Andriy Golub Correspondant spécialisé dans la politique ukrainienne

Un français, membre de la Légion étrangère ukrainienne : «Tout ce qui se passe ici concerne l’avenir de l’Europe entière et même de la Russie»

Guerre
15 octobre 2022, 10:24

L’un des premiers combattants volontaires de la Légion étrangère d’Ukraine a parlé de ce qui l’a motivé à partir en Ukraine et ce que les autres étrangers devraient savoir, eux, avant qu’ils ne rejoignent la légion. Cet entretien est disponible en anglais, sous-titré en ukrainien, sinon il existe également sous forme de texte. A voir ci-dessous / The English version of the interview is on the video:

 

– Parlez-nous un peu de vous.

Je m’appelle Pierre, je suis ressortissant français. A présent, je réside en Allemagne où je travaille dans le domaine du conseil du leadership et la gestion.

– Quelles étaient vos raisons pour joindre à la Légion étrangère d’Ukraine?

Depuis un moment, j’observe ce qui se passe en Ukraine parce que ma famille se retrouve ici. Et lorsque les choses se sont aggravées, je me suis mis à me demander ce que je pourrais faire afin d’apporter mon aide. Et quand l’envahissement a eu lieu, j’ai pris la décision «Bon ben, je dois y aller pour faire quelque chose». Je ne savais pas quoi faire exactement, or je suis allé à Lviv, justement pour trouver une option de faire quelque chose pour votre pays, et pour sa défense, et aussi pour les Ukrainiens.

– Est-ce que vous disposez d’une expérience militaire ?

Oui. J’ai participé aux missions internationales au Proche Orient et en Afrique. J’ai commencé en tant qu’instructeur et puis je suis devenu officier. Je crois que mon expérience peut être utile.

– Pouvez -vous dire quelles sont les conditions à remplir pour devenir un combattant volontaire? Que faut-il faire pour pouvoir joindre à la Légion étrangère d’Ukraine ?

Tout d’abord, il faut le décider pour soi-même. C’est une décision qui n’est pas facile à prendre. C’est très bien que vous vouliez aider, pourtant vous devez comprendre ce que vous allez y faire et dans quelles conditions. Puis il vous faudra préciser certains éléments auprès de vos autorités, puisqu’ il peut exister des nuances, vu la législation de votre pays. Il se peut que votre voyage ne soit pas légitime. Vous devez faire le point sur la question. La démarche suivante, c’est de contacter l’Ambassade d’Ukraine dans votre pays. En plus, vous pouvez prendre des renseignements nécessaires pour savoir comment joindre la Légion étrangère sur des pages respectifs sur le web. Par la suite, il vous faut passer par les vérifications des papiers, un entretien de recrutement et répondre aux questions sur votre expérience d’auparavant, afin de savoir où vous auriez pu être utile au maximum, et comment vous pourrez aider.

– Pourquoi est-il si important pour vous personnellement de combattre contre la Fédération de Russie du côté de l’Ukraine?

Il est important à différents niveaux. Premièrement, c’est une réaction sur le plan émotionnel. J’ai ma famille ici, j’ai des racines ukrainiennes, donc pour moi c’est une affaire personnelle. Puis, même pour ces gens-là qui n’ont pas de rapports personnels, ils voient que tout ce qui se passe ici met en danger les principes, sur lesquels la paix et la démocratie ont été bâties en Europe depuis ces 70 ans, et comment cette guerre met en danger tout le cours de l’histoire. Ce n’est pas seulement le problème pour l’avenir de l’Ukraine, mais pour toute l’Europe et même la Russie. Et par ailleurs pour le monde entier, puisque ce sont les règles du jeu qui sont en train d’être changées: après une certaine période de la paix, nous revenons à une période du chaos. Je crois qu’il faut arrêter cela tout de suite.

– Pouvez-vous nous dire comment vous voyez les choses ici, en Ukraine ?

Tout d’abord, je dois dire que je suis absolument impressionné et dans une certaine mesure je suis fier. Quand je vois ce que fait l’armée ukrainienne sur le front, comment elle résiste à une énorme armée russe, je ressens du respect vis-à-vis elle. Ce que je vois aussi à l’arrière, ce sont des milliers et des milliers de réfugiés qui arrivent à Lviv de tout le pays, ils voyagent dans des conditions terribles, mais de l’autre côté, beaucoup de gens ici, à Lviv, essaient de les aider, d’organiser un logement ou un transit vers Pologne. Et quand j’étais sur le chemin de l’Allemagne vers Lviv, j’ai vu sur les routes des centaines de voitures et de minibus qui venaient du Portugal même ou de l’Irlande. Ils ont traversé toute l’Europe jusqu’à la frontière pour apporter quelque chose, pour aider les gens. Cela veut dire que non seulement les gens font un travail inouï sur la ligne de front, mais aussi les choses sont sous contrôle dans l’arrière-pays. Je suis impressionné de voir le sens de la discipline chez les gens dans les gares et chez les réfugiés dans les centres de transit. Je suis impressionné par la solidarité des gens dans l’Europe de l’Ouest.

– Les Européens, sont-ils suffisamment informés sur ce qui se passe ici à l’heure actuelle ?

C’est une question difficile, car il y a beaucoup trop d’informations. Par conséquent, il devient compliqué de trouver des informations qui soient correctes, vraies et importantes dans cette masse d’informations. Bien sûr, il y a aussi beaucoup de désinformation. Certes, les gens sont informés, mais au-delà de ça, il leur est très difficile de comprendre qu’il y ait une guerre qui est en cours en ce moment, qui ressemble à la Seconde Guerre mondiale. Et c’est quelque chose qui ne s’était pas produit depuis quatre-vingts ans ici, sur le continent européen. Bien sûr, il y a eu une guerre en Yougoslavie, mais l’échelle est tout à fait différente. Et ce n’est pas comme des conflits d’une faible intensité que l’on pourrait observer dans d’autres pays. Une vraie guerre est en cours en Ukraine, et cela se passe juste sur notre seuil.

– Selon vous, les Européens sont-ils prêts à se battre si, dans le pire des cas, cette guerre dépasse les frontières de l’Ukraine ?

Je crois que l’Europe et l’OTAN ont tous les moyens nécessaires pour faire vaincre les Russes. Là, je n’ai pas de doutes. Il faudra un certain temps pour que les gens ordinaires puissent assimiler une nouvelle mentalité, car durant trois générations, nous avons joui d’une vie en paix et nous devons y revenir d’une façon ou d’une autre. Mais, comme nous l’avons vu en Ukraine, ce « basculement » se produit très rapidement.