Malgré les slogans politiques sur l’avenir de l’Ukraine dans l’Alliance atlantique, le seul véritable obstacle est la prudence politique des partenaires occidentaux, et non pas le non-respect des normes de l’OTAN ou le flou des frontières du à des violations de l’intégrité territoriale.
Le sommet anniversaire de l’OTAN à Washington, qui aura lieu du 9 au 11 juillet 2024, célébrera les réalisations de l’Alliance atlantique avec son nouveau dirigeant, Mark Rutte, ancien Premier ministre des Pays-Bas, et deux nouveaux pays membres, la Finlande et la Suède, qui l’ont rejointe respectivement en 2023 et 2024.
L’Ukraine se réjouira pour ses partenaires, sachant qu’elle ne sera pas invitée à devenir membre à part entière de l’organisation pendant de nombreuses années. Avec elle dans la salle d’attente se retrouvent la Bosnie-Herzégovine et la Géorgie.
Même si l’agression russe de l’Ukraine a mis en lumière des problèmes -l’insuffisance des capacités de défense de nombreux États membres et le fait que huit alliés ne contribuent toujours pas à hauteur de 2 % du PIB à la sécurité collective -, l’exemple d’États européens historiquement situés dans la sphère d’intérêt géopolitique de la Russie a démontré la valeur de l’adhésion pleine et entière face au revanchisme russe.
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Afin d’éviter que la fête ne soit gâchée par la question ukrainienne, dont la non-résolution indique directement l’existence de lignes rouges que l’Alliance n’est pas encore prête à franchir par crainte d’une confrontation directe avec la Russie, les États-Unis ont pris des mesures pour la deuxième année consécutive afin d’ « envoyer un message fort à Poutine ».
L’année dernière, le sommet de l’OTAN à Vilnius a décidé que l’Ukraine deviendrait membre de l’Alliance sans passer par le plan d’action, mais n’a pas lancé d’invitation d’adhésion. C’est pour cette raison que le président Zelensky avait menacé d’annuler sa participation à l’événement. C’est tout de même lors de ce sommet qu’a eu lieu la première réunion du Conseil Ukraine-OTAN, qui a remplacé la Commission Ukraine-OTAN, responsable du développement de la coopération depuis 1997.
Cette fois, l’absence d’invitation à l’OTAN est masquée par un accord de sécurité bilatéral avec les États-Unis. Dans le texte, le document est qualifié de « pont » (en ukrainien «lien») vers la future adhésion. L’Alliance annoncera aussi la création d’une mission en Allemagne sous les auspices de l’OTAN, qui coordonnera à long terme la fourniture de tous types d’assistance à l’Ukraine.
De janvier à juillet 2024, l’Ukraine a déjà signé 20 accords avec des partenaires, dont l’Union européenne et tous les pays du G7. L’accord avec la Pologne devrait être signé avant le sommet de l’OTAN.
D’où vient ce format et quel est l’objet de ces accords ?
En 2022, à la recherche de garanties de sécurité pour l’Ukraine, un groupe consultatif international dirigé par Andriy Yermak, chef du cabinet du président ukrainien, et Anders Fogh Rasmussen, ancien secrétaire général de l’OTAN, a proposé l’idée d’un « traité de sécurité de Kyiv ».
Ce traité envisage deux aspects : un accord multilatéral de partenariat stratégique et des accords bilatéraux au niveau des gouvernements et des parlements entre l’Ukraine et les garants de la sécurité, qui prendraient des engagements juridiques et politiques à long terme, en tenant compte des capacités de chaque partenaire. Il contenait déjà une disposition sur la convocation de consultations dans les 24 heures et la prise d’une décision sur la mise en œuvre de garanties étendues dans le cadre d’une coalition de pays prêts à se joindre à la défense d’un État victime d’une agression dans les 72 heures. Ceci est partiellement reflété dans les accords bilatéraux déjà signés.
