Remplacer le ministre de la Défense en temps de guerre est un acte semi-suicidaire. Mais si l’on en est arrivé là, c’est qu’il y a de bonnes raisons. Qu’a donc fait Oleksiy Reznikov, l’ancien ministre de la Défense ? Rien de particulier par rapport à ses prédécesseurs. Il n’a pas été le pire des 30 dernières années. Il n’a pas vendu de chars, il n’a pas donné de missiles, il n’a pas découpé d’avions pour la ferraille. Dans les moments critiques, lorsque l’existence de l’État semblait en jeu, il n’a pas fui, et c’est une bonne chose. Au contraire, il a contribué à l’organisation de la défense de toutes les manières possibles, aidé à fournir des armes à ceux qui voulaient se battre. Mais il n’a pas vraiment réussi à bien gérer l’administration qui lui était confié.
Oleksiy Reznikov, un juriste et politicien post-soviétique, malgré toutes ses qualités, n’a pas réussi à transformer le ministère de la Défense en une structure efficace dépourvue de corruption. C’est le talon d’Achille de l’ex-ministre. Reznikov lui-même n’a pas été officiellement inculpé. Personne ne l’a pris en flagrant délit et il n’a peut-être pas été informé de ce qui se passait dans son dos. Mais ce qui se passait, toutes ces manipulations avec des œufs et des vestes surpayés, ces achats suspects d’équipements et d’armes de mauvaise qualité, c’est précisément la responsabilité du ministre de la Défense.
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Le limogeage de Reznikov était attendu depuis longtemps. Dès le début du mois de février 2023, des rumeurs ont circulé selon lesquelles le ministre de la Défense, afin de le soustraire au feu roulant des critiques sur les « œufs à 17 hryvnias pièce », allait être déplacé au poste de ministre des Industries stratégiques, et que le chef des Renseignements de défense de l’Ukraine, Kyrylo Budanov, serait mis à sa place. Aucun jeu de chaises musicales n’a eu lieu à ce moment-là. Cela peut s’expliquer par le fait que la loi interdit la nomination de militaires à la tête du ministère de la défense et qu’il n’y avait pas d’autre candidat. Mais les scandales ont continué.
Quoi qu’il arrive, le nouveau ministre, Rustem Umerov, vient d’être confirmé par le parlement ukrainien. Que savons-nous de l’ancien directeur du Fonds des biens d’État ? Il arrive avec une bonne réputation. Selon les experts, l’ancien député du parti de la Voix n’a été impliqué dans aucun scandale de corruption en tant que directeur du Fonds des biens d’État, ce qui constitue un succès sans précédent pour un fonctionnaire ukrainien. De plus, M. Umerov, qui est Tatare de Crimée, entretient de bonnes relations avec les Saoudiens et la Turquie (il a même accès à Erdogan lui-même), et il est généralement considéré comme un négociateur clé pour parler avec les pays musulmans. C’est par lui que la communication sur les livraisons d’armes passait déjà. Umerov aurait été impliqué à titre privé dans la recherche et la fourniture des armes nécessaires.
Rustem Umerov, comme l’actuel Premier ministre Denys Shmyhal, est un proche de l’oligarque Rinat Akhmetov. Il a commencé sa carrière dans son entreprise (Lifecell) puis rapidement gravi les échelons de la direction. En 2018, Akhmetov a fait don de trois hectares de terrain près du centre de Kyiv, sur le site de l’ancienne brasserie Karl Schulz, à la fondation familiale d’Umerov (la fondation caritative internationale Pour le bien-être de la Crimée), pour la construction d’un complexe résidentiel, d’un centre culturel musulman et d’une mosquée. Cette histoire a été révélée lorsqu’en 2021, les bâtiments de l’ancienne brasserie ont soudainement commencé à être démolis et que les citoyens ont manifesté pour protester.
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Tout le monde parle de Rustem Umerov comme d’un bon gestionnaire. Cependant, dans aucune de ses biographies disponibles, il n’a été possible de trouver un paragraphe sur son service dans les forces armées et sur la question de savoir s’il était suffisamment compétent pour nettoyer les écuries d’Augias de l’armée, la « de-soviétiser » et la moderniser. Il est possible qu’il s’agisse de l’un des rares candidats de qualité qu’il reste à Volodymyr Zelensky, vu que le président ukrainien est confronté à une pénurie de personnel depuis le début de sa carrière politique.
Cependant, le ministère de la défense n’a pas seulement besoin d’un nouveau chef. L’institution traverse un période difficile. Tout d’abord, elle doit être débarrassée des fonctionnaires corrompus. Pour cela il faut détruire les chaînes de corruption établies, reformater son travail et accroître son efficacité. Cela veut dire qu’il faut connaître la cuisine jusqu’au dernier recoin. Sans une immersion dans les détails, il sera impossible de relever ces défis. Mais le nouveau dirigeant n’a tout simplement pas le temps de tout étudier et de se documenter : le pays est en guerre. Et même si le changement de ministre de la Défense ne menace pas directement la capacité de résistance du pays, c’est une fonction cruciale.
En s’’adressant aux députés, le nouveau ministre de la Défense , Rustem Umerov, a résumé son ambition : « Tolérance zéro pour la corruption. Dans ma philosophie, les fonctionnaires corrompus sont assimilés à des terroristes ». Il vaut mieux ne pas faire de telles déclarations en vain. Rustem Umerov a placé la barre très haut. Tiendra-t-il cette promesse ? Nous le saurons très bientôt.