plus âgés apprennent également à connaître les objets qu’il ne faut pas toucher ou qui doivent être signalés à leurs parents s’ils sont trouvés.
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Certaines écoles emploient des militaires pour assurer la sécurité des élèves et mener des entretiens préventifs. L’accent est mis sur la création d’un environnement éducatif sûr, y compris la construction d’abris et d’abris anti-bombes. Dans certains cas, les écoles qui ne disposent pas d’abris adéquats peuvent transférer temporairement les enfants dans d’autres établissements d’enseignement où les conditions sont plus sûres. Des bus scolaires sont également mis en place pour permettre l’accès à l’éducation dans les zones reculées.
Les directeurs d’école soulignent l’importance de travailler avec les parents et les élèves pour surmonter ensemble les défis de la guerre et assurer une éducation de qualité même dans des conditions aussi difficiles.
Selon les autorités locales de Dnipro, la plupart des écoles de la région – 618 établissements (76,6 %) – fonctionnent en présentiel et en format hybride. Les élèves peuvent étudier directement dans leurs salles de classe, mais doivent se rendre dans des abris en cas de raids aériens. Dans les écoles où les abris ne sont pas conçus pour tout le monde, les cours se déroulent en deux équipes.
Bella, huit ans
« J’aime beaucoup mon école, ma classe, mes professeurs et mes camarades. J’aime les mathématiques, mais j’aime surtout le dessin, la musique, la danse et l’éducation physique !
Chaque jour, nous entendons la sirène d’alerte aérienne et nous réagissons immédiatement : nous formons des paires et, sous la direction de notre professeur, nous descendons rapidement à l’abri en suivant l’itinéraire prévu. Malheureusement, nous devons interrompre nos cours pendant un certain temps, mais après le déclenchement de l’alarme, nous nous remettons au travail ».
Il est très important que nous nous rappelions tous que l’éducation en temps de guerre est un processus que nous devons soutenir et maintenir en fonctionnement, car l’absence d’une éducation de qualité et d’un niveau de culture adéquat a massivement prédisposé nos voisins à la formation d’un certain esprit de destruction, qui a contribué à la guerre actuelle.
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Nous seuls, adultes, sommes responsables du niveau de connaissance et de la capacité à gérer les rêves de nos enfants. Je ne veux vraiment pas manquer ce moment, même face à des attaques de missiles. À cet égard, je trouve personnellement très utiles les publications de psychologues professionnels, comme Svitlana Royz et Larysa Didkovska, qui vivent la guerre, tout comme nous, ou les conférences d’aumôniers militaires. De même que de bons articles analytiques rédigés par des militaires professionnels, qui ne sont pas seulement des théoriciens mais aussi des combattants qui expliquent la situation sur le front de manière plus ou moins objective aux gens ordinaires.
L’année scolaire pour les enfants est en quelque sorte le début d’une nouvelle courbe d’apprentissage pour les parents aussi, qui doivent suivre le rythme de développement de leurs enfants et veiller sur l’équilibre psychologique dans les familles.