Les Tchèques, champions d’Europe de la lecture

Culture
26 avril 2023, 19:53

On dit souvent que les Tchèques sont une nation de brasseurs, de plaisantins et de passionnés de chiens. En même temps, les Tchèques sont aussi une nation de rats de bibliothèque, bien que ce dernier point soit mentionné beaucoup moins souvent. Si on regarde le nombre de bibliothèques, le pays figure dans le peloton de tête européens, seulement derrière les Estoniens et les Norvégiens. La République tchèque, avec sa population de 10,5 millions d’habitants, possède une bibliothèque dans presque toutes les localités et, selon des estimations récentes, édite plus de 15 000 titres de livres par an, dont au moins un tiers sont des traductions.

Au cours des dernières décennies, le marché tchèque du livre a été modeste, mais vivant, et avant la pandémie, son chiffre d’affaires annuel était d’environ 335 millions d’euros (voir « Croissance modérée »).

Afin d’encourager le public local à soutenir le produit imprimé et ses auteurs, la Bibliothèque régionale morave de Brno, en collaboration avec l’Association des bibliothèques de la République tchèque, a organisé un flash mob #kupknihu (« Achetez des livres ») sur les réseaux sociaux et appelés à commander des exemplaires directement aux éditeurs, afin qu’ils aient des fonds pour payer le travail des auteurs, traducteurs et illustrateurs.

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Selon les résultats d’une enquête nationale, un tchèque adulte lit au moins une demi-heure par jour et 13 livres par an, en moyenne, n’achetant que trois livres personnellement, dépensant ainsi jusqu’à 650 couronnes (24 €). Les livres sont le plus souvent reçus en cadeau, prélevés dans les bibliothèques, qui sont plus de cinq mille en République tchèque, ou empruntés les uns aux autres. Les échanges de livres sont très courants.

Les écrivains les plus populaires pour les Tchèques, selon les palmarès de ventes, sont Agatha Christie, Daniele Steele, Michal Viveg, Stephen King, Erich Maria Remarque. Mais l’auteur le plus populaire de tous, chez les Tchèques, est l’écrivain norvégien Ju Nesbo, ainsi que la série des aventures de Harry Potter de J. K. Rowling.

Les genres qui plaisent sont principalement la fantasy, la science-fiction, les romans policiers et les thrillers. En non-fiction, les Tchèques cherchent aussi à lire sur l’investissement et la réalisation de soi. L’érotisme se vend bien aussi.

Les traduction de l’anglais dominent, ainsi que de l’allemand, du slovaque, du français et du russe. Grâce aux efforts des traducteurs, les œuvres d’écrivains ukrainiens, dont Oksana Zabuzhko, Yuriy Andruhovych, Serhiy Jadan et Tania Malyarchuk, ont été publiées en tchèque.

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Bien qu’en termes de nombre de livres publiés, la République tchèque soit devant de nombreux pays dans le monde, la situation des librairies n’est pas facile. Les gros acteurs absorbent les plus petits. Ceux pour qui la vente de livres est une affaire de famille, recherchent souvent d’autres sources de revenus. Comme Yakub Petr, 30 ans.

Après avoir obtenu son diplôme universitaire, lui et sa mère ont longtemps géré la librairie Papyrus dans la ville de Pardubice, puis lancé une boutique en ligne, investi dans le développement informatique et enfin ouvert une autre librairie dans la ville voisine de Hrudym qui a été vendue à la chaîne Louxor il y a quelques années. Elle appartient à la plus grande entreprise du marché, Euromedia Group, dont le chiffre d’affaires annuel se monte à 58,9 millions d’euros.

L’entrepreneur explique sa décision par le fait que l’avenir de son entreprise lui parait trop incertain : « Montrez-moi un jeune libraire. C’est un être aussi mythique que la licorne. Les librairies tchèques sont principalement tenues par des personnes âgées qui considèrent cela comme un hobby et qui ont d’autres revenus fiables. Les jeunes ne veulent pas le faire parce que ce n’est pas rentable ».

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Maintenant, Yakub Petr et sa mère travaillent pour Louxor. Cependant, le réseau est également dans une situation difficile et a considérablement réduit son assortiment.

Pendant la période de quarantaine en République tchèque, l’achat de livres via Internet a presque doublé. Le principal groupe d’édition, Albatros Media, a doublé ses ventes par l’intermédiaire des magasins en ligne, ce qui lui a permis de couvrir partiellement ses pertes. Cette tendance se maintient, même une fois l’épidémie terminée.

Même les participants les plus conservateurs du marché du livre – les vendeurs de livres anciens – se sont mis à maîtriser le World Wide Web. Spécialement pour eux, la librairie d’occasion Knihobot.cz a lancé le moteur de recherche Ulovknihu.cz. Le système suit plus de 1,8 million d’articles. Il avertit ainsi un utilisateur qui recherche sans succès un ouvrage quand il est enfin disponible.

Et bien que les ventes de livres électroniques aient augmenté en République tchèque, atteignant le million d’exemplaires vendus par an, cela ne représente que 2 % du chiffre d’affaires annuel total du marché du livre. La part est similaire dans le livre audio : 1 %. Les Tchèques préfèrent toujours les produits imprimés, non seulement par habitude, mais aussi en raison d’un certain sentimentalisme. Comme le note Adam Pyha, directeur marketing de Knihy Dobrovský, les Tchèques sont une nation de passionnés de livres qui, notamment, aiment les toucher et les sentir. Il ajoute aussi que le commerce du livre se maintient à flot principalement grâce aux femmes, qui représentent les trois quart de la clientèle.