La guerre apporte énormément de souffrances, mais en même temps, le traumatisme peut-il être bénéfique ? En 1995, Richard Tedeschi, professeur en psychologie à l’Université de Caroline du Nord et directeur exécutif du Boulder Crest Institute de la Boulder Crest Foundation, a introduit le concept de « croissance post-traumatique », en collaboration avec son collègue Lawrence Calhoun. Cette fondation finance un centre d’accueil, « le siège » de la croissance post-traumatique. Nous nous sommes entretenus avec ce médecin et avons résumé pour vous les principaux postulats de son enseignement.
La croissance post-traumatique, au début du processus, ne diffère pas de l’état du trouble de stress post-traumatique. Les deux proviennent d’un traumatisme, c’est-à-dire d’un événement ou d’une série d’événements qui bouleversent le monde d’une personne, la base de ce qu’elle comprend et de ce qu’elle croit. Après cela, il est très difficile d’avancer car le panneau indicateur qui était clair et compréhensible est détruit et l’avenir semble perdre son sens. Cela conduit à l’anxiété et aux symptômes associés au stress post-traumatique.
La croissance commence au moment où une personne ressent un défi pour son système de valeurs fondamentales. Et puisque ce système peut être remis en question ou détruit, la personne doit trouver un moyen d’avancer à nouveau avec une nouvelle et meilleure compréhension de sa vie et de la façon de la vivre. Ce qui se passe après un traumatisme est une lutte contre les difficultés. Mais dans cette lutte, la personne retrouve un système de convictions qu’elle peut utiliser pour aller de l’avant et trouver quelque chose de valable malgré toutes les horreurs qui lui sont arrivées. Souvent, au cours de ce processus, la personne se sent transformée d’une manière ou d’une autre.
La croissance post-traumatique se caractérise par cinq aspects. Le premier est le sentiment d’une plus grande force personnelle. Si une personne a fait face à des difficultés, elle sera capable de faire face à bien d’autres choses. La deuxième est d’apprécier la vie quotidienne. Le troisième aspect est l’émergence de nouvelles opportunités. Il peut y avoir quelque chose qu’une personne ne pourra plus faire à cause de ce qui s’est passé, mais de nouvelles opportunités ou perspectives peuvent apparaître, qu’elle ne soupçonnait même pas auparavant. Le quatrième aspect est le changement dans les relations : elles deviennent plus profondes, les gens deviennent plus compatissants et font preuve de plus d’empathie. Et enfin, le dernier aspect est le changement spirituel et existentiel, lorsque les gens sont confrontés aux grandes questions philosophiques de la vie, telles que : « Pourquoi vivre, compte tenu de ce qui s’est passé ? », « Quel est le sens de la vie ? », « Quel est mon but dans la vie? », « Quel est le sens et la valeur de ma vie » ?
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Les personnes sont plus susceptibles de parvenir à la croissance post-traumatique si elles comprennent que c’est possible. L’une des pensées les plus importantes que je souhaite partager est la suivante : si vous devez faire l’expérience de la souffrance, de la terreur et des horreurs de la guerre, cela ne signifie pas que vous êtes vaincu ou que quelque chose ne va pas avec vous. Oui, c’est difficile. Vous souffrez. Mais cette souffrance a un sens. Et elle ne signifie pas que la plénitude de votre vie est perdue, même si l’horreur de la guerre vous a touché. Vous avez quelque chose de plus que cela. Ce ne sera pas une souffrance dénuée de sens. La vie ne se résume pas à cela. « Quand les gens entendent parler de la croissance post-traumatique, il est important qu’ils comprennent que je ne prétends pas que c’est une chose facile ou que je suis simplement optimiste ou que je convaincs les gens qu’ils ne devraient pas se focaliser sur leurs problèmes. Ce n’est pas vrai du tout. Il s’agit d’une lutte, d’une compétition. C’est ce que nous appelons « Rivaliser avec dignité ! », précise le psychologue.
La croissance est synonyme de résilience. Il faut passer par des changements. Une plus grande force peut naître de ces changements. Ce qui se passe en Ukraine est une réponse des citoyens de ce pays, dont beaucoup ont déjà connu une croissance post-traumatique à la suite des différents traumatismes qu’ils ont subis. Ils s’en inspirent. Ils savent maintenant comment faire face à de futurs traumatismes en comprenant mieux leur propre force ; ils savent comment apprécier la vie, traiter les autres avec un sens et un objectif, quelles opportunités ils voient dans cette situation, et à quel point ils peuvent être créatifs pour répondre à tout cela. Et ce n’est pas parce qu’une personne vit un traumatisme qu’elle ne peut pas faire l’expérience de la croissance post-traumatique. Une personne affectée n’a pas besoin d’attendre que tout soit terminé. D’une certaine manière, les traumatismes ne sont jamais terminés. Les gens s’en souviennent. Les traumatismes ne quittent jamais complètement notre mémoire.
