Olena Davlikanova Washington

Nouvelles sanctions antirusses aux États-Unis : contre qui et pourquoi

Politique
10 septembre 2024, 08:44

Les infatigables disciples russes des chefs de propagande génocidaire Goebbels et Kabuga intensifient leur offensive sur le front de l’information. Ils s’ingèrent dans les élections américaines, parrainent des blogueurs occidentaux et présentent à la Mostra de Venise un film sur de « bons Russes ordinaires » qui n’aiment pas la guerre.

La machine d’information russe ne s’arrête pas un instant pour maintenir une « bataille éternelle ». Bien évidement, à la veille d’événements importants, comme les élections américaines, la confrontation s’intensifie.

L’ingérence dans l’élection présidentielle américaine et les blogueurs « victimes »

Le 4 septembre 2024, le département du Trésor et le département d’État américains ont élargi la liste des personnes et organisations sanctionnées pour avoir participé à des tentatives de Moscou d’influencer le résultat de l’élection présidentielle américaine et de saper la confiance du public dans le processus électoral et les institutions de l’État.

Les sanctions visent le groupe de médias Rossiya Segodnya et cinq de ses filiales : RIA Novosti, RT, TV-Novosti, Ruptly et Spoutnik, ainsi que dix personnes, dont Margarita Simonyan. La rédactrice en chef de RT et « figure centrale des efforts d’influence malveillante du gouvernement russe » a réagi avec le commentaire « On se se réveille! ». En effet, cette décision semble arriver au moins deux ans trop tard.

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L’arsenal des propagandistes russes comprend des deep fakes et de la désinformation générée par de l’IA, ainsi que le recrutement d’influenceurs américains. Konstantin Kalachnikov et Elena Afanasyeva, salariés de RT, ont notamment versé, au cours de l’année écoulée, près de 10 millions de dollars à une société basée dans le Tennessee pour créer du contenu en ligne de récits russes.

Il s’agit très probablement de Tenet Media, un « réseau de commentateurs non orthodoxes qui se concentrent sur les questions politiques et culturelles occidentales », que Forbes a qualifié de radicaux de droite. Parmi eux figurent Benny Johnson, Dave Rubin, Matt Christiansen et Tayler Hansen. Ces blogueurs discutent des politiques intérieure et étrangère des États-Unis, notamment de l’immigration, de l’inflation et de l’aide à l’Ukraine, qu’ils considèrent en grande partie comme un gaspillage injustifié et dont ils préconisent la réduction.

Après la révélation de la piste russe, la plupart des commentateurs ont publiquement nié avoir connaissance des liens avec la Russie ou de l’influence de l’équipe éditoriale de RT sur leurs prise de positions. Benny Johnson a écrit sur X que « lui et d’autres influenceurs ont été victimes d’une manipulation criminelle ». Tyler Hansen a souligné que les accusations selon lesquelles les animateurs seraient des agents russes étaient délibérément fallacieuses.

Au cours de l’année écoulée, près de 2 000 vidéos ont été publiées sur la chaîne YouTube de RT, pour un total de 16 millions de vues. La chaîne est actuellement fermée. L’objectif pourrait être d’assurer le « résultat souhaité » dans le combat entre Donald Trump et Kamala Harris. Bien que Poutine lui-même ait annoncé qu’il pensait que l’élection de Harris serait plus bénéfique que celle de Trump pour la Russie, un haut responsable des services de renseignement américains a déclaré que des documents fabriqués par la Russie étaient conçus pour soutenir Trump.

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Au total, le gouvernement états-unien a saisi 32 domaines Internet liés à cette opération russe où les propagandistes utilisaient des contrefaçons de médias américains et européens respectés tels que The Washington Post, Fox News, Reuters, Der Spiegel, Bild, Le Monde, Le Parisien, Welt, FAZ, Süddeutsche Zeitung, Delfi et d’autres afin d’induire en erreur les consommateurs de contenu.