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Ce travail est devenu la base de la création de la « Déclaration commune sur le soutien à l’Ukraine », qui a été convenue par les dirigeants des États membres du G7 le 12 juillet 2023. Le document fait référence au début à de négociations avec l’Ukraine « afin de formaliser – à travers des engagements bilatéraux de sécurité et des accords convenus avec cet accord-cadre multilatéral, conformément à nos exigences juridiques et constitutionnelles respectives – notre soutien continu à l’Ukraine, qui défend sa souveraineté et son intégrité territoriale, reconstruit son économie, protège ses citoyens et s’efforce de s’intégrer dans la communauté euro-atlantique ».
Chaque accord est unique, compte tenu de l’histoire de la coopération antérieure avec l’Ukraine dans le domaine de la sécurité et des obligations spécifiques fondées sur les capacités financières et techniques du pays partenaire. Les accords sont ainsi complémentaires.
Par exemple, les États-Unis se sont engagés à soutenir la modernisation de l’armée de l’air ukrainienne, y compris l’acquisition d’avions de combat modernes, d’armes et de formation pour soutenir les capacités des avions de combat de quatrième génération tels que le F-16. Le Danemark, par l’intermédiaire de la coalition de l’armée de l’air, soutiendra aussi les efforts visant à garantir la pleine capacité du F-16, notamment en fournissant des avions de combat, des munitions, des instructeurs, de la formation, de la maintenance à long terme. La Suède continuera à soutenir l’Ukraine en assurant la maintenance de systèmes d’équipements militaires, tels que le véhicule de combat 90 (CV90) et le système d’artillerie Archer, et s’engage à travailler sur le transfert d’avions ASC 890.
Bien entendu, les parties publiques des accords ne contiennent pas tous les détails.
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Les obligations financières sont définies de différentes manières selon les cas. L’accord avec la Lituanie témoigne de l’engagement de son gouvernement à fournir chaque année à l’Ukraine un soutien en matière de sécurité et de défense à hauteur de 0,25 % de son PIB annuel. La France apportera jusqu’à 3 milliards d’euros d’aide supplémentaire en 2024. L’Italie, qui a déjà fourni huit programmes d’aide militaire depuis le début de l’invasion à grande échelle, entend « maintenir le même niveau de soutien militaire supplémentaire en 2024 ». Les détails seront déterminés lors de consultations ultérieures.
Le Premier ministre ukrainien Denys Chmyhal a déclaré que les accords de sécurité signés par l’Ukraine permettront de recevoir une aide militaire d’une valeur de 60 milliards de dollars par an pour les quatre prochaines années.
La plupart des accords soulignent les points-clés suivants :
– la reconnaissance du droit de légitime défense individuelle de l’Ukraine, inscrit dans l’article 51 de la Charte des Nations unies, et l’importance du rétablissement de l’intégrité territoriale du pays ;
– le soutien à l’intégration européenne de l’Ukraine et le rapprochement avec l’OTAN ;
– la fourniture de biens et de services à des fins de défense ;
– huit « coalitions de capacités prioritaires » (capability coalitions) indiquées pour le pays partenaire, selon les résultats de la 20e réunion du format « Ramstein », dans les domaines suivants : forces aériennes, défense aérienne intégrée et défense anti-missile, artillerie, véhicules blindés et manœuvrabilité, capacités maritimes, informatique, déminage et drones ;
– le soutien au développement de forces de défense de l’OTAN modernes et interopérables, capables de dissuader de manière fiable les agressions futures et si nécessaire de s’en défendre, notamment par des programmes de formation et d’entraînement militaire, des manœuvres et des exercices militaires conjoints ;
– le développement du complexe industriel de défense de l’Ukraine, en particulier en attirant des investissements, en créant des entreprises de défense sur le territoire de l’Ukraine, en mettant en place une recherche- développement et une production communes ;
