L’Ukraine a modifié la date à laquelle les habitants fêtent Noël. Elle est passée du 7 janvier au 25 décembre. Ce changement s’explique par le désir des Ukrainiens de rejeter tout ce qui est russe, y compris les dates des fêtes communes. C’est le 14 juillet 2023 que la Verkhovna Rada [Parlement – ndlr] d’Ukraine a adopté la loi visant à modifier la date de Noël. Depuis, une grande partie des Ukrainiens a rejoint le reste du monde pour le fêter le 25 décembre, tandis que d’autres s’apprêtent à faire « comme d’habitude », le 7 janvier.
En Ukraine, il n’y a pas de Noël sans un « vertep », un spectacle de rue racontant l’histoire de la naissance du Christ, et des chants de Noël, « koliadky ». Bien qu’avec le temps et l’influence de l’urbanisation, le « vertep » soit de moins en moins joué lors des célébrations de Noël, il reste un symbole important de la culture ukrainienne.
Aujourd’hui « vertep » et « koliadky » sont associés à des coutumes rituelles orthodoxes et gréco-catholique, principalement ukrainiennes. Cependant, ces phénomènes ont commencé à émerger avant même l’avènement de la foi chrétienne et loin de l’Ukraine. Les origines de la crèche de marionnettes remontent à la Grèce antique (à la même époque, les Romains ont adopté l’art du théâtre de marionnettes des Grecs).
Dans les terres ukrainiennes, la tradition des spectacles folkloriques de Noël sur les places des villes est établie depuis le XVIe siècle. La première mention du « vertep » dans les chroniques historiques remonte à 1667. Le théâtre de la nativité était une structure en bois à deux étages : un drame de Noël était joué à l’étage supérieur et un intermède satirique à l’étage inférieur. La partie « sacrée » avait une composition fixe, tandis que le contenu de l’intermède variait en fonction des traditions locales et de l’habileté de l’interprète.
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Le célèbre écrivain ukrainien Ivan Franko a évoqué à plusieurs reprises le « vertep », notamment dans son ouvrage de 1885 intitulé « Le théâtre ruthène en Galicie » : « Notre peuple aimait les représentations théâtrales depuis longtemps, aux XVIe et XVIIe siècles, lors du premier élan de notre éveil national, comme le prouvent les restes de « verteps» encore vivants et la grande popularité des chants d’église, qui se sont développés sous l’influence de l’ancien théâtre religieux ».
En vieux slave, le mot « vertep » désigne une grotte ou un endroit secret. Les théâtres de la nativité sont apparus non seulement en Ukraine, mais aussi dans de nombreux pays catholiques d’Europe. En Angleterre, ils sont appelées « Nativity scenes », en Allemagne « Weihnachtskrippen ». En Pologne, elles sont connues sous le nom de « Szopka » (de l’allemand Schoppen). En Transcarpatie, le « vertep » est appelée « betlehem », en Italie « belen » (du nom de la ville de Bethléem). Mais ce n’est qu’en Ukraine, à l’époque soviétique, que le vertep est devenu un symbole de résistance et de lutte pour une identité culturelle. Moscou en était bien consciente et procédait à l’arrestation des participants à ces spectacles folkloriques, comme ce fut le cas en 1972 à Lviv et à Kyiv.
Cet esprit de résistance a apparemment contribué au fait que, contrairement à ce qui se passe en Europe occidentale, en Ukraine, le « vertep » reste non seulement une tradition vivante dans de nombreux villages, mais est également populaire parmi les jeunes citadins. Les improvisations humoristiques à partir de scènes de la vie quotidienne forment un sorte d’image de marque pour les Ukrainiens. Parfois, la composante spirituelle disparaît dans les représentations, ne laissant que la composante laïque. Les personnages les plus courants sont l’ange, les bergers, les rois mages, le diable, la mort, le roi Hérode et ses soldats, le cosaque et d’autres encore.
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Les chanteurs de « koliadky » sont généralement récompensés par des friandises ou de l’argent. Les spectacles les plus impressionnants se produisent la veille du Nouvel An, ils sont connus sous le nom de Malanka, célébrée le 31 décembre. Ce jour-là, les gens organisent une « promenades des chèvres » avec des danses, la « mort » et la « résurrection » d’une chèvre, symbolisant le cycle éternel de la nature – mort et renaissance.
Photo: Inna Tonkoshkura. « Un chèvre » visé par le « chasseur »
Les « koliadky » jouent également un rôle important dans la culture ukrainienne. Ces chants folkloriques ont vu le jour à l’époque du paganisme et, avec l’avènement du christianisme, ils sont devenus un symbole de la glorification de la naissance de Jésus-Christ.
