Le Royaume de Naya, un succès de l’animation ukrainienne précédé par de nombreux échecs

Culture
22 avril 2023, 17:12

Sorti en France, le dessin animé Le Royaume de Naya a aussitôt remporté un immense succès auprès des spectateurs français. Ce film inspiré d’un livre de Lessia Oukraïnka, qui se nomme Mavka. La chanson de la forêt a été réalisé en Ukraine, malgré la guerre en cours, et a aussi connu un grand succès dans le pays. C’est aussi un succès commercial. Avant d’arriver à ce résultat, le cinéma d’animation est passé par une longue période d’apprentissage.

En 30 ans d’indépendance, l’Ukraine a d’abord produit quelques beaux longs métrages d’animation. Mais ces films ont été fait en coproduction avec des partenaires étrangers car le tournage d’un long métrage est plus cher que d’autres formats et nécessite plus de fonds.

Alors, étaient-elles vraiment ukrainiennes, ces œuvres ? Le dessin animé Les brigands de Brême (2016), a par exemple été produit avec la participation de la Russie, de la Hongrie et de l’Arménie. Notons au passage que la langue du film est le russe. De plus, le réalisateur, le scénaristes et le compositeur sont également Russes.

De la même façon, Le retour de Gulliver (2021), un film en anglais produit par des Ukrainiens et Chypriotes, avec la participation d’un réalisateur russe et d’un scénariste américain, est-il un œuvre artistique ukrainienne ? Dans un sens, on peut le dire, parce que même si la plupart des personnes ayant participé sont étrangers (le réalisateur est Tony Bonilla), l’idée originale appartient à Volodymyr Zelensky et aux auteurs du Studio Kvartal-95. Dans le même temps, bien que ces deux films bénéficient d’un doublage en ukrainien, nous ne pouvons pas les classer comme représentatifs de la tradition d’animation ukrainienne.

C’est le dessin animé Babai (2014) qui est considéré comme le premier long métrage d’animation véritablement ukrainien de l’ère post-indépendance. Malheureusement, ses recettes au cinéma n’ont jamais été en mesure de couvrir le budget de plus de 7 millions d’ UAH (171.000 euros). Au final les téléspectateurs ordinaires et les critiques de cinéma ont été unanimes : le premier s’est avéré peu réussi. Les couleurs “acides” choisies par les animateurs pour représenter les personnages et l’intrigue confuse autour de l’œuf d’Alconost, convoité par Babai, Viy, la Sorcière et le Diable, ont été particulièrement critiquées.

Même si l’idée n’était pas mauvaise, l’animation ratée et le chaos dans l’intrigue, qui mélange le tableau de Vereshchagin, L’Apothéose de la guerre et Shakespeare, est peu convaincante. Les créateurs de Babai eux-mêmes avaient des doutes sur leur histoire. Ils l’ont donc transformée plus tard en un dessin animé de 13 épisodes, et à vrai dire c’est devenu beaucoup plus harmonieux.

En 2016, Manuk Depoyan a sorti un bien meilleur film d’animation fantastique en 3D, Mykyta Kozhumiaka, sur le fils du légendaire chasseur de dragons Kyrylo Kozhumiaka, personnage du folklore ukrainien. Mais ses recettes n’ont pas non plus réussi à couvrir même partiellement ses coûts de 97 millions d’UAH (2,36 millions d’euros). Une fois de plus, les principales critiques ont porté sur l’histoire, peu originale, peu convaincante et fragmentée, dont certaines parties se tiennent aussi mal que la peau de dragon mal cousue par Kyrylo. Des personnages stéréotypés semblent tirés d’intrigues différentes et rivalisent les uns avec les autres en prononçant des banalités. C’est sans parler de l’aspect technique du dessin animé.

