En mars-avril 2024, l’Ukraine a exporté au total environ 5 millions de tonnes de produits agricoles. Selon les estimations préliminaires du ministère de la Politique agricole, la production brute totale de céréales et d’oléagineux en 2024 devrait atteindre environ 74 millions de tonnes, dont 52,3 millions de tonnes pour les premières et 21,7 millions de tonnes pour les seconds.
Aujourd’hui, l’Ukraine a mis en place une exportation massive de céréales et de produits agricoles depuis trois ports en eau profonde de la région d’Odessa. « Nous utilisons aussi une quinzaine de passages ferroviaires ainsi que les livraisons par la route », déclare Pavlo Koval, PDG de la Confédération agraire ukrainienne, lors d’un entretien avec The Ukrainian Week.
« L’agresseur vise les infrastructures ferroviaires, énergétiques et économiques. L’autre jour, un silo à grains a été bombardé à Poltava, des entreprises dans les régions d’Odessa et de Vinnytsia ont été endommagées. Nous prévoyons de tels risques. Nous espérons cependant qu’ils n’auront pas un effet irréversible sur notre stratégie. Dans ce cas, nos prévisions de récolte et d’exportation seront respectées à peu près dans les mêmes volumes qu’elles l’ont été de janvier 2024 à aujourd’hui. Si nous exportons 5 millions de tonnes par mois, cela fera environ 60 millions de tonnes de céréales et produits dérivés sur an. À cela s’ajouteront d’autres produits agricoles : produits laitiers, produits du sucre, semences végétales, huile, légumes, baies », explique Pavlo Koval.
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« Tout le monde est habitué au fait que l’Ukraine vend principalement des produits tels que les céréales. Cependant, ces derniers temps, nos agriculteurs travaillent plus activement avec des produits de niche, améliorant ainsi les chaînes de production à valeur ajoutée ».
Actuellement, l’attention est portée à la culture du colza, de la moutarde, des légumineuses et du coton. Il y a une demande de retour à la culture du riz. Mais des questions subsistent concernant l’irrigation et l’utilisation des terres qui s’y prêtent. Malheureusement, elles sont désormais partiellement occupées.
« Notre agriculture doit faire face à des problèmes de financement. Le Registre agraire national a déjà cessé d’accepter les demandes de subventions budgétaires d’un montant de 8 000 hryvnias par hectare (approximativement 186 €). Il est évident que la demande de soutien aux agriculteurs est bien supérieure aux possibilités actuelles », explique M. Koval.
En même temps, les agriculteurs réagissent rapidement aux défis actuels. La situation est telle qu’en temps de guerre, il est plus facile d’exporter des produits transformés que d’organiser l’approvisionnement de millions de tonnes de matières premières.
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« Pour la logistique, il y a une différence : récolter 100 quintaux de maïs par hectare puis l’exporter par millions de tonnes, ou récolter 35 quintaux de colza, le transformer en huile avec un rendement de 40 % et exporter 17-18 quintaux d’huile par hectare. Dans ce dernier cas, l’agriculteur obtient même une marge plus élevée. Autrement dit, avant nous avions des débouchés pour notre maïs, notamment dans les pays européens. Aujourd’hui, le contexte a changé. Mais cela ne signifie pas que nous allons abandonner les marchés avec lesquels nous travaillions depuis 20 ans », précise Pavlo Koval.
« Voici un autre exemple : depuis deux ans la culture de la betterave sucrière est en croissance en Ukraine. Il existe une forte demande de sucre non seulement sur les marchés traditionnels des Etats post-soviétiques, mais aussi sur les marchés européens, africains et asiatiques. Il y a sept ans seulement, cette industrie n’était pas rentable pour nous », souligne l’expert.
Même avec la réduction de la récolte brute de céréales selon les prévisions, l’Ukraine n’est pas menacée de se retrouver face à une crise alimentaire. Malgré la guerre, les agriculteurs continuent de créer un potentiel d’exportation important.
