Collaborationnisme russe pendant la Seconde Guerre mondiale : histoire passée sous silence

Histoire
16 juin 2024, 17:34

La victoire dans la « Grande Guerre patriotique » [nom donné par les Soviétiques, puis par les Russes, à la Seconde guerre mondiale – ndlr] reste la pierre angulaire de la propagande russe. Elle fonctionne comme un mythe d’affrontement du Bien et du Mal absolu, raison pour laquelle les Russes ne soulignent que leur propre contribution à cette victoire et dévaluent systématiquement celle des autres pays. 

L’autre atout de ce mythe est qu’il permet de stigmatiser les nations de l’Europe centrale et de l’Est qui ont osé combattre le communisme russe. La propagande de Moscou les traite de « collaborateurs », alors même que seule une frange marginale de la société a effectivement collaboré. Cela concerne également un certain nombre de peuples du Caucase du Nord comme les Tcherkesses, les Karatchaïs, les Ingouches ou encore les Tchétchènes : ils ont tous été stigmatisés par la propagande soviétique de la même manière, ce qui a servi de prétexte à leur déportation dans les années 1944-1945.

Pourtant, derrière cette façade d’opprobre jeté sur les autres, la propagande russe cache une réalité bien gênante : celle de la collaboration parmi les Russes.

Selon les estimations d’historiens aussi bien russes qu’occidentaux, jusqu’à 1,5 million de combattants soviétiques ont collaboré avec les Nazis. Ainsi, plus de 150 000 Soviétiques, dont 50 000 Russes, ont servi dans les forces armées de la SS. En dehors de cela, l’unité russe de loin la plus connue demeure l’Armée russe de libération (en allemand « Russische Befreiungsarmee »), formée en 1943 par le général Andreï Vlassov, qui a recruté ses combattants parmi les prisonniers de guerre soviétiques. À elle seule, à la fin de la guerre, l’Armée de libération russe comptait 150 000 soldats.

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D’autres unités russes, moins célèbres, servaient au sein de la Wehrmacht et étaient en compétition idéologique avec l’Armée russe de libération : contrairement au général Vlassov et à ses sympathisants, qui prônaient une continuité historique de la Russie et ne rejetaient donc pas le communisme, d’autres collaborateurs russes, notamment des Russes blancs, cherchaient à restaurer le régime monarchique. Parmi les unités fondées sur ce courant idéologique on peut citer le Corps russe, la brigade du général Anton Tourkoul en Autriche, la Première armée nationale russe, le régiment Vareg du colonel Mikhaïl Semionov, mais aussi des unités cosaques. Ces dernières sont entrées en service en 1943 et envoyées en Italie du Nord. À la fin de la guerre, elles comptaient 18 000 combattants.

Dans ce contexte, il convient également de mentionner la république de Lokot, qui tire son nom de la ville de Lokot, dans l’actuelle région de Briansk, qui a existé de novembre 1941 à août 1943. Il s’agit de l’unique entité administrative de collaboration auto-administrée sur les territoires soviétiques occupés. À la tête de ce quasi-État du Sud-Est de la Russie se trouvaient Konstantin Voskoboïnik et Bronislav Kaminskii.

Les troupes allemandes accordèrent aux forces armées de cette formation des droits exclusifs d’opérer sur le territoire occupé, principalement pour combattre les résistants. En même temps, le programme politique de Bronislav Kaminskii correspondait en tous points aux principaux postulats nazis. En particulier, les troupes locales procédaient à des arrestations et à l’extermination de Juifs.

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L’administration de la république de Lokot alimentait également les sentiments antisémites à travers son organe de propagande, le journal La voix du peuple et un recensement a été fait, en séparant les Juifs dans une catégorie distincte. Les biens appartenant aux Juifs furent saisis et le Code du travail de cette « république »  comportait une catégorie « Main-d’œuvre juive ». De même, les instructions du ministère de la Justice de Lokot interdisaient les mariages entre Juifs et non-Juifs.

Les forces armées de cette entité étaient sous le commandement de Bronislav Kaminskii et se composaient de 5 régiments pour un total de 10 000 combattants. Au mois de juillet 1944, ces forces ont été officiellement incorporées à la SS sous le nom de Brigade d’assaut RONA (l’acronyme pour l’Armée populaire de libération russe). Dans le même temps, Bronislav Kaminskii reçut le grade de SS Brigadenführer (bien qu’il ne soit pas membre du NSDAP).

Les historiens russes essaient de passer tous ces faits sous silence afin de ne pas contredire la propagande stalinienne et ternir l’image de la « Grande Guerre patriotique ». Mais la principale question qui se pose dans ce contexte est de savoir pourquoi les Russes ont collaboré si massivement et sur la base du volontariat. C’est certainement une preuve supplémentaire du rejet du régime totalitaire bolchevique, mais surtout : comment peut-on prendre au sérieux les accusations de collaborationnisme contre les peuples asservis par la Russie, alors que les Russes eux-mêmes ont si massivement collaboré ?