Avant 2022, l’Ukraine avait misé sur l’éolien et le solaire, qui représentaient 9% de sa production d’énergie. L’agression russe a détruit une grande part de ces capacités, car les plus grands sites de production sont situés dans des zones de combat ou des territoires occupés. Malgré ces pertes, l’Ukraine a adopté une loi pour développer de nouveaux sites de production d’énergies renouvelables.
Pour échapper à sa dépendance vis-à-vis du gaz et pétrole russe, l’Ukraine a pris le virage des énergies alternatives. En 2014, la part totale de l’énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie était de 4 %. En 2020, le chiffre était passé à 9 %. C’est-à-dire qu’en 6 ans, la quantité d’énergie « verte » produite avait doublé, selon l’Agence nationale pour l’efficacité énergétique et les économies d’énergie.
En 2019, l’Ukraine est entrée dans le top 10 des pays ayant le taux de développement des énergies renouvelables le plus élevés. La même année, dans le classement Climatescope, le pays a pris la 8ème place parmi 104 pays en termes d’attractivité pour les investissements dans ce secteur. Dès l’année suivante, le pays est entré dans le top cinq des pays européens en termes de taux de développement de l’énergie solaire. La place de l’Ukraine dans le classement n’a cessé d’augmenter. L’invasion à grande échelle du 24 février 2022 a mis un coup de frein à ce développement.
Quand la guerre a éclaté
Depuis lors, la Russie a détruit ou endommagé environ 90 % des centrales éoliennes en Ukraine : les deux tiers des éoliennes ne fonctionnent pas. Le ministre ukrainien de l’Énergie, Herman Galushchenko, l’a constaté lors de la conférence de Lugano. Au moins 30% des centrales solaires ont été détruites ou capturées par l’armée russe : Stanislav Ignatiev, PDG de Solar Generation, constate la destruction de 100% de la capacité de production des centrales solaires dans la région de Kharkiv qui dans les premiers mois de l’invasion a subi des pertes considérables en raison de l’occupation russe et continue d’être soumise à des bombardements quotidiens. Selon l’analyse, environ 280 MW (soit 24%) de la capacité installée par des investisseurs privés a été tout simplement détruite.
Le principal problème est que la grande majorité des entreprises de production d’énergie verte sont situées dans des lieux de combats. Leur emplacement est déterminé par les caractéristiques climatiques et économiques de ces régions. Les meilleures conditions naturelles se trouvaient dans les régions de Zaporijjia, Dnipro, Mykolayv et Kharkiv, c’est-à-dire dans le sud et l’est de l’Ukraine : précisément là où la guerre fait rage et où les bombardements sont intenses.
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Selon Andriy Konechenkov, le président du conseil d’administration de l’Association ukrainienne de l’énergie éolienne, au début de 2022, se sont les regions de Dnipro (1 350,06 MW), Kherson (1 139,65 MW) et Mykolayv (1 121,16 MW) ) qui étaient les leaders parmi les 24 régions d’Ukraine en termes de capacité installée de production d’énergie renouvelable. Ils représentaient plus de 37 % de toutes les capacités en Ukraine. Une partie importante de ces régions est actuellement sous occupation russe.
Pertes des plus grandes capacités
La plus grande centrale éolienne d’Ukraine, qui fait aussi partie des cinq plus grandes centrales éoliennes terrestres d’Europe centrale et orientale, est celle de Botiyiv. Elle est situé près du village de Primorsky Posad, dans la région de Zaporijjia. Aujourd’hui, les occupants russes ont installé leur base militaire dans cette localité, de sorte que le gouvernement ukrainien n’a aucun contrôle sur les installations et perd une part importante d’énergie. Auparavant, grâce à 65 turbines, le parc éolien de Botiyiv fournissait de l’électricité au sud de la région de Zaporijjia, et jusqu’en 2014, aussi à une partie de la Crimée.
La situation n’est pas meilleure avec l’énergie solaire. L’une des plus grandes centrales solaires ukrainiennes – SES Tokmak Solar Energy – est située dans la ville de Tokmak, aussi à Zaporijjia. La ville est sous occupation russe depuis les premiers jours de l’invasion à grande échelle. La station avait une capacité de 50 MW, ce qui était suffisant pour environ 4 districts de la région, et occupait une superficie de 96,4 hectares. Un autre grand projet, qui est actuellement celui ayant la plus grande capacité en Ukraine, est la centrale de Pokrovsk dans le district de Nikopol, situé dans la région de Dnipro. La puissance de cette centrale est suffisante pour fournir de l’électricité à 200 000 foyers : la station est constituée de 840 000 panneaux solaires implantés sur 437 hectares.
