Il a 33 ans, l’âge de l’Ukraine indépendante et il termine sa vie d’athlète par une médaille de bronze en lutte aux Jeux Olympiques de Paris. C’est sa troisième récompense olympique, s’ajoutant à deux titres de champion du monde. Mais Zhan Beleniuk a déjà une autre vie qui l’attend. Député du parlement ukrainien, ce fils d’un Rwandais et d’une Ukrainienne est désormais engagé en politique. Nous avons pu le rencontrer.
Fils d’un étudiant rwandais à l’Institut national d’aviation et d’une Ukrainienne, né en 1991, l’année de l’indépendance de l’Ukraine, Zhan n’a jamais connu son père, Vincent Ndgadjimana. Durant le génocide au Rwanda, ce dernier a été appelé sur place et tué dans une embuscade. Zhan a grandi dans un appartement d’une pièce de 36 m², à Kyiv, élevé par sa mère, et a commencé à faire de la lutte à 9 ans.
Photo: archive personnelle du sportif
Le 8 août 2024, il a gagné sa troisième médaille olympique – le bronze. Comme à l’accoutumée, après une grande victoire, il a fait une démonstration de hopak, la danse traditionnelle ukrainienne qu’il a appris pendant ses premières années à l’école. Puis il a déposé ses chaussons sur le tapis pour signifier la fin de sa carrière de sportif professionnel.
Double champion du monde (2015 et 2019), triple champion d’Europe (2014, 2016, 2019) et triple champion olympique, il a remporté la seule médaille d’or ukrainienne à Tokyo en 2021. Il se confie : « Je suis satisfait de mes performances. Peut-être qu’à l’avenir, je serai nostalgique du fait que je ne suis plus un athlète professionnel actif. Mais je suis heureux que ma carrière ait été couronnée de succès et que mes rêves se soient réalisés. Essayer de faire mes preuves à l’âge de 37 ans lors des prochains Jeux olympiques aurait été difficile, et ça l’était déjà aujourd’hui ».
Aux Jeux olympiques de 2021, Zhan s’est disloqué le bras à vingt jours des compétitions. Mais avec des antidouleurs et une préparation mentale, sans pouvoir lever son bras à plus de 90 degrés, il a gagné une médaille d’or et a vécu son « conte de fées ». « Les Jeux olympiques sont une compétition où il ne faut jamais abandonner », dit-il. Il garde une reconnaissance à son entraîneur Volodymyr Chatskyh qui l’a beaucoup soutenu.
Zhan croyait alors pouvoir se consacrer à ses responsabilités politiques – son mandat de député – qu’il cumulait avec sa vie de sportif depuis son élection en 2019, deux ans plus tôt. « J’ai alors pris un congé sportif, pensant que c’était définitif. Mais la guerre à grande échelle a changé les choses. Mes proches m’ont persuadé de retourner à la compétition. Ils m’ont dit : « Si tu sens que tu as la force, et que tu peux maintenant être efficace en tant qu’athlète et apporter de la gloire à ton pays, alors fais-le ».
En plus de gagner des médailles, la délégation ukrainienne, composée de 140 sportifs dans 23 disciplines, a eu à accomplir une mission diplomatique : faire entendre la voix de l’Ukraine « pour aider notre pays dans un moment difficile, pour que moins d’Ukrainiens meurent dans cette guerre et pour que nous puissions défendre nos territoires », alors que le récit russe reste omniprésent.
Maintenant que sa carrière de sportif professionnel est terminée, il pourra se dédier pleinement à ses responsabilités politiques. Il s’est engagé à l’invitation du président Volodymyr Zelensky. À l’époque, Zhan ne savait pas quelle forme cet engagement allait prendre et s’est retrouvé jeune député tout en préparant les Jeux olympiques de Tokyo. « Puis j’ai eu une équipe. J’ai alors réalisé que si je mettais un peu de côté ma vie personnelle, je pourrais m’en sortir ».
Lors des élections législatives anticipées en 2019, Zhan Belenkiuk a été élu député au Parlement ukrainien sur la liste du parti Serviteur du peuple de Volodymyr Zelensky, à la 10e place après les anciens et actuels présidents du Parlement, Dmytro Razoumkov et Rouslan Stefantchouk, la première femme procureure générale dans l’histoire de l’Ukraine, Iryna Venedyktova, et l’actuel ministre de la Transformation digitale, Mykhaïlo Fedorov, un autre nouveau-venu de la politique de la même génération.
Au Parlement, Zhan a rejoint les groupes des relations interparlementaires avec le Japon, les États-Unis, l’Afrique du Sud, l’Éthiopie, Singapour, et le Royaume-Uni. Il intervient en tant que Premier vice-président de la commission de la jeunesse et des sports. Ayant été témoin des défaillances dans la politique sportive du pays, il énumère des défis. Ils sont amplifiés par l’invasion, alors que la situation avait pourtant commencé à s’améliorer avec l’arrivée au pouvoir de Volodymyr Zelensky, selon lui, et la mobilisation par celui-ci de moyens supplémentaires : « Il y avait des fonds, des infrastructures, des clubs sérieux avec des projets de construction de nouvelles installations : piscines, stades, salles d’athlétisme et salles polyvalentes. Beaucoup de choses ont été inaugurées à la veille de l’invasion, et on a commencé à récompenser les athlètes pour leurs réussites. Cela nous a permis de faire des projets ». La guerre a changé les priorités.