– l’échange d’informations, de renseignements et l’approfondissement de la coopération entre les services de renseignement;
– la coopération dans la lutte contre la grande criminalité organisée;
– la coopération dans le domaine de la cybersécurité;
– l’accomplissement des tâches de déminage de la coalition ;
– le renforcement de la stabilité macroéconomique, la coopération dans le domaine de la reconstruction et du redressement économique de l’Ukraine ;
– l`assistance à la poursuite des réformes institutionnelles en Ukraine ;
– les sanctions contre la Fédération de Russie pour limiter l’accès de ce pays aux finances, aux biens, aux technologies et aux services qu’elle utilise dans son agression, pour freiner ses flux de revenus et pour la dissuader de futures attaques en prolongeant le moratoire sur le transfert de ses avoirs gelés;
– la recherche d’une paix juste, l’établissement d’un mécanisme de compensation pour les dommages, la recherche de la responsabilité des crimes internationaux commis en Ukraine, notamment en travaillant avec la Coalition pour établir un tribunal chargée d’examiner la responsabilité du crime d’agression contre l’Ukraine ;
– le développement des capacités de l’Ukraine à contrer la propagande et la désinformation russe et toute autre propagande;
– l’élargeissement de la coopération pour accroître la résilience face aux menaces nucléaires, biologiques et chimiques ;
– la coopération humanitaire et le redressement social.
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Les accords bilatéraux assurent-ils la sécurité de l’Ukraine ?
Le titre même de la plupart des accords indique clairement qu’il ne s’agit pas de garanties de sécurité, mais plutôt d’une coopération en matière de sécurité et d’un soutien à long terme à l’Ukraine. Les accords constituent une alternative temporaire à l’adhésion à l’OTAN.
La formalisation des engagements des pays partenaires vise à réduire le risque de « tempêtes politiques » dans les pays partenaires, ce qui est important compte tenu de la nature prolongée de la guerre, du renforcement des forces d’extrême-droite en Europe et de l’expérience de l’attente de six mois d’un programme d’aide de la part des États-Unis. De plus, les accords définissent une vision des questions importantes pour l’Ukraine, telles que la restauration de son intégrité territoriale et les progrès vers l’UE et l’OTAN.
Cependant, l’implication directe de troupes de pays tiers dans le conflit russo-ukrainien n’est pas prévue. L’Occident n’est pas parvenu à un consensus sur cette question. De plus, selon l’ancien ministre ukrainien des Affaires étrangères, Pavlo Klimkin, les accords n’incluent pas le concept de supériorité militaire qualitative, comme les accords entre les États-Unis et Israël.
Les sections relatives à la coopération en cas d’éventuelle agression armée prévoient dans la plupart des cas des consultations dans les 24 heures et la fourniture ultérieure d’une assistance rapide et durable en matière de sécurité et d’économie, ainsi que l’imposition de sanctions au pays agresseur. En d’autres termes, les accords bilatéraux consolident le format de coopération mis en place depuis 2022.
Bien sûr, il ne s’agit plus du mémorandum de Budapest d’une page, qui imposait uniquement aux pays garants l’obligation de ne pas s’attaquer eux-mêmes et, en cas d’attaque par des pays tiers, de demander une action immédiate du Conseil de sécurité des Nations unies pour aider l’Ukraine. Néanmoins, ces accords ne prévoient pas de sécurité collective à part entière.
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Ils ne sont pas ratifiés par les parlements des États signataires, bien qu’ils soient soumis à examen dans certains pays, comme la France. Et comme nous le savons, la mise en œuvre d’accords politiques à long terme est impossible à prévoir. La question de savoir s’ils suffiront à soutenir l’Ukraine jusqu’à ce qu’elle rejoigne l’OTAN est donc rhétorique.
