Maksym Vikhrov ex-rédacteur en chef du journal Tyzhden

Quand la Seconde Guerre mondiale prendra-t-elle fin ?

Guerre
15 mars 2023, 09:42

Cette formulation de la question peut sembler provocatrice, mais il convient de rappeler certaines choses assez évidentes. La Seconde Guerre mondiale a été un affrontement entre deux empires totalitaires – le Troisième Reich et l’Union soviétique – qui cherchaient à s’étendre sur le continent. La destruction de l’ordre mondial était leur projet commun, mais l’affrontement des deux prédateurs géopolitiques était inévitable. Le troisième volet du conflit, pour le dire simplement, était les peuples de l’Ouest, auxquels on assignait le rôle de victime.

Pourquoi le conflit entre l’URSS et le Troisième Reich était-il inévitable ? Bien entendu, il ne s’agit pas ici de l’antagonisme idéologique entre le national-socialisme et le marxisme-léninisme – cette absurdité ne mérite même pas la peine d’être discutée. La raison principale est l’Ukraine. Comme le souligne, à juste titre, Timothy Snyder, c’est l’Ukraine qui était au centre des plans coloniaux d’Hitler. Le tristement célèbre “Plan de l’Est” consistait dans le fait qu’un régime colonial basé sur l’extermination et l’exploitation esclavagiste de la population locale devait être instauré sur notre territoire.

Mais le “problèmeétait  qu’un autre empire, l’Union soviétique, s’était déjà approprié l’Ukraine. La destruction de notre État, les répressions de masse, la privation du droit de vote, la collectivisation, le Holodomor — c’était, en fait, le “Plan Ouest” de Staline. Malgré toutes les différences, son objectif était assez similaire : faire de l’Ukraine un appendice ressource de l’empire. Les terres ukrainiennes étaient stratégiquement importantes à la fois pour le Troisième Reich et pour l’Union soviétique, et le conflit entre les deux prédateurs n’était donc qu’une question de temps.

Les événements ultérieurs sont bien connus et ne nécessitent pas de récit détaillé. L’empire nazi s’est effondré et l’empire soviétique a survécu. S’il était vrai que l’URSS de Staline était significativement différente de celle de Brejnev, par exemple, il ne reste pourtant pas moins vrai que l’essence de cet État n’a jamais changé. L’Union soviétique a fait de son mieux pour saper l’ordre mondial, en brandissant une arme nucléaire et, bien sûr, en arrachant la vie à des peuples asservis. L’Occident collectif a tenté différentes politiques vis-à-vis de l’URSS, mais toutes ne visaient qu’à dissuader, à affaiblir et à prendre d’autres mesures timides à l’encontre de l’Empire du Mal. Nous nous souvenons tous comment, le 1er août 1991, George Bush père s’est précipité à Kyiv pour dissuader l’Ukraine de déclarer son indépendance.

Cependant, l’effondrement de l’URSS s’est quand même produit en provoquant une véritable euphorie en Occident. Bien que l’Empire du Mal n’ait pas disparu, mais soit simplement entré en crise, il s’est débarrassé de son ancienne peau et est très vite revenu à ses habitudes. Et nous parlons non seulement de la Tchétchénie, mais aussi de la Moldavie, de la Géorgie, de l’Ukraine. Oui, la capacité de la Fédération de Russie à s’emparer de territoires est de loin inférieure à celle de l’URSS. Cependant, la Russie n’a pas dévié de sa stratégie historique consistant à essayer de détruire les règles du jeu international et d’exporter son propre modèle de civilisation. Ce modèle est d’ailleurs resté inchangé depuis longtemps : orthodoxie, autocratie, marxisme-léninisme ou “monde russe” font tous parti de coquilles interchangeables de la matrice de la Horde.

Le 24 février 2022, l’Occident a eu l’occasion de constater que des décennies de tentatives pour pacifier la Russie, la lier à lui par le filet d’un commerce mutuellement bénéfique et des visions d’une Europe “de Lisbonne à Vladivostok” ont été vaines. “L’Empire du Mal” n’a pas abandonné son programme agressif et destructeur. Ce n’est pas un hasard si l’Ukraine a été une nouvelle fois prise pour cible. L’article scandaleux de Timofey Sergeev intitulé “Ce que la Russie devrait faire de l’Ukraine,” publié le 3 avril 2022, annonçait un nouveau “plan Ouest” pour l’Ukraine. Et s’agit-il seulement de nous ? Moscou annonce aussi très franchement ses plans mondiaux : détruire l’ordre mondial, renverser “l’hégémonie civilisationnelle de l’Occident,” etc. Le tout accompagné du mantra au sujet des “cendres nucléaires.” Le prédateur s’est ressaisi, a repris des forces et a cédé à sa pulsion naturelle.

Est-il donc trop tôt pour déclarer la fin de la Seconde Guerre mondiale ? Bien sûr, qu’il est trop tôt. Winston Churchill a dit un jour : “Si Hitler envahissait l’enfer, j’accorderais au diable au moins une mention favorable à la Chambre des communes. Eh bien, le diable russe a même reçu un “prêt-bail” de la part des États-Unis. Mais la vérité, sur laquelle l’Occident ferme les yeux depuis si longtemps et avec tant de zèle, c’est que le diable n’est pas mort en 1991 et qu’il n’a certainement pas cessé d’être un diable. Le temps est venu pour résoudre ce problème.

La Seconde Guerre mondiale ne prendra fin que lorsque l’Empire russe s’effondrera, c’est-à-dire quand il perdra sa capacité physique à s’étendre et à menacer le monde. Oui, les Russes doivent passer par la repentance et la dénazification, payer des réparations et bien plus encore. Cependant, il ne faut pas oublier que cela doit être précédé d’une défaite – non pas du régime de Poutine, mais de la Fédération de Russie en tant qu’État. Ce n’est qu’ensuite que l’exorcisme politique et culturel pourra être entrepris.

Oui, ce sera une opération difficile, longue et coûteuse, qui nécessitera un effort colossal de la part de la communauté internationale. Mais ce n’est qu’après son achèvement que les Européens pourront enfin dire le fameuxPlus jamais çaen toute sincérité.