Le vice-président de l’Union des Ukrainiens de France (OUF) et vice-président du Congrès Mondial des Ukrainiens (UWC), Volodymyr Kogutyak, a parlé avec Tyzhden des provocations russes lors des manifestations ukrainiennes à Paris, des mécanismes d’influence russe en France et des cinq vagues d’immigration ukrainienne.
– Vous êtes vice-président de l’Union des Ukrainiens de France, la plus ancienne organisation ukrainienne dans ce pays, qui organise régulièrement des manifestations contre la guerre russe en Ukraine depuis 2014 jusqu’à aujourd’hui. Qui participe à vos événements, principalement des Ukrainiens ou aussi des Français ? Avez-vous le soutien d’autres communautés ? Lequel précisément ?
– Au début de la Révolution de la Dignité en 2013, des grandes manifestations ont eu lieu à Paris, auxquelles de nombreux Ukrainiens ont participé. Mais dès 2015, les manifestations ont attiré beaucoup moins de participants : uniquement les membres les plus actifs de la diaspora ukrainienne. Depuis 2022, après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, une nouvelle vague puissante de manifestations a vu le jour, à laquelle les Ukrainiens participaient principalement.
Au début de l’agression russe contre l’Ukraine, nous avons bénéficié d’un grand soutien de la part de divers politiciens et partis français, car c’était la période des élections présidentielles. Je peux dire qu’aujourd’hui, après plus de 150 manifestations, nous avons une bonne centaine de personnes qui viennent régulièrement à nos manifestations deux fois par semaine. Environ la moitié des participants à ces manifestations ne sont pas des Ukrainiens, mais des Français, des Géorgiens, des Iraniens, des Vietnamiens, des Polonais, des Lettons, des Cubains et des représentants d’autres nations.
En réalité, nous sommes très fiers d’être entendus et vus à Paris et que, en ces temps difficiles, nous parlons non seulement au nom de l’Ukraine, mais aussi de nombreux pays que la Fédération de Russie nuit.
– Parmi les membres de l’Union des Ukrainiens de France se trouvaient nos regrettés Nathalie Pasternak, la présidente de la communauté ukrainienne durant plusieurs années, et le chanteur d’opéra de Paris, Wassyl Slipak, tombé au front. Vous connaissiez personnellement les deux. Pouvez-vous partager vos souvenirs ?
– Oui, j’ai eu l’honneur de connaître dans ma vie ces personnes dont j’ai toujours pris exemple et que je continue d’admirer. Nathalie Pasternak était une personne qui m’a trouvé et proposé de devenir président de l’Association des Étudiants Ukrainiens en France. C’est elle qui m’a appris, pendant la Révolution de la Dignité, à parler aux politiciens, à donner des interviews et, surtout, à unir les gens. Nathalie Pasternak était incroyablement dévouée à sa cause, elle y mettait tout son cœur.
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Quand tout le monde applaudissait et la remerciait pour son travail accompli, elle se levait et disait qu’elle n’avait rien fait d’extraordinaire : « C’est votre travail, pas le mien ! ». Voilà qui elle était : tout pour les autres, tout pour l’Ukraine.
J’ai rencontré Wassyl Slipak un peu plus tard, quand il était déjà la voix de nos manifestations à Paris. Son charisme, son intelligence, son courage et sa voix inspiraient foi en un avenir radieux.
Un jour, il a commencé une manifestation, mais à mi-chemin, il m’a passé le micro car il avait un concert ce jour-là. Continuer la marche après lui était un immense honneur. Je l’avoue sincèrement : je voulais crier aussi fort que Wassyl, et j’ai essayé, ce qui m’a laissé sans voix pendant 24 heures.
Aujourd’hui encore, nous avons un très bon leader de notre diaspora — Jean-Pierre Pasternak, le mari de Nathalie, qui fait énormément pour l’Ukraine et pour nous tous. Mais ce sont les gens qui ne sont plus avec nous qui nous donnent de la force à lui et à moi, ils continuent de nous aider depuis les cieux.
– Vos manifestations de rue, sont-elles confrontées à des provocations de la part des partisans de la Russie ? Comment les Français — passants ordinaires et participants aux événements — réagissent-ils à de telles situations ?
– En 2013-2014, nous avons vu et su que chaque mot que nous disions était surveillé par les services russes. Nous le constations dans les articles des médias et chez les personnes qui nous provoquaient lors de nos manifestations. Aujourd’hui, l’influence russe en France a considérablement diminué. En général, nous ne voyons que des Russes que dérangent les mots « La Russie est un État terroriste », ou ceux qui écoutent trop Russia Today.
Cependant, je remarque que ces derniers mois, nous avons de nouveau ressenti ce qui se passait au début : des journalistes russes viennent à nouveau aux manifestations pour nous filmer et nous provoquer. Nous voyons à nouveau des personnes étranges poser beaucoup de questions. Nous ressentons que la Russie a de nouveau transféré des fonds et apporté de nouvelles ressources financières pour déstabiliser la France. À chaque manifestation, la police est présente, et nous avons une règle d’or : ne pas céder aux provocations et se tourner immédiatement vers les forces de l’ordre. C’est à peu près comme ça que ça se passe : tant que je retiens le provocateur, quelqu’un d’autre appelle la police pour qu’elle s’en occupe. C’est important, car seule la police a le droit de vérifier leurs documents et potentiellement de les inscrire dans diverses bases de données.
– Dans quels domaines de la vie française l’influence des récits russes est-elle la plus forte ? Quels mécanismes la culture russe, et en fait la propagande du kremlin, utilisent-ils pour influencer la conscience des citoyens français ?
