Le mythe de la Russie invincible n’est qu’un mythe. Rien qu’au siècle dernier, elle a perdu neuf guerres.
L’histoire de l’humanité est une histoire de guerres. L’histoire connaît des cas où un empire gagne des guerres pendant des centaines d’années. Mais tôt ou tard, le moment arrive où il est vaincu par d’autres. Ceux qui ont plus d’hommes, de meilleures armes, plus d’argent et des idées plus innovantes. L’État situé à l’est de l’Ukraine est un empire de ce type, qui mène des guerres de conquête depuis plusieurs siècles. Il a porté différents noms, Moscovie, Empire russe, Union soviétique, Fédération de Russie, mais l’objectif de cet État n’a pas changé: attaquer ses voisins sous divers prétextes afin d’avancer et d’occuper de nouveaux territoires. En conquérant les faibles, les Russes progressaient de plus en plus jusqu’à ce qu’ils rencontrent une forte résistance. En conséquence, l’appétit impérial du pays s’est considérablement réduit au cours du XXe siècle.
La quasi-totalité des guerres victorieuses de l’Empire russe aux XVIIe et XIXe siècles ont impliqué des Ukrainiens, qui représentaient, selon les époques, 20 à 30 % de ses forces armées. C’est avec leur aide que la Russie a réussi à vaincre la Pologne, la Suède, la Turquie et d’autres ennemis « éternels ». Avec la participation des Ukrainiens, les Russes ont vaincu Napoléon et Hitler. Bien sûr, en Russie, ces faits sont aujourd’hui minimisés ou rayés de l’histoire russe officielle.
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Aujourd’hui, au lieu des Ukrainiens, l’armée russe recrute des représentants des républiques du Caucase, des Tatars, des Bachkirs, des Bouriates et d’autres peuples peu nombreux. Mais le temps viendra où la Chine, la Tchétchénie et d’autres « étrangers » (comme on les appelait au XIXe siècle) présenteront à la Russie leurs récits historiques. Rappelons comment l’empire russe a été vaincu au XXe siècle.
La guerre russo-japonaise, 1904-1905
L’empereur russe Nicolas II avait donné comme surnom aux Japonais les « macaques ». Il était également dédaigneux à l’égard des autres habitants de l’Extrême-Orient. Et pas seulement lui, ses officiers aussi. Pas à pas, les Russes ont systématiquement confisqué des terres chinoises. Mais la Chine, en raison de son morcellement féodal, n’était pas en mesure d’organiser une résistance. Les Japonais, en revanche, y sont parvenus. Les Russes de Saint-Pétersbourg et de Moscou se moquaient des Japonais. « On les soumettra sans efforts », écrivaient les journaux de l’époque, en affirmant que l’armée russe était incomparablement plus nombreuse et mieux armée.
Et pourtant, l’armée impériale japonaise a infligé une défaite digne de ce nom aux envahisseurs, les battant de manière éclatante sur mer, sur terre et dans la forteresse de Port Arthur, construite selon les conceptions techniques les plus modernes. Tsushima et Mukden sont encore des noms symboliques de batailles où sont enterrés les empiétements territoriaux russes, l’arrogance et l’insolence des nobles tsaristes. Il n’est pas impossible que le temps viendra où la Chine revendiquera auprès de la Fédération de Russie ce qu’elle a perdu par le passé. Les Chinois n’ont pas besoin de mantras tels que « n’oublions jamais, ne pardonnons jamais ». Ils n’oublient rien et ne pardonnent à personne. Une guerre entre la Russie et la Chine n’est qu’une question de temps.
La Première Guerre mondiale, 1914-1918
Le traité de Brest-Litovsk, signé le 3 mars 1918, mit fin aux hostilités sur le front de l’Est. Dans les manuels scolaires modernes, on peut lire que l’armée impériale russe a été détruite par les Russes eux-mêmes. D’une part, sous l’effet de la corruption et des inégalités sociales, d’autre part, par des slogans populistes et des provocations. Mais ce n’est pas vrai. L’armée impériale russe a été principalement vaincue sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale en 1914-1916. Ayant perdu des millions de personnes et littéralement « baigné dans le sang », elle s’est effondré. L’arrivée des bolcheviks n’était qu’une tentative temporaire de réincarnation de l’empire.
