L’Initiative des Trois Mers rassemble 12 pays de l’Union européenne et l’Ukraine avec l’ambition de relier la Baltique, l’Adriatique et la Mer Noire par des corridors de transport modernes. Mais malgré son importance, cette initiative n’a pas encore transformé la géographie européenne. Essayons de comprendre pourquoi.
Le rideau de fer est tombé, mais son ombre plane toujours au-dessus d’une partie de l’Europe : les routes, les chemins de fer, les aéroports et d’autres infrastructures sont toujours largement moins développés dans les pays qui ont été soumis au régime communiste. Les liaisons entre le Nord et le Sud restent particulièrement mauvaises. Lors du sommet de l’Initiative des Trois Mers (ITM) qui s’est tenu à Vilnius le 11 avril 2024, les participants ne se sont pas privés de partager leurs pires anecdotes sur les liaisons entre la mer Baltique, la mer Adriatique et la mer Noire. Ainsi, pour se rendre de Gdansk, en Pologne, à Thessalonique, en Grèce, il faut compter cinquante-deux heures en train et en bus, alors qu’un voyage de Hambourg en Naples, soit la même distance, ne prend que vingt heures si l’on emprunte les trains à grande vitesse.
Ces disparités sont peu à peu atténuées, c’est d’ailleurs la priorité de l’Initiative depuis sa création en 2015, mais si de nombreux sommets ont eu lieu, leurs résultats demeurent insuffisants, pour des raisons évidentes : l’ITM n’est pas une organisation internationale — elle n’a ni cadre juridique, ni budget, ni secrétariat. La structure de l’organisation (ou plutôt son absence) semble être conçue pour donner l’apparence d’un leadership.
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La présidence passe chaque année d’un pays à l’autre parmi ses treize membres : l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie, la Slovénie, l’Autriche, la Croatie, la Roumanie, la Grèce (qui a adhéré récemment) et la Bulgarie. Cette présidence peut être discrète et symbolique (comme pour la Hongrie ou la Grèce) ou efficace (comme pour la Lituanie). En fonction de la situation politique intérieure de leur pays, les présidents de l’ITM peuvent travailler plus ou moins étroitement avec leur propres gouvernements. Par le passé, c’est lorsque la République tchèque a présidé l’Initiative que le conflits internes au sein du pays étaient les plus aigus, alors que la Pologne a donné l’exemple d’excellentes synergies politiques. Aujourd’hui, c’est l’inverse.
En conséquence, l’ITM, malgré ses ambitions, n’est pas en mesure de les réaliser. Depuis neuf ans, l’Initiative des trois mers fait penser à un orphelin placé auprès de familles d’accueil. Certaines familles sont étonnamment aimantes. D’autres sont trop préoccupées par d’autres affaires ou carrément négligentes. L’enfant est mal pris en charge.
En 2024, l’IMT est présidée par la Lituanie, qui fait un bon travail en organisant rapidement une conférence pour les grandes entreprises parallèlement au sommet annuel. Gitanas Nausėda, le président lithuanien, a reçu les délégations de vingt-cinq pays, dont dix chefs d’État. Le Japon, après la Commission européenne, l’Allemagne et les États-Unis, a signé un accord pour un nouveau « partenariat stratégique ». L’année prochaine, c’est la Pologne qui assure la présidence. Le pire, à savoir une éventuelle présidence la Hongrie, a été évité in extremis.
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Mais les questions fondamentales restent sans réponse. Où est l’argent ? Les institutions internationales de développement, telles que la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, la Banque européenne d’investissement ou la Banque nordique d’investissement, soutiennent des projets pertinents, mais l’ITM n’a pas réussi à lever des fonds auprès d’autres bailleurs internationaux. L’Initiative n’a pas non plus contribué au changement de cap politique des pays adhérents. En refusant l’accès aux pays qui ne sont pas membres de l’UE, comme l’Ukraine, l’ITM limite son champ d’action et son influence.
Compte tenu de la guerre en Ukraine, cette dernière question doit être résolue sans délai. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky était l’invité du sommet de Vilnius dont il a été la vedette. Mais alors que les participants admiraient les jardins en fleurs de la capitale lithuanienne, des bombes et des missiles s’abattaient sur Kharkiv et d’autres villes ukrainiennes. L’Europe qui reconstruit son système de défense a un besoin urgent de meilleures infrastructures, d’une meilleure résilience et d’une meilleure mobilité pour les forces armées dans la région de l’ITM. L’aide à l’Ukraine et à sa reconstruction offre de grandes opportunités dans ces domaines.
Mais avant toute chose, l’ITM doit se mettre au travail sérieusement. Le prochain sommet en Pologne sera un test. L’orphelin a besoin d’une famille normale.