Le document de près de 300 pages du FBI explique que les domaines saisis représentaient une campagne de fake news à grande échelle visant à attaquer les politiciens américains qui soutiennent l’Ukraine dans sa guerre contre la Russie et à attiser les tensions dans la société américaine, ainsi qu’une campagne à grande échelle dans l’UE. Cette campagne a été supervisée par le premier chef adjoint de l’administration présidentielle russe, Sergueï Kirienko, à qui les sociétés chargées de la mise en œuvre, Social Design Agency (SDA), Structura National Technology (Structura) et ANO Dialog, ont rendu compte de leurs activités.

Dans le cadre de la lutte contre la propagande, le département d’État américain a même annoncé une récompense de 10 millions de dollars pour toute information sur l’ingérence étrangère dans les élections américaines.

Au début de l’année, le ministère américain de la justice avait accusé Dmitry Simes, analyste politique et animateur de la chaîne russe Channel One, de nationalité américaine, ainsi que son épouse, d’avoir contourné les sanctions américaines et d’en avoir blanchi le produit. Ils risquent jusqu’à 60 ans de prison. M. Simes qualifie cette affaire de vengeance de l’administration Biden en raison de sa position pro-russe.

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Le Washington Post a également publié une enquête exposant la campagne du Kremlin visant à diffuser sur les réseaux sociaux des milliers d’articles, de messages et de commentaires qui « promeuvent l’isolationnisme américain, alimentent la peur concernant la sécurité des frontières américaines et cherchent à accroître les tensions économiques et raciales aux États-Unis ». The Hill a cité Mike Turner, président de la commission du renseignement de la Chambre des représentants des États-Unis, qui a déclaré que la propagande russe était présente même au sein du Congrès.

L’art au service de la propagande russe

La projection à la Mostra de Venise le 5 septembre du documentaire de propagande russe Des Russes à la guerre, réalisé par Anastasia Trofimova, est inquiétante. La critique de cinéma ukrainienne Sonya Vselyubskaya a expliqué que le film humanise les militaires russes, mais que rien d’autre que les difficultés de la guerre et de la mort ne devrait susciter la sympathie. Les personnages reproduisent les messages russes. Le film ne parle pas de reconsidérer leur participation à l’agression, de se repentir ou de quoi que ce soit d’autre.

Cette œuvre de propagande a été présentée dans la même catégorie que Les chansons de la terre qui brûle lentement, un film de la réalisatrice ukrainienne Olha Zhurba, sur les prisonniers ukrainiens capturés par la Russie.

La démarche occidentale habituelle consistant à réunir sur une même scène des représentants de pays en guerre, censée démontrer l’impartialité de l’art ou de la science, perd tout son sens plus de deux ans après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine. Le récit créé par les intellectuels occidentaux sur la guerre de Poutine, et non du peuple russe, contre l’Ukraine, ne résiste pas à la critique.

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Le ministère ukrainien des Affaires étrangères a condamné le film. « Des Russes à la guerre est un film qui montre de la sympathie pour l’agresseur avec une dévaluation parallèle de ses victimes, malgré les milliers de vies ukrainiennes perdues et les millions de Russes mutilés », a déclaré l’ ambassadeur d’Ukraine en Italie, Yaroslav Melnyk, dans une lettre adressée au président de la Mostra. Selon lui, Mme Trofimova a toujours coopéré personnellement avec Russia Today. De plus, le film a été tourné dans les territoires occupés, sans l’aval de l’Ukraine.

Ce film controversé doit être projeté également lors d’un festival international de cinéma au Canada. Le consulat général d’Ukraine à Toronto a déjà protesté.

La productrice ukrainienne Darya Bassel affirme que « le film présente une image très déformée de la réalité, diffusant de faux récits (qualifiant l’invasion russe et l’annexion de la Crimée de guerre civile ; attestant que l’armée russe n’a commis aucun crime de guerre ; présentant l’armée du pays agresseur comme une victime) … »

L’annonce de la première canadienne perturbe le public en affirmant que les personnages se rendent compte que « tout ce qu’ils ont entendu sur la guerre dans les médias russes est un mensonge. Ils commencent à douter de leur raison d’être et ne se battent plus que pour survivre ».