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Nikopol n’a pas été occupée, mais cette ville sur le fleuve Dnipro est probablement la plus exposée aux bombardements russes de toute sa région. C’est aussi le cas de la plus ancienne et la plus grande centrale hydroélectrique DniproHES-1 dans la ville de Zaporijjia avec une capacité de 1578,6 MW. Le 16 décembre, à la suite des bombardements russes, quand l’occupant a tiré plus de 20 missiles sur la ville, cette installation a subi d’importantes destructions.
Serhiy Shulzhenko, chercheur de premier plan à l’Institut de l’énergie générale de l’Académie nationale des sciences d’Ukraine, a expliqué à Tyzhden qu’il existe la possibilité de construire davantage de centrales d’énergie verte pour remplacer celles détruites ou occupées, y compris éolienne et solaire. Mais elles ne permettrons pas au pays de devenir autosuffisant.
La perte de capacité incite les acteurs de l’industrie en Ukraine à étendre leurs activités à l’étranger, en particulier en Roumanie, explique Oleksandr Selishchev, PDG de DTEK VDE, le plus grand investisseur privé dans le secteur de l’énergie en Ukraine. Selon lui, la perte de contrôle de la production dans les territoires temporairement occupés oblige Ukrenergo, la compagnie nationale d’électricité, à payer aux producteurs des sommes qui les permettent uniquement de régler leur TVA. Selon l’analyse d’Ivan Bondarchuk, membre du Conseil du Comité de la Chambre des comptes d’Ukraine, la production de l’année dernière a chuté d’environ 20 à 25 % de mars à juin, et en juillet, la part a légèrement augmenté pour atteindre 38,7 %.
De plus, en raison de l’invasion, la consommation d’électricité en Ukraine a naturellement chuté, tandis que la production de centrales solaires a augmenté de façon saisonnière en été. Les contrôleurs ont été contraints de limiter la production. Ukrenergo aurait dû compenser les pertes, mais ne l’a pas fait en raison de problèmes techniques en temps de guerre et d’un manque de fonds.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Actuellement, la situation est telle que, malgré les victoires importantes des forces armées ukrainiennes sur le front, il ne sera possible d’évaluer les dégâts et d’entreprendre la reconstruction qu’après la libération totale de territoires occupés. Bien que les frappes sur les sous-stations électriques ont diminué par rapport à l’automne 2022, comme le note S. Shulzhenko, les prévisions dépendent du nombre de missiles qui tomberont encore sur les terres ukrainiennes dans l’avenir.
Dans le même temps, malgré cet avenir incertain, les efforts pour rendre le secteur énergétique ukrainien plus vert se poursuivent. Le 3 mai, le président Volodymyr Zelensky a signé une loi sur la création du Fonds d’État pour la dé-carbonisation et la transformation éco-énergétique. Les mesures prévues par cette loi doivent permettre d’augmenter l’efficacité énergétique et d’attirer des fonds étrangers dans ce domaine.
Récemment (le 23 mai) l’Ukraine et l’Allemagne ont lancé un projet d’une valeur de 2 millions d’euros « Sources d’énergie renouvelables pour une Ukraine stable – R2U » en mettant l’accent sur la reconstruction « verte » de l’industrie énergétique ukrainienne. Dans le cadre de ce projet, dans un premier temps, 5 700 panneaux solaires d’une capacité totale d’environ 2 MW arriveront en Ukraine. Ils seront répartis entre 20 communautés sélectionnées et leurs infrastructures critiques. Kyiv espère le soutien de ses partenaires pour la diversification de l’approvisionnement en électricité qui devient vitale, vu les attaques russes qui ne s’arrêtent pas.
La guerre en Ukraine encourage les pays développés à accroître la production d’énergie verte, alors que les prix du pétrole et du gaz a flambé. Selon l’AIE, la sécurité et la stabilité des prix des énergies renouvelables produites localement sont devenues si attrayantes pour les gouvernements que les énergies renouvelables deviendront la principale source d’électricité au monde au cours des trois prochaines années.
Au cours des cinq prochaines années, le niveau d’investissement devrait augmenter de 30 % par rapport à ce qui était encore prévu il y a un an.
L’Ukraine a un potentiel non seulement pour remplacer les installations énergétiques détruites ou occupées, mais aussi pour devenir un exportateur d’énergie après la guerre, soutenant les efforts de dé-carbonisation et renforçant la sécurité énergétique de l’UE. En 2015, l’IRENA a enquêté sur le secteur des énergies renouvelables en Ukraine. Le potentiel total d’énergie éolienne à cette époque a été évalué entre 16 GW et 24 GW. Aujourd’hui, la reconstruction du secteur se concentrera évidemment sur les dommages causés pour restaurer et fournir l’accès à l’énergie aux citoyens. Cependant, les efforts pour développer les énergies renouvelables devraient être une priorité dans la reconstruction d’après-guerre.