Malgré les slogans politiques sur l’avenir de l’Ukraine dans l’Alliance, le seul véritable obstacle est la prudence politique des partenaires occidentaux, et non pas le non respect des normes de l’OTAN ou le flou de certaines frontières du à des violations de l’intégrité territoriale. Après le sommet de Vilnius, l’ancien secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, avait expliqué que l’Ukraine serait invitée lorsque « les conditions politiques appropriées » seraient réunies et qu’elles ne conduiraient pas à une guerre totale entre l’OTAN et la Russie.
Étant donné que l’Ukraine, dans un avenir prévisible, restera dans la sphère d’intérêt de la Russie, seuls deux scénarios rendront possibles les conditions souhaitées : soit la Russie se démocratise et redonne la priorité à la coopération avec l’Occident, peut-être en raison de la menace chinoise, soit la confrontation avec l’Ukraine et les sanctions l’épuisent tellement qu’elle disposera juste de suffisamment de ressources pour résoudre ses problèmes internes plutôt que de se lancer dans des aventures géopolitiques. Et l’Ukraine profitera de cette fenêtre d’opportunité, comme la Finlande.
Nous pouvons rêver de ces scénarios, mais nous ne pouvons guère espérer une telle évolution. Par conséquent, les accords bilatéraux devraient en fait fournir un soutien à l’Ukraine pour une période indéfinie, et la qualité de leur mise en œuvre déterminera son maintien sur la carte politique du monde. Autrement dit, il s’agit avant tout de renforcer les capacités propres de l’Ukraine, qui ne sont pas en mesure d’arrêter l’agression actuelle ou de prévenir les agressions futures.
La sécurité, l’OTAN, l’Ukraine
L’Alliance a donc beaucoup de raisons de se réjouir lors de son sommet de la semaine prochaine. Après l’effondrement de l’Union soviétique, des discussions ont eu lieu sur sa dissolution en raison de son manque d’efficacité dans un monde post-bipolaire. Souvenons-nous qu’en 2019, le dirigeant français Emmanuel Macron avait déclaré : « Ce qu’on est en train de vivre, c’est la mort cérébrale de l’OTAN ».
A peine cinq ans plus tard, grâce au choc de l’agression russe et à la résilience ukrainienne, l’OTAN renaît, même si elle a encore beaucoup à faire pour être à la hauteur de son image de puissance réelle. Selon le Financial Times, le plan de défense de l’Atlantique Nord de l’année dernière montre qu’en cas de guerre totale, les alliés disposeraient de moins de 5 % des capacités de défense aérienne nécessaires pour protéger adéquatement les pays situés sur leur flanc oriental.
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De plus, l’OTAN n’a aucune expérience de l’utilisation de l’article 5 de sa charte en réponse à une guerre de grande ampleur. La seule fois où il a été invoqué, c’était après l’attaque terroriste du 11 septembre 2001 contre les États-Unis. Trois autres fois l’OTAN a pris des mesures pratiques de défense collective à la demande de la Turquie : en 1991 pendant la guerre du Golfe, en 2003 pendant la crise irakienne et en 2012 en relation avec la situation en Syrie. Toutefois, la durée et l’ampleur de ces mesures sont incomparables à celles qui seraient nécessaires dans le cadre d’une guerre à grande échelle en réponse à une agression.
Il est intéressant de noter que selon l’article 5, les Alliés ont le droit de fournir toute assistance jugée nécessaire dans les circonstances. Chaque pays décide lui-même du type d’assistance à fournir dans chaque cas particulier, tout comme dans les accords bilatéraux signés par l’Ukraine. Dans les années 1990, des divergences sont apparues sur les mécanismes de mise en œuvre du principe d’assistance mutuelle quand il n’avait pas été possible de se mettre d’accord sur une intervention automatique des États-Unis en cas d’attaque contre des États membres de l’Union européenne.
Par conséquent, pour l’Ukraine, la signature d’accords bilatéraux signifie un soutien politique, matériel et moral, mais dont l’issue demeure incertaine.