En 2018, le film d’animation d’Oleg Malamuzh La princesse volée : Ruslan et Liudmyla est sorti. Il a été filmé en anglais puis localisé en Ukraine, ce qui ressort très fort dans les images et dans les événements. En Ukraine, qui à l’époque était déjà en guerre contre la Russie depuis quatre ans, le fait que le dessin animé soit basé sur le conte d’un auteur russe Pouchkine a suscité des réactions mitigées. Le film lui-même en joue, en disant qu’il s’agit aussi d’une histoire volée : le scénariste Nestor l’a empruntée à un livre qu’il avait emprunté à un chat savant, et cette fiction s’est réalisée toute seule, ni vu, ni connu.

Un autre long métrage, Clara et le dragon magique (2019) d’Oleksandre Klymenko, reprend le même schéma : l’original a aussi été produit en anglais, et le doublage a été fait en ukrainien. Cependant, même ici, le travail des dessinateurs n’a pas pu sauver l’intrigue. Le problème n’est même pas qu’il ne s’agit pas d’une histoire ukrainienne mettant en scène Alfred le gnome, un raton laveur psychanalyste certifié à l’accent allemand, Max, Amy et Chucky les singes, et une fée amnésique, mais que l’histoire est illogique et semble ne pas avoir de début ni de fin (la fin semble être écourtée).

Un autre défaut du film est que les personnages secondaires (un oiseau, une fourmi et des singes) apparaissent presque plus souvent que les personnages principaux. Et le dragon n’est réduit qu’à un rôle d’objet qu’il faut remettre à sa place. Donc, au final, on a une sorte de triple réinterprétation où il ne reste presque plus rien d’ukrainien, à l’exception de la chanteuse ukrainienne Nadia Dorofeeva, à qui le personnage principal veut ressembler (et dont Dorofeeva a fait la voix). Les critiques ont également souligné que non seulement l’intrigue, mais aussi les personnages eux-mêmes n’étaient pas originaux.

En 2021, Victor Robot d’Anatoly Lavrenyshyn est sorti en salles. Cette fois-ci nous pouvons parler d’une histoire originale sur l’avenir cosmique et l’amitié d’une petite fille et d’un robot. Même si les critiques ont trouvé pas mal d’histoires semblables, cela n’a pas nui à la véritable réussite de ce long métrage : un monde détaillé avec des personnages qui changent. Certes, le dessin animé manque de dynamique et, peut-être, compte quelques longueurs. Mais malgré tous ces petits défauts, il convient de saluer les auteurs de Victor Robot pour leur travail talentueux.

Voici le chemin parcouru par l’animation ukrainienne pour arriver au dessin animé Le Royaume de Naya, leader dès son premier jour de sortie en France, il y a quelques semaines. Les critiques lui reprochent d’avoir imité le modèle de Disney et d’avoir fait le mauvais choix de graphisme. Mais le résultat est là : adultes et enfants sont tombés amoureux de ce dessin animé et ont plaisir non seulement à assister aux séances plusieurs fois de suite, mais aussi à acheter des produits dérivés, en particulier le petit chat-grenouille adorable. Certes, Le Royaume de Naya a ses défauts, le principal étant son traitement trop approximatif du drame de Lessya Ukrainka et de la mythologie ukrainienne. Mais les vainqueurs ne sont pas critiqués.

En même temps, ce qui peut servir d’exemple pour d’autres projets similaires, c’est la stratégie marketing du dessin animé, qui a été conçue pour faire de l’œuvre une franchise à long terme, puisque les producteurs du Royaume de Naya, en plus de vendre divers produits dérivés, prévoient de faire une suite au film. De plus, la campagne publicitaire a été menée de manière réfléchie et en tenant compte des erreurs des projets précédents, qui sont devenues la clé du succès du film. Ainsi, l’histoire de plus de trente ans de l’animation indépendante ukrainienne est un chemin difficile parcouru par l’industrie et ses créateurs, qui a atteint sa conclusion logique dans ce film d’animation d’Oleksandre Ruban et Oleg Malamuzh. Ce travail inspirera sans aucun doute les équipes de nos futurs longs métrages à succès, qui seront, il faut espérer, de plus en plus nombreux.