« Au cours des deux dernières années de la guerre, une part importante des entreprises moyennes a mis en place des circuits autonomes d’exportation de produits agricoles par lots de transport. Mais pour cela, il faut être au minimum une entreprise de taille moyenne afin de générer un volume d’exportation qui soit intéressant pour un importateur en Europe. Si vous disposez de plusieurs milliers d’hectares de terrain et de plusieurs unités de transport de la bonne classe, vous pouvez effectuer ces tâches sans l’aide d’opérateurs de marché. Mais il faut comprendre que pour une exploitation agricole de taille petite ou moyenne, il est difficile d’accéder aux marchés de vente sans passer par les grandes chaînes de commerce. La question du prix est une autre chose encore. Les spéculations sont dûes avant tout au marché parallèle, lorsqu’un des acteurs importants viole la politique des prix et ne respecte pas les lois », explique Pavlo Koval.
Ainsi, même pendant la guerre, certains agriculteurs ukrainiens tentent d’approvisionner les marchés directement, sans l’aide des grands acteurs. C’est le cas des entreprises OSK et Urochyshche Juravske dans la région de Tcherkassy. Sur six mille hectares de terres, les fermes cultivent du maïs, du soja, du tournesol, du colza et du blé. Elles produisent de la farine. Les produits sont vendus en Ukraine et à l’étranger sous la marque « Pershyy Mlyn » (Mover Mill).
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« Avant la guerre, l’entreprise exportait à la fois des matières premières – les céréales – et des produits transformés – la farine. Des lots de farine étaient livrés aux marchés d’Asie, d’Afrique et du Moyen-Orient. Aucune farine n’était exportée vers l’Europe en raison des quotas », a expliqué à The Ukrainian Week Ihor Novytskyi, à la fois directeur général d’OSK et directeur économique d’Urochyshche Juravske. « Après le début de l’invasion à grande échelle, lorsque les ports d’Odessa furent bloqués et les quotas supprimés, les exportations se sont réorientées principalement vers le marché européen. La farine a été livrée à l’Allemagne, à la République tchèque et à la Pologne », précise-t-il.
Les choses se sont compliquées avec les protestations des agriculteurs polonais et le blocage des frontières. Si auparavant un camion effectuait une livraison en une ou deux semaines, désormais le processus prend un mois. Parallèlement, le coût du transport des marchandises a triplé.
« En Europe, nous n’atteignons pas le prix du marché. C’est pourquoi nous ne pouvons même pas concurrencer les Turcs. Ils ne sont pas des producteurs européens, mais ils exportent avec succès leur farine vers les pays de l’UE. Si nous parlons des agriculteurs de l’ouest de l’Ukraine, il est alors rentable pour eux d’envoyer des marchandises, en particulier des céréales, vers l’Europe par train. C’est mieux sur le plan logistique que d’exporter via Odessa. Avec l’exportation par camions, nous rencontrons les mêmes problèmes que les agriculteurs du centre de l’Ukraine. Pourtant, récemment, les Polonais ont débloqué les frontières. J’espère que bientôt la situation des coûts d’approvisionnement et de transport va s’améliorer », déclare l’agriculteur.
Grâce à l’ouverture de la route maritime passant par Odessa, les agriculteurs peuvent désormais exporter des céréales, comme c’était le cas avant la guerre à grande échelle. Cependant, lorsque le port a été fermé, ils faisaient du commerce via Reni (un point de contrôle à la frontière ukrainienne avec la Moldavie – ndlr ). Ainsi, les céréales étaient acheminées vers la Roumanie par barges jusqu’au port de Constanta. De là, elles étaient transbordées sur de grands bateaux et, par voie maritime, atteignaient les marchés des pays du Moyen-Orient et d’Afrique par les routes habituelles.
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« Quant à la farine, la demande sur le marché intérieur est peu prometteuse. Tous les fabricants nationaux ont dû faire face au fait que la population du pays a diminuée. Et la production de farine dépend de ce que l’on appelle l’indice de consommation de pain par personne et par jour. Autrement dit, le marché de consommation national s’est rétréci. Étant donné que les exportations sont également limitées, la production diminuera naturellement elle aussi », explique Ihor Novytskyi.
En même temps, on évoque plus souvent une éventuelle augmentation des prix des denrées alimentaires dans le monde. Bloomberg écrit que les agriculteurs sont confrontés à de nombreux problèmes : des champs inondés en Europe occidentale et des sols asséchés en Australie et aux États-Unis à la baisse des exportations d’Ukraine en raison de la guerre. Les experts mettent en garde contre une baisse de 6 % de la production céréalière ukrainienne par rapport à l’année précédente, les agriculteurs abandonnant progressivement le blé au profit de cultures plus rentables comme le colza.