Quoi qu’il en soit, la direction bolchevique de la Russie à Brest-Litovsk a fait aux empires centraux (Allemagne, Autriche-Hongrie, Empire ottoman et Bulgarie) les promesses suivantes:
– renoncer à ses prétentions sur les terres des États baltes et sur certaines parties de la Biélorussie ;
– reconnaître la République populaire d’Ukraine et retirer les restes de ses troupes d’Ukraine et de Finlande ;
– libérer les territoires précédemment occupés de l’Empire ottoman, que ce soit pendant la Première Guerre mondiale ou pendant d’autres guerres du XIXe siècle.
Elle a de plus promis de démobiliser définitivement son armée et de désarmer sa flotte.
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A la suite de la réalisation de cette paix, les pays indépendants suivants ont vu le jour : la République populaire d’Ukraine, la Finlande, la Pologne, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Plus tard, les bolcheviks ont envahi ces républiques et ont réussi à confisquer leur indépendance à l’Arménie, à l’Azerbaïdjan, à la Géorgie et à l’Ukraine en 1920, à l’Estonie, à la Lettonie et à la Lituanie en 1940. Seules la Pologne et la Finlande, soutenues par de nombreux pays du monde, ont pu résister à cette captation.
La guerre soviéto-finlandaise (1918-1920)
Les bolcheviks russes n’avaient pas l’intention de respecter les termes de la paix de Brest-Litovsk et ont déclenché une guerre contre la Finlande en utilisant les prolétaires locaux finlandais réunis dans la Garde rouge, ainsi qu’un grand nombre de soldats de l’ancienne armée qui les avaient rejoints. En conséquence, cette guerre s’est rapidement transformée, d’une guerre civile locale entre gardes blancs et gardes rouges, en une guerre internationale.
Le 27e bataillon Jaeger de l’armée allemande, formé de patriotes finlandais pendant la Première Guerre mondiale, ainsi que de nombreux volontaires suédois, sont arrivés en soutien au gouvernement finlandais. Lorsqu’elles s’aperçurent que de nombreux soldats russes combattaient sous couvert de la Garde rouge finlandaise, les formations nationales finlandaises menèrent une guerre extrêmement brutale. Souvent, ceux de leurs ennemis qui ne répondaient pas en finnois, en suédois ou en allemand étaient tués sur place, sans aucun hésitation.
Cette attitude nationaliste déterminée a permis aux Finlandais d’expulser les bolcheviks de leur territoire dès le printemps 1918. Pendant deux ans, la Finlande a accumulé une telle force armée que les bolcheviks n’ont plus osé l’attaquer pendant longtemps. De nombreux anciens gardes rouges finlandais, après un long calvaire en Russie bolchevique, sont rentrés amnistiés dans leur pays natal. Par la suite, pendant l’hiver 1940, ces « anciens rouges » se sont révélés d’excellents militaires face à l’armée soviétique.
Guerre d’indépendance de l’Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie, 1918-1920
Comme dans le cas de la Finlande, le gouvernement bolchevique n’avait pas la moindre volonté de libérer ces territoires de l’emprise de la Russie. En Estonie et en Lettonie, de nombreux sympathisants bolcheviques ont été contraints de quitter le pays sous la pression des troupes allemandes en février-mars 1918. Mais il y avait également de nombreux patriotes dans les États baltes. Lorsqu’en novembre 1918, l’Armée rouge, sous couverture des « émigrants estoniens », est entrée à Narva, puis dans Tallinn, les troupes estoniennes récemment créées l’ont repoussée à coups de baïonnettes et de balles. Bien entendu, les bolcheviks ne prirent pas l’armée estonienne au sérieux et affectèrent des forces relativement réduites à l’occupation. Ce fut là leur erreur. Des volontaires finlandais sont venus aider les Estoniens. Ensemble, ils chassèrent l’Armée rouge d’Estonie en mai 1919.
