Il a défendu la liberté ukrainienne au front et a voulu reconstruire les villes ukrainiennes après la guerre. Un souvenir du soldat britannique Peter Fouché, mort dans les combats dans la région de Donetsk.
Malheureusement, on ne se connaissait pas. Je ne sais pas quel âge il avait, quels étaient ses loisirs, et ce dont il rêvait…Mais lorsque un énorme désastre, à savoir la guerre, s’est abattu sur mon pays, il a quitté sa vie calme à Londres et est venu ici. Il voulait aider. Il voulait soigner les blessures, sauver, donner de l’espoir. Il a pris l’Ukraine dans son cœur et a donné sa vie pour ce pays. J’ai le sentiment que j’ai perdu un véritable ami. Je ne le connais pas personnellement, mais il restera à jamais gravé dans ma mémoire.
Il s’appelait Peter Fouché. C’était un volontaire, un médecin, un militaire. Il aimait la vie et était optimiste. Il a sauvé plus de 200 vies. Il est mort au combat près de la ville de Tchassiv Iar.
« Il n’y a pas de guerre dans le monde comme celle qui se déroule en Ukraine. L’Ukraine défend sa survie, son droit à l’existence. Ces gens sont des géants. Je dois y aller. Je dois y participer ». C’est ainsi que Peter Fouché a expliqué à ses proches sa décision de partir en Ukraine. Il l’a prise dans les premiers jours de l’invasion russe, car les nouvelles l’obsédaient. Les membres de sa famille étaient contre: ils s’inquiétaient pour leur fils et leur frère. « Tu peux aider d’ici, à distance, tout en restant en sécurité », ont-ils tenté de le dissuader. Mais Peter n’écoutait personne.
La seule chose qui pouvait avoir un impact important sur sa décision était les mots de sa fille adolescente Nikola. Avant de partir, il lui a dit : « Tu es mon enfant et je t’aime plus que tout au monde. Heureusement, tu vis dans un pays sécurisé sans risque de guerre. En Ukraine, les gens souffrent, les enfants meurent… Je veux les protéger. Il faut que tu me comprennes !» « Vas-y, papa. Mais prends soin de toi, a répondu sa fille, et reviens à la maison… » Cette « permission » lui a donné confiance. C’est ainsi que Peter s’est porté volontaire.
Au début du mois de mars 2022, il est parti en mission humanitaire dans un pays où il n’était jamais allé auparavant. Plus tard, il se souviendrait de sa rencontre, à son arrivée en Ukraine, avec un journaliste américain qui traversait la frontière dans la direction opposée. « Réfléchissez bien. Réfléchissez-y à deux fois avant. Vous vous dirigez vers l’enfer », l’a-t-il prévenu.
Avec une équipe de volontaires, Peter distribue de la nourriture et de l’eau dans les villes et les villages de la ligne de front, et a aidé à évacuer des civils de la zone de guerre. Il crée le « Konstantin Project », une organisation bénévole en hommage à son camarade mort à la guerre, et collecte divers fonds pour soutenir l’Ukraine.
À Brovary, dans la région de Kyiv, il participe à la construction du premier hôpital de campagne pour les blessés. Il est formé aux premiers secours. Il rejoint la défense territoriale. De suite, Peter décide qu’il serait beaucoup plus utile directement sur le front. « Si nous soutenons davantage l’armée et la ligne de front, les civils à l’arrière souffriront moins et se sentiront mieux protégés », expliqua-t-il.
« Je reviens et je détruirai ce char pour toi. Courage, mon frère… »
Ces activités ont été boostées par l’expertise qu’il a acquise dans la police: Peter a été policier pendant de nombreuses années. Il savait réagir de manière rapide, prendre des décisions instantanées, bien évaluer une situation. De nouveau, il avait besoin de tout ce savoir faire, mais dans une réalité différente. Il se trouvait désormais là où se déroulaient les combats les plus violents. Il a aidé à évacuer des blessés de la ligne de front. Il a donné les premiers soins et a appris à se débrouiller dans des situations très difficiles.
« Une fois, nous transportions un blessé et j’ai ressenti une étrange odeur de fumée », a-t-il raconté lors de l’une de ses interviews. « J’ai regardé autour de moi… et j’ai réalisé que c’était du phosphore qui brûlait dans le corps d’un soldat blessé. Je n’ai pas eu le temps de réfléchir. J’ai pris mon couteau de combat et j’ai retiré ce phosphore de sa cuisse sans que le blessé s’en aperçoive. Eh bien, je n’avais jamais rien fait de la sorte auparavant. Avant cette guerre… j’avais du mal à supporter la vue du sang. Donc, j’ai été obligé de l’apprendre spontanément, sur le terrain… »
Ses amis et collègues ont rappelé que Peter essayait toujours de plaisanter et de soutenir les blessés dans les conditions les plus critiques. Il leur tenait la main, leur répétaient comme un sort : tu vivras. Je suis là et je te sauverai. Je vais t’emmener dans un endroit sûr et nous rentrerons ensemble à la maison. Ensuite, je reviendrai et je détruirai le char qui te tirait dessus. « Ces hommes sont incroyables. Ce sont des héros absolus pour moi », a déclaré Peter à propos de ceux qu’il aidaient à évacuer du champ de bataille. On lui attribue le mérite d’avoir sauvé plus de 200 vies.
Il ne parlait pas ukrainien – seulement quelques mots, des phrases simples. Mais il parlait la langue de la gentillesse et de la sincérité. Il n’existe pas de manuels de cette langue. Il faut avoir un don.