La croissance post-traumatique est à la fois un processus et un résultat. C’est un mode de vie, pas seulement un accomplissement. Les gens apprennent à vivre chaque jour profondément, avec détermination et pleinement. Nous pouvons également voir cette croissance comme une conséquence, c’est-à-dire l’apparition de changements chez les personnes. Ces changements continuent à se manifester dans la façon dont ils vivent leur vie, poursuivent leur routine et perçoivent leur avenir.
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La Fondation Boulder Crest est considérée comme le « siège » de la croissance post-traumatique. La particularité de cet organisme est que les programmes qu’il propose s’appuient sur des approches de formation professionnelle et sont menés selon le principe « d’égal à égal ». L’un d’eux est le programme Warrior PATHH (Progressive and Alternative Training for Helping Heroes), qui a d’abord été développé pour les vétérans de guerre. Il s’agit d’un programme de sept jours où les participants se réunissent en petits groupes et en apprennent davantage sur la croissance post-traumatique (CPT) et les processus qui y contribuent. Après cela, ils restent en contact avec nous pendant encore trois mois grâce à une application que nous avons développée et qu’ils utilisent pour obtenir des mises à jour quotidiennes et rester en contact avec nous et entre eux. Cette application les aide également à obtenir le soutien dont ils ont besoin à tout moment.
« Nous avons récemment lancé un programme appelé Struggle Well, qui a été développé pour les salariés des services d’urgence, tels que les forces de l’ordre, les pompiers et le personnel médical. Dans le cadre de ce programme, les participants ne viennent pas sur nos campus de Boulder Crest ; c’est nous qui nous déplaçons pour les rencontrer, leur présenter le concept et les aider à gérer les traumatismes qu’ils ont subis », précise Richard Tedeschi.
Les deux programmes sont dispensés par des pairs. L’approche par les vis-à-vis fonctionne mieux parce que les vétérans aident les vétérans. Ils se comprennent, se font confiance et parlent le même langage. La confiance et la connexion sont les éléments-clés de ces programmes. Nous optimisons les résultats en utilisant une approche d’égal à égal, la confiance et la connexion, ce qui permet aux personnes de faire le travail difficile. Elles peuvent se sentir émotionnellement épuisées, intimidées ou embarrassées. Après tout, il peut être effrayant de révéler ses expériences à d’autres. C’est particulièrement le cas dans les communautés, où les gens ont l’habitude de cacher leur souffrance et d’essayer de la surmonter seuls. « S’ouvrir et discuter ouvertement avec leurs vis-à-vis est un véritable défi. Ainsi, le fait que des binômes encouragent les personnes touchées et les comprennent est un moyen beaucoup plus productif d’obtenir des résultats que si j’essayais de le faire seul », explique le psychologue.
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Quatre facteurs de guérison: en anglais, ce sont les quatre « P » : Place, People, Philosophy, Program [lieu, personnes, philosophie, programme]. Nous amenons les participants au programme Warrior PATHH dans de beaux endroits de la campagne, montrant notre respect pour eux. Des personnes qualifiées font partie de notre équipe. Et il existe un programme spécialement basé sur la philosophie de la croissance post-traumatique. Autrement dit, nous croyons que les gens ont de la valeur même au milieu de leurs souffrances, de leurs symptômes, de leur malheur, de leurs pertes, de leurs doutes sur eux-mêmes, de tout ce qu’apporte un traumatisme. Nous pensons qu’il y a encore des valeurs dans ces êtres humains, valeurs que nous devons atteindre et promouvoir à nouveau.