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« Les médias russes présentent les soldats comme des héros, des mannequins sans visage. Dans les médias occidentaux, ils sont tous des violeurs et des meurtriers. Mais comment décrire une personne sans lui parler ?» se demande la réalisatrice du film, cherchant à créer une impression de neutralité. « Depuis le 24 février 2022, date à laquelle tout notre monde a basculé, mon principal rêve et le sens de ma vie ont été de voir et de comprendre notre nouveau monde à l’envers, un monde de guerre. Je voulais enregistrer le chapitre de ce livre d’histoire dans lequel nous nous sommes soudainement retrouvés, ainsi que les personnes qui le composent. Après tout, il y a si peu de matériel approfondi sur cette guerre du côté russe du front, pour notre histoire, pour notre compréhension de nous-mêmes ».

La réalisatrice ne comprend pas les accusations selon lesquelles il est inapproprié d’« humaniser » les occupants russes et rappelle la radio Thousand Hills, qui appelait au génocide des Rwandais. Il lui semble que l’on ne peut plus choisir un camp aujourd’hui. Si une personne choisit un camp, elle est pour la guerre. Mais Anastasia Trofimova pense qu’elle défend la paix et veut que nous nous considérions les uns les autres comme des êtres humains.

L’Ukraine a demandé à plusieurs reprises que la Russie cesse d’utiliser la scène culturelle internationale pour blanchir ses crimes ou pour promouvoir le dialogue entre les parties au conflit dans l’intérêt de la compréhension et de la réconciliation. Il serait logique de n’entendre la voix des agresseurs russes que sur le banc des accusés à La Haye.

La guerre de l’information menée par la Russie sur de nombreux fronts

Chaque année, la Russie dépense plus d’un milliard de dollars en propagande. Les analystes du groupe de réflexion RUSI, basé à Londres, estiment que la Russie est en train de gagner la guerre mondiale de l’information et que ses intérêts vont bien au-delà de la déstabilisation de l’Europe et de l’Amérique du Nord, atteignant le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Amérique latine.

En investissant massivement dans ces opérations, la Russie progresse de manière alarmante dans le Sud. Entre-temps, ce n’est qu’après l’invasion massive de l’Ukraine que l’Occident a pris conscience de l’ampleur de la menace que représente l’influence de la Russie en matière d’information.

Même l’Ukraine, qui connaît bien les méthodologies russes, doit continuellement faire des efforts importants pour contrecarrer les opérations de désinformation russes. Au cours de l’été 2024, le service de renseignement ukrainien (SBU) a découvert une cellule du projet politique pro-russe appelée « Une autre Ukraine », liée à Victor Medvedchuk [un proche de Poutine – ndlr], qui se spécialisait dans le sabotage de l’information contre les forces armées ukrainiennes et le gouvernement ukrainien. Les principaux appels concernaient la fin de la résistance à l’agresseur.

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Le succès du parti Alternative pour l’Allemagne (AfD) lors des récentes élections en Saxe et en Thuringe pourrait être en partie dû à l’influence à long terme des messages d’information pro-russes. Le FBI a prévenu que l’Allemagne était une cible importante de la désinformation russe visant à affaiblir le soutien à l’Ukraine et à renforcer l’AfD.

Le document du FBI susmentionné fait référence à un large éventail de messages jouant sur les émotions et la rationalité afin de déstabiliser les pays occidentaux, de nuire à la coopération internationale, de discréditer l’OTAN, les États-Unis et le Royaume-Uni et de convaincre le public que les sanctions antirusses sont inefficaces et préjudiciables pour les Européens.

Les experts russes en opérations psychologiques ont identifié l’Allemagne comme une cible particulièrement facile pour l’influence russe, compte tenu de sa dépendance économique au gaz et aux exportations vers la Russie. Les documents de l’Agence russe de conception sociale font référence à l’opération « Fomentation de conflits internationaux » visant la France et l’Allemagne. L’objectif de cette opération est d’aggraver les relations entre ces pays et de promouvoir les intérêts russes.