Par la suite, ce fut au tour de la Lettonie de se libérer, avec l’aide de l’armée estonienne et de bénévoles allemands. Puis, la Lituanie obtint son indépendance par les armes. La Russie soviétique fut contrainte d’accepter cette réalité car elle était alors engagée dans une guerre persistante contre les gardes blancs et la République populaire d’Ukraine. Quelques divisions, formées de sympathisants bolcheviques estoniens et lettons, furent été utilisées par Moscou contre les troupes de la Garde blanche. Plus tard, on leur signifia clairement que la Russie bolchevique n’avait pas besoin de « bouches supplémentaires à nourrir », et les soldats Estoniens et Lettons rouges furent obligés de retourner dans leur pays d’origine.
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Ils y furent accueillis sans haine : dans les années 1920 et 1930, les anciens rouges furent traités comme des combattants de l’impérialisme russe, mais seulement contre des gardes blancs. Paradoxalement, cette politique de réconciliation au sein d’un même peuple eut des conséquences. Les rouges d’hier sont également devenus de fervents patriotes. Ainsi, l’un d’entre eux, commandant d’un régiment de cavalerie bolchevique letton, décoré de l’ordre de la bannière rouge, a combattu contre l’URSS pendant la Seconde Guerre mondiale, mais dans les rangs de la Wehrmacht.
La bataille de Varsovie, aussi connue sous le nom de « Miracle de la Vistule », 1920
À l’époque soviétique, les enseignants aimaient dire que Lénine avait presque personnellement « laissé partir » la Finlande et la Pologne parce que, disaient-ils, lui et d’autres bolcheviks reconnaissaient le droit des peuples à l’autodétermination. La même doctrine est aujourd’hui répétée dans les écoles russes. Ce qui s’est réellement passé avec la Finlande a déjà été décrit plus haut. Les bolcheviks aimeraient réaliser la même aventure avec la Pologne qu’avec les autres.
En 1920, des « bolcheviks polonais » se sont rapprochés de Moscou, et la Russie s’est immédiatement empressée de les « protéger ». Felix Dzerjinski (fondateur de la police politique de l’URSS – ndlr), Julian Baltazar Marklewski et Feliks Kohn sont en fait tous des « bolcheviks polonais » que Moscou a réussi à recruter. Mais ce trio lui a suffit pour créer le Comité révolutionnaire polonais, un gouvernement bolchevique alternatif.
Dans le même temps, les bolcheviks ne sont pas parvenus à créer ne serait-ce qu’un régiment composé de Polonais rouges. C’est littéralement toute la Pologne qui s’est levée pour défendre son indépendance. La France, les États-Unis et, bien sûr, l’armée de la République populaire d’Ukraine ont également apporté une aide considérable dans la lutte contre la Russie bolchevique. La campagne russe sur Varsovie, Lviv et Zamosc s’est terminée par une grande défaite. Donc, la guerre a été perdue. Par contre, les Polonais ont signé un accord de paix avec les Russes, en laissant l’armée de la République populaire d’Ukraine se battre seule contre la Russie bolchevique.
La guerre soviéto-finlandaise, 1939-1940
Les autorités de l’Union des républiques socialistes soviétiques, dont le successeur est l’actuelle Fédération de Russie, n’allaient pas accepter les défaites des guerres de 1918-1920. En 1939-1940, soutenue par l’Allemagne nazie, l’Armée rouge a participé à la défaite de la Pologne, est entrée dans les territoire de l’Ukraine occidentale et de la Biélorussie occidentale. Elle a également occupé les pays Baltes.
Les communistes voulaient faire de même avec la Finlande. Mais cela n’a pas fonctionné. Le 30 novembre 1939, l’Armée rouge envahit perfidement le pays, sous prétexte qu’il aurait bombardé le territoire soviétique avec son artillerie. Le peuple finlandais tout entier s’est littéralement levé pour défendre son territoire. Parmi les soldats soviétiques, il y avait même des histoires de « coucous », à savoir des grands-mères finlandaises armées de fusils, qui pouvaient se cacher dans les branches des grands arbres pendant des jours, dans le froid glacial, et les abattre avec précision.
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Malgré la perte de certains territoires, la Finlande a survécu à cette guerre. Les combats entre les troupes soviétiques et finlandaises se sont poursuivis entre 1941 et 1944, mais la Russie n’a jamais soulevé la question de l’abolition de l’indépendance de la Finlande.