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Dorénavant, Zhan Beleniuk devra se confronter à une tâche bien plus difficile : le développement d’une politique de la jeunesse et des sports dans un pays en guerre : « La jeune génération, qui part à l’étranger pour des raisons de sécurité et économiques, et y voit l’avenir de ses enfants et le sien, représente la base de la future génération olympique. Aujourd’hui, les infrastructures sportives sont détruites, ce qui s’ajoute aux problèmes courants du sport ukrainien : le manque de personnel pour former nos jeunes athlètes, le manque de motivation des entraîneurs et des athlètes, le manque de financement. L’essentiel est maintenant que la situation se normalise, que les gens envisagent leur avenir et le relient au pays et qu’ils puissent se projeter ici ».
Lors de ses premiers entretiens après la médaille d’argent à Rio, on l’a interrogé sur sa loyauté vis-à-vis de l’Ukraine et les tentations de partir dans les pays où une carrière sportive lui permettrait d’avoir plus de perspectives. Zhan a répondu qu’il a choisi l’Ukraine et souhaite humblement pouvoir apporter des changements ici : « J’ai commencé à obtenir de bons résultats à un moment difficile pour le pays. Mon premier résultat sérieux date de 2014 – au moment de la révolution de la dignité, de la fuite de Yanoukovych, de l’annexion de la Crimée – dans le contexte des turbulences politiques dans le pays, cela ne peut pas avoir un impact positif sur le développement du sport. Mais avec le temps, la situation s’est améliorée. J’ai vu que certaines personnes soutenaient le sport – des mécènes, des sponsors – et que l’État a commencé à recevoir des fonds supplémentaires pour améliorer la vie d’un athlète ordinaire ».
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Il a néanmoins dû se rappeler au maire de Kyiv, Vitali Klitschko, lui aussi ancien champion du monde de boxe, avant que celui-ci n’honore sa promesse en lui offrant un appartement à Kyiv pour sa médaille d’or à Tokyo.
Zhan se revendique Ukrainien. Il a vivement réagi face à une erreur du service de presse de la Fédération internationale de lutte qui l’avait présenté à tors comme Russe : « Je suis ukrainien ! » a-t-il répondu en postant sur son compte la photo du combat, entourant d’un cœur l’inscription sur son dos. Cependant, être Ukrainien et noir fait de lui une personne à part. « Si une personne ordinaire me voit [en Ukraine], elle dira très probablement que je ne suis pas ukrainien. Vous en conviendrez avec moi ? En France, il y a plus de personnes de couleur, mais en Ukraine, la situation n’est pas encore la même. Les Ukrainiens rencontrent généralement des personnes noires, essentiellement des étudiants venus pour leurs études ou des hommes d’affaires, mais personne n’imagine qu’un noir peut également être ukrainien. C’est une question de temps. Lorsqu’il y aura un grand nombre de migrants en Ukraine, et de métisses issus de mariages, la situation changera ». Entre personnes métissées on se soutient, confie Zhan. Dzhoan Feybi Bezhura, d’un père Ougandais et d’une mère Ukrainienne, représentait l’Ukraine dans l’équipe d’escrime à Paris.
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Zhan s’est rendu à deux reprises au Rwanda, et a tissé des liens avec la famille de son père hutu. Il s’est intéressé au drame qu’a traversé le pays d’origine de son père pour comprendre, et après y avoir passé deux mois, a ressenti pleinement qu’il était Ukrainien : « Je suis né en Ukraine, j’ai grandi ici, ce pays m’a complètement façonné. Les circonstances, l’espace qui vous a façonné, fait de vous ce que vous êtes maintenant. Mentalement, je suis absolument ukrainien. Même si je ressemble à un Afro-Ukrainien, ou même à un Africain, je n’en suis pas moins un produit de la civilisation ukrainienne, ou de ce que vous voulez appeler ainsi ».
Comme beaucoup de Kyïviens, le 24 février l’a surpris dans la capitale. Jusqu’à ce jour il était convaincu qu’il n’y aurait pas de guerre à grande échelle. Le lendemain, Zhan a emmené sa mère à Khmelnytskyi, depuis Bilohorodka, près de Bucha, et avec des amis il s’est lancé dans le travail bénévole pour soutenir l’approvisionnement des militaires. Il était parmi les premiers à entrer dans Irpin libérée, le 1er avril, et a découvrir les corps des militaires et des civils.
« Les gens sortaient tout juste de leur cachette, ils ne comprenaient pas ce qui se passait. Tout cela était effrayant et très impressionnant. La guerre a montré les gens sous un angle différent – dans le meilleur et dans le pire – c’est un catalyseur qui a montré qui était qui. Je suis psychologue de formation, mais pas praticien, et j’ai donc voulu l’analyser ».
Pour terminer, je lui demande si l’Ukraine va gagner la guerre ?
« Nous faisons tout pour cela. J’y crois. Je ne peux pas dire aujourd’hui ce que je considère comme les conditions finales [de paix] pour l’Ukraine. J’imagine qu’il devra y avoir un compromis. Et si la Russie est vaincue, ce sera aux conditions de l’Ukraine. [Ça signifiera] une normalisation de la situation, une reprise économique, des garanties de sécurité solides – nous devons nous protéger et protéger également l’ensemble du monde civilisé ».
Pour se préparer aux combats, Zhan ne réfléchissait pas aux compétitions trop en amont, confiait-il récemment à Ukurier : « Le soir, avant de me coucher, je me disais : demain sera une journée difficile, il faut que je fasse quelques combats et que je gagne. Et après-demain, je peux me reposer. Cela aide ». Cette façon de penser peut aider les Ukrainiens à affronter la guerre, afin qu’ils puissent tenir le coup durablement et l’emporter.