Peter aest allé dans de nombreux lieux-clés de la guerre russo-ukrainienne. Il a participé à la libération de Kyiv, de Tchernigiv et de Kharkiv. Il a vécu l’enfer de la région de Donetsk. Il a choisi comme nom de guerre Hasta La Vista.
« Peter s’est fait connaître comme médecin et volontaire. Mais peu de gens savent qu’il était aussi un excellent sniper. Il est né et a vécu en Afrique du Sud pendant de nombreuses années. Il a raconté que depuis son enfance, il se passionnait pour des armes, qu’il était membre du club de tir de son école. Après le lycée, il est entré dans la police et a servi dans l’unité des snipers. Il avait envie d’évoluer dans ce domaine. Il nous a aidés et a partagé ses savoir-faire avec nous. Je pense que je ne connais pas de personne plus déterminée, un homme qui s’est battu avec tant de sincérité et qui croyait à la victoire de l’Ukraine comme Peter… Pour moi et pour les autres, sa mort est une perte très douloureuse... », dit Stas, un militaire ukrainien au nom de guerre « Vent ».
Stas, mon voisin et mon ami d’enfance, est venu à Kyiv de la ligne de front pour accompagner Peter et lui rendre un dernier hommage. Stas m’a décrit cet incroyable « Britannique qui avait l’Ukraine dans le cœur », qui a défendu notre liberté et notre dignité. « Il faut être un véritable Ukrainien pour aimer l’Ukraine à ce point. Et Peter en était un, il l’est devenu ».
Peter n’était pas seulement un policier, mais aussi un maçon. Il disait : « Je sais qu’après la guerre, nous construirons ici de nouvelles maisons magnifiques pour ceux qui ont perdu la leur. Je suis un bon charpentier ». Après la guerre, il avait l’intention de rester en Ukraine et de rénover les villes détruites par l’agresseur russe. Il rêvait de reconstruire Bakhmout, pensait prendre la nationalité ukrainienne.
« Une fois, à Droujkivka, une ville de l’oblast de Donetsk, j’ai rencontré une vieille dame de 80 ans. D’où viens-tu ? – m’a-t-elle demandé. Quand elle a appris que je venais de Grande-Bretagne, elle s’est inclinée devant moi comme si j’étais un roi. Je ne l’oublierai jamais… Je fus émus aux larmes », a-t-il raconté dans une interview.
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« On aime dire en Ukraine que les héros ne meurent pas, mais ce n’est pas vrai, malheureusement. Un homme est mortel », dit un combattant ukrainien ayant pour nom de guerre Tin (Ombre). « Il ne ressemblait à personne d’autre. Tu lui parlais 2-3 minutes et tu te rendais compte tout de suite à quel point il était hors de commun », dit un autre militaire, Roman, nom de guerre Myslyvets (Chasseur).
« Il était toujours souriant. Je me souviens de lui depuis les combats pour Kharkiv. C’est une grande perte pour nous… De notre groupe de six, il ne reste que trois survivants… Je me souviens que nous avions eu quelques heures de repos. Et Peter nous a invités à un pique-nique le soir. Il a fait un feu, nous avons sorti notre nourriture de soldat et fait griller des brochettes improvisées », continue Roman.
« Je ne comprenais pas grand-chose à l’anglais et Peter ne parlait pas ukrainien. Mais nous nous sommes compris sans mots. J’ai pris une caméra thermique pour regarder autour de moi. J’ai vu un castor qui nageait le long de la rivière. J’ai dit : « Peter, il y a un castor ici. Et il a commencé à filmer avec son téléphone. Il était heureux comme un enfant. « Roma… Ooooh, c’est un castor, regarde ! » Quand Peter est mort… je n’arrivais pas à y croire. Ce n’est pas vrai, me suis-je dit, ce n’est pas possible. Il savait tout faire. Il faisait tout, même des choses qu’il n’avait jamais faites auparavant. Il avait toujours son chien avec lui. Il prenait son sac à dos et son chien et allait se promener tous les matins. J’ai cette image dans les yeux : il marche avec son chien et sourit. Quand vous lui parliez, vous vous sentiez mieux. Pour nous, ses collègues, la mort de Peter est une perte inimaginable… »
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En avril 2024, sa mère, Rose Fouché, âgée de plus de 80 ans et vivant en Afrique du Sud, a effectué le difficile voyage en Ukraine pour voir son fils. De nombreux bénévoles et des journalistes ont contribué pour rendre cet événement possible. Peter a été impressionné. Cette femme courageuse, ayant de graves problèmes de santé, n’avait pas eu peur de la distance et des obstacles. Elle a passé quelques jours avec son fils à proximité de la zone de guerre dans des conditions plus que spartiates. Après tout, le fait d’être ici, près des personnes qui vivaient les moments les plus difficiles, était un choix de « son garçon » qu’elle appréciait sincèrement. « C’est ma mère qui m’a appris à avoir Dieu dans mon cœur, qui m’a appris à aimer et à me soucier des autres », avait déclaré Peter.
… Peter a souhaité qu’en cas de décès, ses cendres soient dispersées à la fois à Kyiv, dans la région de Donetsk, où il a combattu, et à Londres. Sa famille, ses amis et ses compagnons d’armes ont respecté sa volonté. Chaque matin, lorsque les accords mélancoliques de « Plyve Kacha » annoncent une minute de silence sur le Maidan de Kyiv, pour honorer la mémoire de nos héros, je m’arrête et pense à la présence invisible de ceux qui ont aimé notre Ukraine par-dessus tout. Et qui ont donné ce qu’ils avaient de plus précieux pour elle.