La Russie en tête du Conseil de sécurité, une mauvaise blague

Politique
2 avril 2023, 13:12

La présidence russe du Conseil de sécurité de l’ONU, qui a débuté le 1er avril, démontre une fois de plus la nécessité d’une réforme immédiate de l’architecture de sécurité mondiale.

Le 1er avril, la Russie a commencé à présider le Conseil de sécurité de l’ONU pour un mois. Il nous semble qu’après tout ce que la Fédération de Russie a déjà fait en Ukraine, il ne devrait pas être nécessaire d’écrire à ce sujet. Mais puisqu’il le faut, cela doit servir à souligner l’urgence à réformer le système de sécurité mondial.

« Le 1er avril, l’absurdité a atteint un niveau supérieur », a dit Serhiy Kyslytsia, représentant permanent de l’Ukraine auprès de l’ONU, cité par le Gardian. « Le Conseil de sécurité est paralysé et incapable de s’attaquer aux problèmes qui font partie de sa responsabilité première, c’est-à-dire prévenir les conflits, puis les résoudre », estime le diplomate ukrainien.

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Le 30 mars, lors d’une discussion au sein du groupe de réflexion britannique Chatham House, Dmytro Kouleba, ministre ukrainien des Affaires étrangères, a aussi noté qu’on ne pouvait pas imaginer un « poisson d’avril qui serait pire » que la présidence russe du Conseil de sécurité de l’ONU.

« C’est la pire plaisanterie possible qu’un pays qui viole systématiquement toutes les règles fondamentales de la sécurité internationale préside une institution dont la mission est de préserver et de protéger la sécurité internationale, a noté le ministre. Cette présidence nous rappelle brutalement que quelque chose ne va pas dans le fonctionnement de l’architecture de sécurité mondiale, lorsqu’un pays qui a illégalement obtenu un siège en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU préside cette structure, alors qu’il est en train de mener un acte d’agression à grande échelle contre un autre membre souverain ».

Selon le ministre, la meilleure chose à faire est d’utiliser ce mois pour attirer l’attention sur les problèmes qui existent dans le multilatéralisme et que la Russie utilise à son avantage. Le représentant permanent ukrainien Serhiy Kyslytsia a noté que l’Ukraine resterait à l’écart du Conseil de sécurité en avril, sauf lorsqu’il s’agit de « questions d’intérêt critique pour sa sécurité nationale ».

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La rotation entre pays présidant le Conseil de sécurité de l’ONU a lieu chaque mois. Et outre sa portée symbolique, ces pouvoirs lui confèrent aussi un véritable levier institutionnel. Serhiy Kyslytsia et Geoffrey Sonnenfeld (professeur à l’université de Yale), les mentionnent notamment dans un article pour le magazine The Time. Par exemple, le pays qui exerce la présidence est chargé de la bonne application des règles lors de toutes les discussions, en contrôlant l’inscription, le calendrier et les pouvoirs pour tous les débats, et en gérant tous les projets de résolution.

La Russie a occupé pour la dernière fois la présidence en février 2022 et s’est bien servie de cet instrument. « À l’époque, la Russie a tenté d’utiliser le Conseil de sécurité pour semer la confusion et tromper le monde entier sur ses véritables intentions. Ses machinations insidieuses ont visé à entraver le soutien international à l’Ukraine, à la fois avant et immédiatement après le début de l’invasion du 24 février », écrivent Kislytsia et Sonnenfeld dans leur article.

Ainsi, quelques semaines avant l’invasion, la Russie a abusé de sa présidence pour inviter ses marionnettes aux réunions du Conseil de sécurité et les présenter comme des « militants de la société civile ukrainienne ». Notamment, le 17 février 2022, le Kremlin a fait s’exprimer Tetiana Montian, une juriste et youtubeuse qui ne représente qu’elle-même, et qui se plaignait que l’Ukraine ne veille pas parler aux « républiques ».

« Dans les semaines qui ont précédé l’invasion, la Russie a utilisé les règles de l’ONU pour obtenir une condamnation des sanctions économiques qui la vise. Cette démarche est passée inaperçue en Occident mais a été largement reprise par la communication du Kremlin, en particulier vers le tiers-monde. La Russie avait évidemment deux longueurs d’avance : quand l’invasion a commencé fin février, les propagandistes russes n’ont pas tardé à utiliser ces discussions pour saper la légitimité de la coalition occidentale aux yeux des pays en développement », écrivent Serhii Kislytsia et Geoffrey Sonnenfeld.

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De toute évidence, cette fois-ci, la Russie vise aussi a profiter de l’occasion pour organiser des provocations en ciblant à nouveau les pays du Sud, qui se déclarent toujours « neutres » dans la guerre russo-ukrainienne. Il reste à espérer que le « mois de l’absurdité » apportera aussi une impulsion sérieuse aux changements dans l’architecture de la sécurité mondiale.