La guerre de Corée, 1950-1953
La guerre dans la péninsule coréenne a été une défaite tangible pour l’Union soviétique. Les communistes ont tout mis en œuvre pour que leurs protégés l’emportent en Corée: ils ont formé des cadres militaires, ont transmis un grand nombre d’armes. Ils ont financé les forces armées, envoyé dans la péninsule leurs forces aériennes, leurs unités de défense aérienne et de nombreux spécialistes militaires. Mais lorsque la victoire fut proche, les Américains soutinrent le gouvernement démocratique coréen (d’ailleurs, il y avait beaucoup de corruption et de problèmes financiers). Les troupes américaines ont réussi à reprendre la majeure partie de la péninsule. Elles n’ont pas pu remporter une victoire totale en raison des millions de bénévoles communistes chinois, largement financés et armés par l’Union soviétique. La Corée s’est retrouvée divisée le long du 38ème parallèle.
Aujourd’hui, il y a la Corée du Nord, communiste, et la Corée du Sud, démocratique. Même les enfants savent dans lequel de ces pays il vaut mieux vivre aujourd’hui.
La guerre d’Afghanistan, 1979-1989
L’Afghanistan est un exemple frappant de la manière dont le gouvernement soviétique a imité la politique coloniale de l’Empire russe. Dès la fin du XIXe siècle, les nobles russes voyaient dans ce pays un futur enjeu colonial. Sans la Première Guerre mondiale, l’Empire russe aurait tenté d’occuper le pays quelques années avant. Cette invasion a finalement eu lieu en 1979. Il n’existe toujours pas de réponse rationnelle à la question de savoir pourquoi l’Union soviétique à déclenché la guerre d’Afghanistan. Elle s’est terminée de manière peu glorieuse : en 1989, le Congrès des députés du peuples de l’URSS a condamné cette intervention et les troupes soviétiques se sont retirées de la région.
La première guerre russo-tchétchène, 1994-1996
Lors de la guerre pour l’indépendance de l’Itchkérie, un petit peuple a vaincu un empire géant. Moins d’un million de Tchétchènes ont tenu tête à un pays de près de 150 millions d’habitants. Et ils ont gagné cette guerre. Certes, selon l’histoire officielle russe, la première guerre a été suivie de la deuxième guerre de Tchétchénie en 1999-2000, qui a été victorieuse pour Moscou. Mais il s’agit là d’une conclusion plutôt relative. La grande majorité des Ukrainiens (et la communauté internationale) ne savent pas ce qui s’est réellement passé en Tchétchénie à cette époque.
La République tchétchène d’Itchkérie a connu des divisions religieuses extrêmement fortes durant sa période de relative indépendance. Ce sont ces divergences qui causent de nombreuses guerres dans les pays musulmans. La religion dominante en Tchétchénie est l’islam sunnite, mais parallèlement, le wahhabisme et d’autres mouvements radicaux gagnaient rapidement en popularité. Les sunnites, qui ont tous participé à la première guerre de Tchétchénie aux côtés de Djokhar Doudaïev, se sont entendus avec le gouvernement russe pour se débarrasser des musulmans radicaux. Ce sont eux qui sont arrivés au pouvoir à la suite de la guerre.
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À l’heure actuelle, on peut estimer que la Tchétchénie bénéficie d’une certaine indépendance. Son maintien au sein de la Fédération de Russie devient de plus en plus formelle. Il est clair qu’avec le temps, la Tchétchénie, même avec la famille de Ramzan Kadyrov au pouvoir, jouera un rôle majeur dans la désintégration de la Fédération de Russie.
Pendant longtemps, l’Ukraine a cru que l’agression russe contre elle conduirait à l’effondrement de la Fédération de Russie en raison de la résistance à la mobilisation des minorités ethniques. Mais ces espoirs ont été déçus. Et voila pourquoi : il y a beaucoup de gens fiers et guerriers parmi les peuples du Caucase, les tribus turcophones et d’autres. Leur code génétique les prédispose à combattre. Pendant de nombreuses années, dans l’Empire russe et l’Union soviétique, ces peuples et tribus n’ont pas eu la possibilité de réaliser leurs instincts guerriers. A présent, la Russie leur a donné des armes et leur à appris à se battre. Ils ont appris à tuer. Le temps viendra certainement où ces gens, à l’instar des légions étrangères de l’Empire romain, exigeront davantage.