– L’influence sur les citoyens français ordinaires se fait de manière très subtile et pratiquement infaillible — à travers des événements communs russo-ukrainiens, censés réunir et réconcilier les Ukrainiens et les Russes, où l’idée de « un seul peuple » est promue.
La Russie tisse depuis longtemps et habilement sa propagande dans la vie des Français à travers la culture et même la nourriture — cela fonctionne toujours. Les événements communs, les soirées chaleureuses et conviviales sont les plus efficaces. En deux ans d’invasion à grande échelle d’Ukraine par la Russie, trois restaurants russes « Pirojki-Bar » ont ouvert à Paris et dans sa banlieue. Les prix de ces chefs-d’œuvre de la cuisine russe sont plus que raisonnables, et les revenus de leur vente ne couvrent probablement pas le loyer et la production dans les quartiers de la capitale française où ils sont situés.
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Le premier de ces restaurants a ouvert en avril 2022. La directrice de l’établissement est une Ukrainienne. Dans ces restaurants, l’idée de « le Russie et l’Ukraine ensemble » est activement promue. Le personnel diffuse le récit de « peuples frères » et se plaigne que l’« Amérique nous divise ».
– Vous êtes vice-président du Congrès Mondial des Ukrainiens. Comment cette structure diasporique se renouvelle-t-elle ? Quels pays aident le plus activement l’Ukraine ?
– Le Congrès Mondial des Ukrainiens a été créé par la dernière grande vague de diaspora ukrainienne — des gens qui ne pouvaient pas retourner en Ukraine après la Seconde Guerre mondiale. La structure a été créée par un grand désir de voir l’Ukraine libre et indépendante.
Peu à peu, les associations ukrainiennes du monde entier se sont unies et ont collaboré pour un objectif commun — la promotion de l’histoire et de la culture ukrainiennes dans le monde.
Le défi auquel est confronté aujourd’hui le Congrès Mondial des Ukrainiens est d’accueillir une nouvelle grande vague d’immigration et également une nouvelle grande et dynamique vague de structures créées au cours des deux dernières années.
Une partie de mon travail aujourd’hui consiste non seulement à trouver ces structures et à les rencontrer, mais aussi à les unir avec celles avec lesquelles nous travaillons déjà. Heureusement, nous avons actuellement un leader sage et énergique, Paul Grod, qui donne à tout le travail du Congrès Mondial des Ukrainiens la dynamique nécessaire.
Comme exemple de travail accompli, je citerai le fait qu’avant l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, il n’y avait qu’un seul vice-président régional pour toute l’Europe. Aujourd’hui, ces leaders sont au nombre de cinq, car le travail en Europe est aujourd’hui beaucoup plus important et plus crucial qu’il ne l’était hier.
— En France, et plus généralement en Occident, il y a déjà une cinquième vague d’Ukrainiens – ce sont les personnes qui ont fui la guerre. Dans quelle mesure participent-ils activement à l’aide à l’Ukraine ? En ce qui concerne les quatre vagues précédentes, quel pourcentage (approximatif) s’identifie avec l’Ukraine et considère qu’il est de leur devoir de lui être utile ? Qu’est-ce que vous considéreriez comme le plus grand succès de la communauté ukrainienne en France ?
— En ce qui concerne la France, à mon avis, les vagues d’émigration arrivées plus tôt, à l’époque de la Première ou de la Seconde Guerre mondiale, étaient plus conscientes de l’importance de l’identité ukrainienne, du fait que demain elle pourrait ne plus exister et que même loin de chez nous, nous devons la protéger.
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Les grandes réalisations de ces années lointaines sont la création de la première encyclopédie ukrainienne, de bibliothèques, de magazines, etc. Cette diaspora comprenait que la Russie pouvait détruire chaque brin d’herbe en Ukraine et qu’il fallait préserver notre histoire, notre culture, et les transmettre à nos enfants, ainsi que les faire connaître aux Français.
Je n’hésite pas à dire que c’est précisément cette conscience qui manque le plus aujourd’hui, car plus de la moitié de la diaspora actuelle oublie tout simplement : si nous ne faisons pas tout ce qui est en notre pouvoir aujourd’hui, demain il sera trop tard.
Il manque la conscience que l’histoire se fait aujourd’hui et que ce qui sera écrit dans les livres dans de nombreuses années sera le résultat des efforts que nous, Ukrainiens, aurons fournis pour la Victoire et la destruction de l’Empire russe.
Je tiens néanmoins à souligner qu’à ce jour, nous avons en France environ 150 associations actives, qui travaillent quotidiennement, chacune dans son domaine, pour aider l’Ukraine. Il y a en fait beaucoup de succès. J’aimerais mentionner deux exemples qui me plaisent particulièrement, car ils sont vraiment significatifs et montrent comment nous devons travailler.
Le premier est la Bibliothèque ukrainienne Symon Petlioura, qui nous rappelle l’Histoire de l’Ukraine dans son ensemble et l’Histoire de l’Ukraine ici en France. Le deuxième exemple est le camp de vacances pour enfants Rosey dans l’est de la France, construit par des Ukrainiens pour avoir ici un lieu de rassemblement.
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Pendant la construction de ce camp, chaque week-end, des Ukrainiens de toute la France venaient – certains avec du ciment, d’autres avec des briques – et construisaient cette maison de leurs propres mains. Grâce à ce travail d’équipe, des enfants ukrainiens viennent désormais y passer leurs vacances chaque été, avec toutes les traditions des colonies ukrainiennes, ainsi que les enfants des soldats ukrainiens tombés au combat. Ce camp est, à mon avis, l’un des exemples les plus marquants de ce que chacun de nous peut faire ici et maintenant pour l’avenir de l’Ukraine en France.