Il n’y aura jamais assez de professionnels de la santé mentale pour faire face à tous les traumatismes et à toutes les souffrances qui surviennent actuellement en Ukraine. Premièrement, il est impossible de déployer suffisamment de services de santé mentale pour offrir à chacun une psychothérapie individuelle. Je ne dis pas que la psychothérapie individuelle est mauvaise ; je la pratique tous les jours et elle est bénéfique. Mais si nous l’envisageons dans le contexte de ce qui se passe en Ukraine ou aux États-Unis, il faut qu’un plus grand nombre de personnes soient impliquées. C’est une première raison. Deuxièmement, comme je l’ai déjà mentionné, le « binôme » comprend les événements traumatisants grâce à sa propre expérience. Et c’est la première étape vers la confiance et la connexion qui naissent d’expériences partagées, lorsque les gens disent : « Oh, vous comprenez, n’est-ce pas ? », « Vous avez vécu quelque chose de similaire », « Alors, vous savez si ce n’est pas le cas ? ».
En Ukraine, chacun a la possibilité de participer au processus de guérison collective. C’est ce que nous appelons l’accompagnement expert. Il est plus important d’offrir aux gens un accompagnement profond et digne de confiance que de leur fournir des techniques que l’on trouve en thérapie. Les relations sont l’élément le plus important de la guérison, et nous pouvons les offrir à des personnes sans éducation particulière ni formation en psychologie. Il s’agit de l’approche « d’égal à égal ». Les compagnons expérimentés peuvent être des personnes très diverses : enseignants, médecins, organisateurs communautaires, voisins, membres de la famille. Tout le monde peut apprendre à contacter les personnes qui subissent un traumatisme, à les écouter, à apprendre d’elles et à les respecter. Ceci est d’une grande importance pour la guérison des blessures mentales. C’est pourquoi je pense que l’Ukraine a besoin d’une telle approche pour guérir les blessures de guerre.
Être un compagnon expérimenté signifie une responsabilité personnelle. L’approche de la victoire en Ukraine signifie non seulement le soutien des militaires, mais aussi le renforcement de la population civile. En Ukraine, chacun est responsable de ses concitoyens et de sa communauté. C’est du patriotisme : se traiter les uns les autres avec soin et sensibilité dans la vie de tous les jours, en gardant à l’esprit que tout le monde en Ukraine vit en état de guerre.
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Vous ne pouvez pas imposer la croissance post-traumatique à une autre personne, alors ne vous en sentez pas responsable. Vous pouvez être un compagnon expert. Que faites-vous ? Vous pouvez écouter et découvrir l’expérience d’une personne. Vous pouvez rechercher des valeurs et des changements potentiels chez une personne. Vous remarquez les « graines » à partir desquelles quelque chose peut pousser, observez ces processus et faites savoir aux personnes que vous voyez ces changements positifs en elles. Le problème, bien sûr, c’est que la croissance prend du temps. Certaines personnes manquent de patience. Elles veulent que les choses changent très vite. Donc, si vous voulez être un compagnon expert, vous devez vous rappeler que la patience fait partie intégrante du processus.
Vous ne pouvez pas être un compagnon expert si vous ne ressentez pas les gens. Parfois, ce que vous entendez et apprenez des survivants d’un traumatisme suscite une profonde inquiétude et une profonde anxiété. Il s’agit d’un traumatisme indirect (secondaire). Mais on peut aussi parler de croissance post-traumatique indirecte, qui est liée à l’approche « d’égal à égal ». Je suis convaincu que si vous demandez à l’un de nos formateurs comment il aide les participants au programme, il vous répondra : « Oui, j’aide les autres, mais cela m’aide encore plus ».
Les services sont un élément important pour soutenir le processus de croissance post-traumatique. Parce qu’elles vous permettent de rester en contact avec les gens et de conserver votre empathie, ces relations vous permettent de voir votre propre force et d’apprendre à vivre votre vie d’une manière significative. Cela ouvre de nouvelles possibilités, vous permettant de faire des choses que vous n’auriez jamais pensé pouvoir faire. Tous ces domaines de croissance post-traumatique que vous observez évoluent en fonction de l’attention portée aux autres. Il ne s’agit pas seulement de se sentir bien dans sa peau.
Je suis très attentif à ce que vivent les Ukrainiens et je vois la force des gens dans ce pays. Je vois qu’il y a une réponse à ce concept de croissance post-traumatique, et je pense qu’une fois la guerre terminée, cela vous permettra de vous soutenir à long terme parce que vous devez sentir que toute cette misère, toutes ces pertes, tous ces morts et toute ces destructions n’ont pas été vaines. Il y a de l’espoir et de la croissance.
Si les traumatismes sont inévitables dans nos vies, il y a un espoir que les fruits de leur impact soient significatifs et essentiels pour votre croissance personnelle et l’approfondissement de votre identité, ainsi que pour la nation dans son ensemble.
