Cinéma: « Le Serment de Pamfir », une fresque tragique au temps du carnaval

Culture
2 avril 2023, 16:48

Remarqué au Festival de Cannes en 2022 et salué par la critique, « Le Serment de Pamfir » de Dmytro Sukholytkyi-Sobchuk est un film ukrainien qui a été réalisé avec le soutien du CNC (Centre national du cinéma) dans le cadre de son aide aux cinémas du monde. Il s’agit du premier long métrage du réalisateur. Il avait réalisé un documentaire en 2013, « Malanka Rouge », qui se passait déjà dans la région d’Ukraine dont il est originaire, pendant le carnaval ukrainien traditionnel.

« Le serment de Pamfir » se déroule dans un village à l’ouest de l’Ukraine, proche de la Roumanie. Le film décrit le retour de Pamfir auprès de sa femme Olena et de son fils Nazar après une longue absence. Malheureusement, les joyeuses retrouvailles sont rapidement gâchées par un incendie criminel qui implique Nazar. Pour protéger son fils et étouffer l’affaire, Pamfir s’engage à réparer les dégâts, déclenchant un engrenage qu’il ne peut maîtriser. Le ton est donné, qui navigue entre polar et récit mythologique.

Dans cette zone frontalière, les revenus sont assurés par la contrebande. Le seul « travail » dans le village demeure le passage illégal de la frontière. Le transport des marchandises concerne tout le monde, adultes et enfants, ils sont tous filmés dans des paysages magnifiques qui contrastent avec les routes de campagne abruptes et boueuses, dessinant une juxtaposition du divin et de l’humain, habilement capturée par le cameraman.

De grands changements sont intervenus dans la vie du village. La région est désormais dirigée par un chef, Orest Ivanovych Mordovskyi (surnommé Morda), qui contrôle les « kontrabas » (contrebandiers en argot ukrainien). Ce sera le point de départ de son affrontement avec Pamfir, renouvelant la tragédie antique. Le réalisateur, quant à lui, l’apparente à un récit biblique, le sacrifice d’Abraham, auquel il offre une beauté onirique, inspirée, dit-il, par le Caravage et par Bruegel l’Ancien.

« Pamfir » dépeint une communauté villageoise dans un moment de confusion, qu’on peut penser d’ailleurs symbolisé par le désordre du carnaval, où les hommes, jeunes et vieux, sont unis dans une entente mutuelle tandis que les femmes, en revanche, ne s’accordent que par la perte de leur enfant. Ce sacrifice trouve un écho dans un thème religieux au début du film qui voit un lieu de culte brûler, cependant qu’à la fin, c’est la « Malanka » païenne qui est célébrée. Pendant la fête, qui a lieu la veille du nouvel an ukrainien (dans la nuit du 13 au 14 janvier) , les déguisements sont divers: les gens se déguisent en ours, roi et reine, grand-mère et grand-père, en Malanka elle-même (la fille du dieu païen slave Lad), en juifs, cosaques, tziganes, médecins, diables, morts et enfin en de multiples personnages modernes. Leur cortège, accompagné de musiques, va de maison en maison en chantant des cantiques, en célébrant les habitants et en chassant les mauvais esprits des maisons.

La confrontation entre christianisme et paganisme s’incarne dans de nombreux épisodes. C’est, à bien des égards aussi, une confrontation entre des visions du monde féminines et masculines, plus exactement entre la force de la faiblesse et la faiblesse de la force. Dans ce contexte, Pamfir peut déclarer que sa femme est plus forte que lui. Il ne s’agit pas seulement du fait qu’elle a déménagé tout le contenu de l’ immense entrepôt de contrebande, alors qu’elle était enceinte (et cela au prix de la perte de son enfant). Il est plus essentiel de noter qu’Olena a la foi et qu’elle est prête au sacrifice; elle a ainsi demandé à Dieu de sauver son mari en échange de son enfant à naître. Elle croit qu’à cet instant Dieu est avec elle, qu’il « aide tout le monde et transforme la douleur en énergie ». Et c’est cette loyauté et cette confiance inconditionnelle envers la parole de Dieu et celle des hommes que son mari aime en elle.

Ce mari, que tout le monde appelle Pamfir, bien que son véritable nom soit Léonid, a reçu ce surnom parce qu’à la suite d’une bagarre, ses dents de devant ont été arrachées et qu’il s’est mis à ressembler à son grand-père roumain, qui s’appelait lui-même Pamfir. Ce nom signifie « pierre », il vient caractériser le caractère d’un homme: et en effet Léonid est un roc; il s’efforce manifestement de ressembler à son grand-père, en le citant constamment et en le prenant pour modèle; par exemple, il a adopté des relations semblables avec l’Église; il admet qu’elles sont difficiles. Et cela parce que son grand-père a apporté l’icône qu’il avait peinte, à un prêtre, qui l’a refusée, prétextant un manque d’« humilité » . Depuis lors, les hommes de la famille ne font pas bon ménage avec la religion; ils ont tous un tempérament ardent et emporté: Léonid lui-même, s’est battu avec son père, le rendant borgne. Était-ce l’intention du scénariste? Cela le fait ressembler au dieu nordique Odin (ce qui montre une fois de plus la proximité avec le monde païen).

La relation homme-femme est vue comme un conflit entre nature et culture, et Léonid ressemble parfois plus à un animal (dans les premiers plans du film, on le voit déguisé en ours) qu’à un être humain : il se déplace d’ailleurs avec la souplesse d’un animal et grogne de temps en temps. À titre d’exemples encore, l’un des personnages s’appelle Chtchour (Rat en ukrainien); les contrebandiers petits et minces sont appelés « teckels » ; pour capturer un garçon, on installe un piège ; les filleuls de Léonid se vengent en maculant la voiture d’un ennemi à la façon des chiens. Et, à la fin, on aperçoit un tunnel qui ressemble à un terrier; Pamfir, symboliquement, énumère alors les instructions et les consignes de vie les plus importantes.

Cependant, le véritable point culminant du film est la fête « Malanka ». Tous les hommes souhaitent y participer et s’y préparent. Ce carnaval ukrainien, avec ses masques terrifiants et ses accoutrements, vient libérer la « bête intérieure », cette énergie masculine, partiellement contenue, qui est dirigée vers quelque chose de destructeur et de criminel.

Le travail du directeur de la photographie Mykyta Kuzmenko, qui a remporté un prix au Raindance Film Festival de Londres, mérite d’être mentionné particulièrement. La caméra semble poursuivre les personnages de façon obsessionnelle, s’approchant et tournant autour d’eux, elle choisit des cadres inattendus : un grand miroir (pour les scènes de sexe entre Olena et Leonid), un petit rétroviseur dans une voiture (la première rencontre avec Morda), ou la fenêtre d’une étable (lorsqu’une vache met bas son petit veau). Cependant, le cadre principal des événements est Bukovyna et la nature majestueuse où on se perd.