Qu’est-ce qui ne va pas avec l’idée allemande de transporter de l’hydrogène vers l’Europe par l’Ukraine

Économie
18 avril 2023, 13:27

Malgré la poursuite de la guerre sur le sol ukrainien, l’Allemagne est revenue, fin mars dernier, sur une idée émise officiellement par Angela Merkel, peu avant sa démission et à la veille de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

À l’époque, la partie ukrainienne a tiré la sonnette d’alarme concernant le soutien de l’Allemagne au lancement du projet russe Nord Stream 2, considéré comme un élément d’une guerre hybride contre l’Ukraine. Mme Merkel, qui, à l’été 2021, a été contrainte de rencontrer le président américain Joe Biden et de s’entendre sur le lancement de ce projet, a promis à l’Ukraine de petits investissements et, surtout, un partenariat pour la mise en œuvre de projets dans le domaine de la production et du transport d’hydrogène, en guise de “récompense”.

Dans le contexte des objectifs climatiques, l’intérêt pour l’hydrogène au niveau mondial et en Europe est indéniable. L’hydrogène peut être utilisé pour produire de la chaleur ou de l’électricité sans émissions toxiques ou de gaz à effet de serre. Selon les prévisions, le marché de l’hydrogène “vert” en Europe représentera 2,2 billions d’euros par an d’ici à 2050. Et les investissements mondiaux dans les infrastructures liées à l’hydrogène atteindront 11 000 milliards de dollars d’ici à 2050.

L’hydrogène “vert” peut être produit partout où il y a de l’électricité et de l’eau. Mais l’Allemagne, par exemple, ne dispose pas d’espace libre suffisant pour développer sa production d’énergie verte. Elle s’intéresse donc aux importations.

De son côté, l’Ukraine est capable de produire jusqu’à 337-505 milliards de mètres cubes d’hydrogène par an. Cette quantité est suffisante pour répondre aux besoins intérieurs du pays, qui sont estimés à 75 milliards de mètres cubes. Un volume beaucoup plus important est également prévu pour l’exportation vers l’UE. C’est pourquoi l’Ukraine se prépare à devenir une partenaire clé de l’Union européenne dans le secteur de l’énergie hydrogène. La stratégie de l’UE en matière d’hydrogène désigne l’Ukraine comme un partenaire prioritaire pour la fourniture de ressources énergétiques au marché européen.

En août 2021, lorsque Mme Merkel a promis à l’Ukraine, avec enthousiasme, un projet sur l’hydrogène en échange de la possibilité de lancer le Nord Stream 2 russe, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a répondu: “Aujourd’hui, ce n’est pas réaliste. Cette question concerne l’avenir”. Cette réponse était fondée sur le scepticisme de nombreux représentants de l’industrie énergétique en Ukraine. Et leur nombre reste suffisant.

La technologie de l’hydrogène n’est pas compétitive sur le marché en raison du coût relativement élevé de la production d’hydrogène et de certaines caractéristiques techniques. De plus, les possibilités de production et d’utilisation de l’hydrogène à grande échelle ne sont qu’en stade d’étude de faisabilité et de tester dans l’UE et ailleurs.

Mais le problème n’est même pas là. D’énormes investissements sont réalisés pour améliorer les technologies de l’hydrogène, de sorte que nous pouvons nous attendre à ce que le coût des équipements diminue très rapidement, et son efficacité augmente. Le problème réside surtout dans les questions foncières (rappelons qu’elles constituent un obstacle au développement plus large des énergies vertes en Allemagne). Et, dans le cas de l’hydrogène, la disponibilité des ressources en eau.

Dans le même temps, l’Ukraine dispose de réserves d’eau les plus bas parmi les pays européens. Les régions du Sud sont particulièrement desservies. On estime que la consommation totale d’eau pour la production d’hydrogène vert peut être en moyenne de 22 à 32 litres pour 1 kg d’hydrogène. Bien que l’Ukraine ait accès à l’eau de mer, cette ressource devra être dessalée. Son utilisation augmentera donc encore le coût des projets liés à l’hydrogène.

La question de l’utilisation des terres risque également de se poser. Aujourd’hui déjà, des voix mécontentes se font entendre en Ukraine au sujet de l’utilisation excessive des terres agricoles. Le pays qui possède la terre noire la plus riche du monde est confronté à une dégradation croissante – un prix qu’il paie pour avoir contribué à résoudre le problème de la faim dans le monde.

En ce qui concerne la production d’hydrogène “vert”, selon la technologie en vigueur, l’Ukraine devra affecter des terres à cette fin – de 2 500 hectares à 28 200 hectares. Il est proposé de résoudre ce problème à l’aide d’installations dites “offshore”, c’est-à-dire situées sur l’eau. Cependant, cette zone offshore en Ukraine présente également des particularités en fonction de chaque région et de son potentiel de production d’énergie renouvelable.

Et enfin, le dernier contre-argument, qui est devenu pertinent après que le pays a été soumis à des attaques militaires barbares de la part de la Russie.

L’hydrogène a un effet destructeur sur les matériaux des tuyaux, des joints ou des réservoirs de stockage, les rendant cassants. Il s’échappe par les moindres fissures et est extrêmement explosif. Et le comportement des réseaux ukrainiens n’est pas le moindre des enjeux pour un pays épuisé par la guerre.

Par conséquent, avant de parler de la possibilité d’utiliser les gazoducs ukrainiens existants pour le transport de l’hydrogène, nous devons étudier ces possibilités en profondeur sur la base de tests pratiques. Au rythme normal de la recherche et des essais, il pourrait falloir une ou deux décennies pour construire une infrastructure d’hydrogène sûr et fiable.