Roman Malko Correspondant spécialisé dans la politique ukrainienne

Pendant la guerre, la vie politique continue au parlement ukrainien

Politique
23 juillet 2023, 13:34

Depuis plusieurs années, la chambre unique du parlement ukrainien, la Verkhovna Rada, travaille sur un mode inhabituel, « portes fermées ». Cela a commencé avec le COVID-19. Le monde s’est refermé sur lui-même. Le Parlement ukrainien a fait de même. La présence de la presse était encore tolérée, bien que limitée. Cela n’est plus possible depuis le début de la guerre totale. Pour des raisons de sécurité, bien sûr.

Quand les troupes de Poutine se tenaient à quelques dizaines de kilomètres du centre de Kyiv, la présidence du parlement a décidé qu’il était inapproprié de tenir des séances publiques en présence de journalistes. Lorsque les députés se réunissaient alors pour voter sur des projets de loi ou des résolutions importants, ils s’efforçaient de le faire dans le secret, car le bâtiment du parlement pouvait être bombardé à tout moment. Non seulement les retransmissions en direct des sessions ont été interrompues, mais aussi les communications publiques habituelles sur la manière dont les parlementaires prennent des décisions. Le seul moyen d’en prendre connaissance était de consulter les comptes-rendus officiels ou les récits de certains députés-blogueurs.

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Puis, lorsque les occupants ont été chassés des abords de Kiev et que la vie dans la capitale s’est stabilisée, la pratique des portes ouvertes à la Rada n’a pas été rétablie. Depuis plus d’un an, le Parlement continue de travailler dans le secret. Cela s’explique à nouveau par des raisons de sécurité, ainsi que par le manque d’espace dans les abris où les députés et le personnel parlementaire peuvent se cacher en cas de menace de missile.

Depuis le début de la guerre, la Verkhovna Rada travaille en session plénière continue. Les réunions dans l’hémicycle ont généralement lieu deux ou trois fois par mois, et elles durent un jour ou deux jours d’affilée, selon la quantité de travail, mais il n’y a pas d’horaire précis. Le jour de la réunion est déterminé par la direction du parlement la veille, et les chefs de groupes et de factions en informent leurs collègues lors de discussions de travail. Au parlement, les députés votent principalement sur des projets préparés et discutés à l’avance afin de réduire le temps du travail. Et lorsque des discussions ont lieu pour enregistrer, par exemple, les positions particulières de certaines factions, elles ressemblent plus à un acte rituel rapide qu’à une véritable discussion de documents.

En général, un tel régime de travail de la plupart des commissions parlementaires et de la Rada elle-même, ainsi qu’une présence très rare des députés dans l’espace public et les médias créent l’illusion que le parlement ne travaille pas du tout. Cela signifie que le pouvoir législatif n’a pas d’influence réelle sur les processus qui se déroulent dans le pays. En réalité, ce n’est pas tout à fait le cas, car c’est pendant la guerre que les députés ont réussi à faire beaucoup de choses utiles. Le porte-parole officiel de la Verkhovna Rada a rapporté qu’au cours de l’année (du 24 février 2022 au 24 février 2023), le parlement a tenu 47 réunions, pendant lesquelles il a examiné plus de 800 questions à l’ordre du jour, adopté près de 400 nouvelles lois et en particulier, une centaine d’actes législatifs visant directement à contrer l’agression armée de la Russie. De nombreux accords avec la Russie et la Biélorussie ont été dénoncés, la législation ukrainienne a été désoviétisée et d’importantes initiatives législatives ont été adoptées dans le cadre du paquet en faveur de l’intégration européenne.

Les députés sont très fiers de n’avoir jamais tenu de réunion en dehors de la Verkhovna Rada, même dans les jours les plus difficiles. À leur avis, ce n’est pas tant un signe d’héroïsme qu’un indicateur de la stabilité du travail de l’institution, ce qui est très important à des moments historiques aussi critiques. Toutefois, la guerre a porté un coup sévère au parlementarisme ukrainien, et il convient de le reconnaître.

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Certes, le parlement a réussi à se mobiliser dans les premiers jours de l’offensive à grande échelle et à envoyer un important message patriotique à la société par la voix des représentants de diverses factions sur la réconciliation politique en vue de la victoire. Il a voté pour l’introduction de la loi martiale, a pris de nombreuses décisions importantes qui ont contribué à intensifier la résistance aux occupants, mais dès que le danger s’est un peu éloigné de Kyiv, de l’oblast de Tchernihiv, de l’oblast de Soumy et plus tard de l’oblast de Kharkiv, les représentants du peuple sont devenus nettement plus détendus. Le régime du secret n’a fait que les y aider. Après tout, personne ne peut contrôler ce qui se passe réellement entre les murs de la Rada, les rapports tardifs sur les décisions prises ne disent pas grand-chose, et la façon dont certaines initiatives législatives sont discutées est laissée à la conscience des parlementaires eux-mêmes.

