Aidan Aslin est un Britannique qui a rejoint les forces armées ukrainiennes en 2018. Au début de l’invasion à grande échelle, il a servi dans une brigade de marine. Il défendait Mariupol et y a été fait prisonnier. Jugé dans l’un des territoires occupés par la Russie, il a été condamné à mort par le Tribunal de la République Populaire de Donetsk mis en place par les envahisseurs. En septembre 2022, Aiden a été libéré grâce à un échange de prisonniers et il a pu témoigner; son livre autobiographique, Putin’s Prisoner, a récemment été publié au Royaume-Uni.
« Jusqu’en 2014, je travaillais pour des organismes d’aide sociale au Royaume-Uni et je ne savais pas grand-chose de l’Ukraine. Puis j’ai commencé à m’y intéresser à partir de l’invasion de la Crimée, j’ai vu les atrocités commises par Berkut (unité de la police – ndlr) . Et j’ai suivi ensuite tous les événements » confie-t-il à ses lecteurs.
« À l’époque, j’ai eu du mal à comprendre ce qui se passait, et j’étais un peu perdu parce que je ne connaissais pas très bien l’histoire de l’Ukraine et encore moins celle de la Crimée. Il était difficile de prendre parti, de soutenir l’un ou l’autre camp, car j’entendais des choses contradictoires, y compris sur les chaînes de propagande russes », raconte Aiden.
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Une fois capturé, Aiden ne s’attendait pas à ce que la tâche soit facile : « Je savais beaucoup de choses sur l’attitude des Russes à l’égard des prisonniers en Géorgie et en Tchétchénie. Je savais comment ils traitaient les prisonniers en Syrie. Je savais donc que ce serait difficile. Peu avant ma capture, j’avais parlé à un ami blessé. Il m’avait dit qu’il envisageait de se suicider plutôt que de se rendre. Je ne savais pas ce qui nous attendait, mais je lui ai promis que nous reviendrions de captivité ».
« Pendant le premier mois, il n’y avait aucun accès à l’information; plus tard nous avons été soumis à une propagande constante », témoigne Aiden. « Chaque jour, nous écoutions Solovyov (un propagandiste russe proche de Poutine – ndlr) à la radio, et quand ce n’était pas Solovyov, c’étaient des chansons de propagande soviétique. Les gars regardaient et écoutaient tout cela et en tiraient des conclusions sur ce qui se passait réellement. Lorsque les Russes se sont retirés de la région de Kharkiv, ils ne l’ont pas dit directement, mais il était facile de deviner ce qui s’y était réellement passé à partir de la façon dont ils avaient déformé la réalité ».
Plus tard, les Russes ont commencé à utiliser Aiden lui-même à des fins de propagande, en filmant diverses vidéos avec lui.
« J’ai été battu, blessé par des coups de couteau; ils ont eu accès à mes médias sociaux et ont pu les exploiter à des fins de propagande. Mais ce n’est rien comparé à ce qu’ont vécu les Ukrainiens », explique-t-il. « Pendant quatre mois, j’ai été régulièrement emmené pour tourner des vidéos de propagande, et à un moment donné, c’est devenu tellement prégnant que j’ai commencé à croire à ce que je disais. Avant d’être capturé, j’avais prévenu ma mère que je pourrais être utilisé de cette manière. Et j’avais un code: si je mentais, je me grattais par exemple le nez pendant le tournage de la vidéo ou bien je changeais ma voix, j’ajoutais un accent inaccoutumé pour que les gens qui me connaissaient puissent comprendre que ce que je disais n’était pas de moi. Dans les premières vidéos, on voit bien que je parlais sous la contrainte. Avec le temps, je m’y suis habitué. C’est comme un dressage. Je pense qu’il est très important que les familles de prisonniers comprennent ceci : tout ce qu’elles voient ou entendent de la part de leurs proches, tous les mensonges ou absurdités qu’ils disent sur une vidéo, c’est parce qu’ils sont contraints de les dire, afin de survivre, et on ne doit pas y prêter attention ».
Lorsqu’on lui demande ce qui l’a le plus aidé en captivité, Aiden sourit et regarde sa petite amie : « Diana ».
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« Les gars avec qui j’étais en captivité m’ont aidé – des amis, des compagnons d’armes, des gens que j’ai appris à mieux connaître. Il y avait un gars qui parlait anglais et quant à moi, je comprends
l’ukrainien. Même s’il m’est encore difficile de le parler, j’arrive à me débrouiller surtout dans une situation désespérée », explique Aiden. « Après le ‘procès’, lorsque j’ai été condamné à mort et que je suis revenu dans ma cellule, les gars m’ont dit : « Ça n’arrivera pas, tu ne dois pas le croire, c’est un mensonge ».
J’ai appris le projet d’échange de manière inattendue. Lorsqu’on m’a appelé, j’ai d’abord pensé que c’était pour enregistrer une autre vidéo de propagande. Mais en même temps que moi, ils ont appelé l’ami qui partageait ma cellule, et qui n’avait jamais été utilisé pour participer à la propagande, j’ai alors compris qu’il ne s’agissait pas de cela.
J’ai cru entendre le mot « échange » dans la bouche des gardiens, mais je n’en étais pas sûr; eux mêmes pensaient que je ne comprenais pas ce qu’ils disaient. Puis ils nous ont fait monter dans un camion avec d’autres prisonniers de guerre.
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J’ai réalisé que j’étais libre lorsque nous sommes arrivés en Arabie saoudite. C’est là que j’ai pleuré pour la première fois. En captivité, même lorsque j’avais envie de pleurer, je ne pouvais pas me le permettre.
Deux semaines avant l’échange, j’ai frôlé le suicide. J’avais trouvé une lame et j’y ai sérieusement pensé. Mais je me suis convaincu de ne pas le faire, parce que j’avais peur que le gars qui était dans la cellule avec moi soit puni pour cela. Et deux semaines plus tard, j’ai été échangé.
Quel que soit le temps qui passe, nous devons penser que tous, garçons et filles, reviendront chez eux. Nous devons être forts et patients jusqu’à ce que le moment de leur retour arrivera. Il est fort plausible que ce retour soit inattendu, tout comme il l’a été pour moi ».
Aidan est convaincu que l’Ukraine doit gagner cette guerre : « Avant la guerre, je savais que les Russes étaient les méchants, qu’ils étaient du côté du mal, mais après avoir été prisonnier de guerre et avoir vu les choses de l’intérieur, je suis devenu encore plus convaincu que l’Ukraine doit gagner.
Ils nous accusent d’être des nazis et des fascistes, mais tous leurs récits, leur comportement, ce qu’ils disent et ce qu’ils font les caractérise précisément ainsi. Ils ont rayé Marioupol de la carte, ils expulsent les gens de chez eux et les remplacent par des Russes, ils déportent la population locale. Tout cela, c’est déjà ce que Staline avait fait ».