Au départ, les païens avaient une fête, Koliada, qui est aujourd’hui célébrée dans la nuit du 24 au 25 décembre. Elle symbolisait le début de la nouvelle année et le passage de l’hiver au printemps, car après le solstice d’hiver (21 décembre), la durée du jour augmente progressivement. Le christianisme a transformé cette fête en soirée sacrée. Elle est célébrée la veille de Noël, le 24 décembre selon le calendrier grégorien et le 6 janvier selon le calendrier julien.
Le matin de Noël, il était de coutume d’aller à l’église et, le soir, de chanter des « koliadky », en souhaitant bonne chance aux hôtes et en recevant une récompense. Les enfants chantaient en premier, suivis des adultes. Les garçons et les filles étaient divisés en deux camps et chantaient séparément. Chaque groupe de chanteurs avait son propre chef et son « porteur de l’étoile de Bethléem », une personne qui portait une étoile, qui connaissait le mieux les chants et avait une voix forte.
Aujourd’hui, les « koliadky », tout comme le « vertep », sont plus souvent représentés dans les villages. Cependant, pendant la période du Nouvel An, on peut les entendre et les voir, en particulier dans le métro de Kyiv, comme le montre la photo.
Et le sapin de Noël alors ?Il est très populaire ! Malgré la guerre, les Ukrainiens installent des sapins de Noël sur les places centrales des villes et des villages. Parce que la capacité de se réjouir malgré les épreuves est aussi une question de lutte, de force d’âme, de résistance et de dignité.
Le « didoukh »
En Ukraine, comme dans de nombreux pays du monde, il est de coutume de décorer sa maison pour les fêtes de fin d’année. Le sapin de Noël est depuis longtemps considéré comme un symbole disons international, mais la version ukrainienne était le « didoukh », une gerbe de produits récoltés (généralement du blé, du seigle ou de l’avoine) décorée de rubans, de fleurs ou d’herbes séchées.
Le « didoukh » symbolise l’esprit des ancêtres qui, selon les croyances, se réunissent dans la maison le jour de Noël. À l’origine, il s’agissait d’une simple gerbe, qui a ensuite été décorée de fleurs de paille. Aujourd’hui, les « didoukh » sont des créations artistiques, mais le matériau reste l’élément le plus important : c’est de la paille. Autrefois, les Ukrainiens pensaient que les âmes des ancêtres qui rentrent chez eux pour la fête s’installent sur les « branches » du « didoukh ». Donc il devait être solide et assez grand.
Selon la chercheuse ukrainienne, Iryna Savtchouk, le « didoukh » était utilisé comme une amulette, bien qu’il n’ait pas été appelé ainsi auparavant, mais on pensait simplement qu’il protégeait le bien-être et la paix de la famille. « On essayait de le fabriquer à partir de la première gerbe de la récolte. Les « didoukh » étaient différents, même d’un village à l’autre, et les traditions de fabrication se transmettaient de bouche à oreille, modifiées en fonction des goûts de l’artisane ou des coutumes d’un village particulier, et transmises de famille en famille. C’est pourquoi il est impossible de dire s’ils sont faits correctement ou non! Personne n’a fixé d’exigences précises, et l’art populaire n’a pas de frontières », a-t-elle expliqué.
La tradition de placer des « didoukh » à l’intérieur des maisons remonte à l’époque pré-chrétienne, lorsque nos ancêtres croyaient qu’une gerbe de céréales abritait des esprits qui protégeaient la famille et lui apportaient la prospérité. Plus tard, le « didoukh » a acquis une nouvelle signification : il est devenu un symbole d’unité familiale en l’honneur de la naissance du Christ. Traditionnellement, le « didoukh » était mis à une place d’honneur dans la maison, souvent à côté des icônes. La veille de Noël, on l’apportait dans la maison avec des paroles de bénédiction, persuadé qu’elle apporterait la bonté, la paix et la prospérité.
Oeuvre de l’artiste ukrainien Oleh Shupliak « Didukh – l’esprit du grand-père ». 2018.
Aujourd’hui, le « didoukh » est fabriqué non seulement pour décorer les maisons, mais aussi pour participer aux foires et festivals de Noël. Les artisans créent de véritables chefs-d’œuvre à partir de blé, de seigle et de paille, auxquels ils ajoutent des rubans, des fleurs séchées et des éléments décoratifs. Cependant, son symbolisme reste au cœur de la tradition : le « didoukh » représente un lien avec la terre, les ancêtres et l’héritage spirituel.
Pour les Ukrainiens d’aujourd’hui, Noël est plus qu’une simple fête religieuse. C’est un moment privilégié où toute la famille se réunit autour de la table, chantant des chants de Noël, partageant joie et chaleur, préservant et transmettant d’anciennes traditions. C’est le moment où lon se dit, que la vie l’emporte toujours sur la mort. Et que la lumière revient toujours après les jours sombres.