Par conséquent, lorsque nous dressons ce bilan de l’activité des députés, nous ne devrions pas seulement parler du nombre de lois qu’ils ont adoptées, mais aussi de la qualité du travail de la Rada et des défis auxquels elle est confrontée. Aujourd’hui, le parlement se réunit principalement pour approuver certains projets de loi importants du président, de son cabinet ou le gouvernement. Mais il y a très peu de véritable travail parlementaire, et lorsqu’il est effectué, il l’est au minimum et on en sait très peu sur lui. Peut-être, pendant la guerre, ce format de travail est-il justifié ? Cependant en utilisant le régime du secret, la Rada, en plus de projets de loi importants, a adopté ou est en train d’initier de nombreuses initiatives qui nécessiteraient au moins un débat public ouvert dans la société.

De nombreux députés ont simplement fui le pays pendant les jours le plus difficiles de la guerre et sont toujours cachés quelque part sur la Côte d’Azur, tandis que certains se sont révélés être des collaborateurs ou des agents ennemis. Les factions et les groupes parlementaires, qui existaient avant l’invasion à grande échelle ont radicalement changé. Certaines ont heureusement disparu comme le Plate-forme d’opposition pro-Kremlin, et certains ont perdu en puissance, comme les « Serviteurs du Peuple » pro-présidentiels. Ce groupe tient toujours formellement ensemble, mais est en loin d’être monolithique. Quelques élus se sont notablement enrichis pendant la guerre, mais compte tenu de leur maigre expérience de la corruption, ils n’ont pas pu le cacher, causant des scandales. Certains parmi eux n’ont même pas honte d’investir dans l’immobilier de luxe au centre de la capitale. La société civile les a hués, bien entendu, mais cela ne les a pas empêché de le faire.

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Globalement, les Ukrainiens ne semblent pas surpris. Ils s’intéressent avant tout à ce qui se passe sur la ligne de front, et non au parlement, car ce sont les forces armées qui déterminent désormais leur avenir. Ils semblent même étonnés de voir que la plupart des élus du peuple se sont comportés bien mieux qu’ils ne l’avaient prévu. Il suffit de rappeler le niveau de confiance dans le parlement à la veille de la guerre. Selon l’Institut international de sociologie de Kyiv, début décembre 2021, seuls 11 % des citoyens ukrainiens exprimaient leur confiance dans la Verkhovna Rada, tandis que 67 % s’en méfiaient. À titre de comparaison, 27 % des personnes interrogées à l’époque faisaient confiance au président Zelensky, tandis que 50 % s’en méfiaient. Les forces armées ukrainiennes jouissaient de la confiance de 72 % des personnes interrogées et de la méfiance de 12 %.

Les prémices de cette méfiance à l’égard du parlement ont été posées dans la société bien avant la guerre. Pendant des décennies, les parlementaires ont tout fait pour parvenir à ce résultat. Mais le parlement élu en 2019 s’est avéré le mieux constitué. C’est alors seulement qu’un phénomène tel qu’un parti présidentiel majoritaire est apparu pour la première fois dans ses murs, le groupe « Serviteur du peuple », composée de 254 députés politiquement analphabètes et pratiquement inexpérimentés. Toutes les règles établies au parlement ont alors été balayées sans ménagement. Ils ont commencé à interpréter les règlements à leur guise, les lois ont été adoptées sans préparation et la discussion a presque disparue de l’hémicycle. Le travail parlementaire des représentants de la majorité a été réduit à une adoption presque inconditionnelle des initiatives du président. L’opposition est devenue presque inexistante, elle ne pesait plus grande chose. C’est alors qu’a commencé le déclin du parlementarisme ukrainien.

Au fil du temps, la majorité devrait perdre son caractère monolithique, les conflits internes devraient s’intensifier et les intérêts particuliers reprendre le dessus. Et pour obtenir l’approbation des initiatives présidentielles, Volodymyr Zelensky devra venir personnellement au Conseil et demander instamment un soutien. De plus, les hauts dirigeants de sa faction devront courir et négocier avec des opposants, car il y aura toujours un manque de votes. Cette évolution habituelle est quelque peu ralentie par la guerre et le caractère secret des travaux de la Rada, mais pas pour longtemps. Le plus intéressant est à venir.

Tôt ou tard, la guerre se terminera définitivement par une victoire ukrainienne. La paix reviendra dans le pays et il sera temps d’organiser des élections. Les politiciens, comme personne d’autre, comprennent que la situation telle qu’elle était avant le 24 février 2022, et même telle qu’elle est aujourd’hui, ne sera plus jamais la même. Le paysage politique sera transformé.

Après la victoire, ceux qui sauvent actuellement le pays sur le champ de bataille deviendront les personnages clés. Beaucoup de joueurs d’aujourd’hui se retrouveront hors du jeu, même s’ils ne le souhaitent pas vraiment. Mais quelle que soit l’évolution des événements, il est clair que le parlement ukrainien de la prochaine législature ne sera pas le même qu’avant la guerre. La guerre a déjà changé beaucoup de choses dans la vie des Ukrainiens et elle est loin d’être terminée.

Auteur:
Roman Malko