Dans le quotidien d’un soldat au front. Un sergent

Guerre
8 septembre 2023, 19:21

Dmytro Sintchenko est un auteur de The Ukrainian Week/Tyzdhen.fr. C’est aussi un activiste et blogueur. Après le début de la grande invasion, il a rejoint l’armée ukrainienne. Ses textes décrivent la vie des soldats au front. Son nom de guerre est Perun.

Notre unité reçoit l’ordre de prendre position près de Bakhmout.

« Vous accompagnez Bereg et vous revenez », ordonne Sokil, notre chef.

« A vos ordres ! »

On reprend la route habituelle. Des abris familiers. Les mitrailleurs arrivent. La mission est remplie, je reviens. Et immédiatement, j’en reçois une nouvelle : emmener la moitié du groupe de combat au point d’évacuation et y récupérer notre équipe pour la ramener à la position. Après cela, je dois conduire cette partie du groupe de combat pour effectuer avec eux la dernière étape. En bref, pendant cette rotation, je travaille avec mes pieds, pas avec une mitrailleuse.

Le groupe est prêt, avec ses affaires, au point d’évacuation. Nous respectons nos distances. A l’heure prévue, nous sommes là, mais le « taxi » ne vient pas. Nous nous dispersons. Nous attendons. Une demi-heure. Une heure. Quelque chose ne va pas. La connexion ne fonctionne pas ici. Je vais voir le commandant. Le groupe attend.

« Kosyi (le conducteur du véhicule blindé) n’est pas en contact ».

«  Ils ne sont pas venus ».

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Sokil, notre chef, est monté sur une colline pour avoir du réseau. Il est revenu une demi-heure plus tard, un peu perplexe.

« Nos remplaçants ont été bombardés lorsqu’ils étaient en train de monter dans le transport. Un tas de 200 (des tués – ndlr) et de 300 (blessés – ndlr). Ils sont à la recherche d’un nouveau véhicule de remplacement. Il n’y aura pas d’évacuation avant le soir ».

Les soldats que j’ai laissés au point d’évacuation sont revenus par leurs propres moyens, quand ils en ont eu assez d’attendre. Il n’y a pas eu d’évacuation dans la soirée. Nous avons passé la nuit au check-point.

Les envahisseurs lancent des lucioles dans le ciel. Certains disent qu’ils font cela avant une attaque, d’autres pensent que c’est pour la reconnaissance. Quoi qu’il en soit, la nuit est relativement calme, pas plus d’explosions que d’habitude. Nous sommes partis le matin pour la dernière marche. Stolyar était assis sur son gilet pare-balle. Il nous a raconté les détails des événements.

Nos remplaçants ont essuyé des tirs lorsqu’ils ont déchargé les armes et commencé à mettre leurs affaires dans le bus. Deux personnes ont été blessées, un a été tué sur place, et mon ami Bereg a eu des blessures. Nous n’avions pas encore rencontré les soldats que nous devions remplacer. J’aurais pu être avec eux si j’étais parti en premier.

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Stolyar enlève son pare-balle et retourne à son travail, et nous continuons à avancer dans la rue, au milieu des maisons détruites.

Le lendemain, nous nous préparons déjà à une nouvelle sortie.

«  Où est Tsvirkoun » ? demande Sokil. « J’ai besoin de lui maintenant ».

« J’ai bien peur qu’il ne soit pas en état de venir te voir en ce moment », répondit Zhyla.

« Il est à nouveau soul ? Je n’en peux plus de lui ! Qui puis-je mettre à sa place ? Quelles sont les possibilités ? Des suggestions » !

Je me propose : « Ami Sokil, je peux remplir ses fonctions ».

« Perun ? Tu peux t’en charger ? Très bien, amenez-moi Tsvirkoun aujourd’hui, et dites-lui de remettre tous les dossiers à Perun ! Faites l’inventaire et rendez-compte »!

C’est comme ça que je suis devenu sergent, c’est-à-dire responsable logistique de compagnie.

Photo : C’est dans cette maison que l’histoire a commencé. Plus tard, elle a été mise en pièces par les occupants, mais à ce moment-là, il n’y avait plus de combattants à l’intérieur.

P.S : Les noms des unités, les noms de lieux et certains pseudonymes ont été modifiés.
Ce texte s’inscrit dans la suite des reportages sur le front ; ils sont écrits à la première personne. Si vous n’avez pas lu les précédents, vous pouvez les trouver ici :