Sur le front, le rire est médecin

Guerre
17 avril 2023, 13:03

Dmytro Sintchenko est un collaborateur de The Ukrainian Week/Tyzdhen.fr, pour lequel il a couvert la politique locale dans la ville de Kropyvnytsky et de sa région lors des élections locales de 2020. Il est aussi activiste politique et social, blogueur. Après le début de la grande invasion le 24 février, il a rejoint l’armée ukrainienne. Ses textes décrivent la vie des soldats au front. Son nom de guerre est Perun.

– Notre bagnole est finie !

Cette nouvelle est tombée comme un couperet. Notre blindé, affecté à notre unité, déposait des soldats sur leurs positions depuis plusieurs mois.

– Est-ce que tout le monde est sain et sauf ?

Si quelqu’un avait été tué, ils l’auraient dit en premier, sans commencer par l’équipement.

– Heureusement, personne n’a été blessé.

– Comment cela s’est-il passé ?

Un seul regard sur Birnir a suffi pour comprendre : nous allons entendre une histoire passionnante. Il existe des gens comme ça : il vous lira l’annuaire et vous mourrez de rire, bien que tout s’écroule à quelques mètres de là.

– Alors, c’était comme ça. Matin, soleil, beauté. Rien ne laissait présager des problèmes. Et je n’avais pas été en contact avec ma famille depuis plusieurs jours, ils s’inquiétaient parce qu’il n’y avait pas de connexion du tout. Aucun réseau mobile, rien. De l’autre côté de la route, des hommes sont assis dans une maison équipée de systèmes portatifs de défense aérienne, et ils disent : « Les gars, nous avons un Starlink ! Si vous en avez besoin, venez l’utiliser ! » Je me suis dit que c’était génial ! Que j’allais écrire quelque chose à ma famille. J’y suis entré, j’ai pu parler à ma mère, mon père, ma femme, puis bavarder avec des soldats. J’ai décidé de télécharger un film pour me tenir éveillé la nuit.

Lire aussi:   Un soir de guerre : conversation prés du front  

Un homme au pseudo Birnir est un médecin de combat, il travaille dans une évacuation sanitaire, sort les blessés de la ligne de front. Il est avec nous depuis l’été. Au début, il faisait partie de l’équipage d’une équipe des médecins bénévoles Hospitaliers, puis il a été mobilisé avec nous, dans l’armée volontaire de la 28e brigade. Dans la vie civile, Birnir était informaticien, par sa formation il était psychologue et par sa passion, un escrimeur. Donc, avant la guerre, il n’avait rien à voir avec la médecine d’urgence, et encore moins avec l’armée.

– Dès que j’ai commencé à télécharger un film, environ trois minutes après, j’entends un bang ! Boum ! Et la maison tremble comme ça. Je sors, je regarde – l’ambulance est là. Pas de fumée. Donc, tout allait bien. Ensuite, le film a été téléchargé, je suis sorti et je l’ai regardé : Micha et Paladin se précipitent avec un extincteur. Ils me regardent : « Où étais-tu ? Cours ! Là, la bagnole est brisée en morceaux ! » Je demande : « Et le chauffeur ? Il va bien ? »

Tout va bien avec le chauffeur, il n’était pas là. Mais Micha qui se trouvait tout à côté, fût renversée par une vague d’explosion. La caisse n’a pas bougé, mais le pylône s’est éjecté à dix mètres d’elle, et un arbre qui ne poussait pas loin, a été arraché du sol et jeté sur le Hummer.
– L’arbre a atterri debout, et les chauffeurs du Hummer le regardent tout étonnés et disent : « Putain, mais il n’y avait pas d’arbre ici ! »

Lire aussi: Négociations avec l’ours. Qui sont ceux qui attendent la défaite de l’Ukraine et comment les affronter sur le terrain diplomatique 

Tout en parlant, Birnir n’arrête pas de faire des gestes expressifs et des grimaces. Louis de Funès mourrait de jalousie s’il nous voyait rire pour un rien. Il continue :

Je regarde la voiture : elle fume un peu, le pylône est à côté, le toit est cassé, tout le fond est brisé… C’était une sorte d’obus perforant qui l’a détruit. Je regarde Micha, il a une pression sanguine élevée, une crise d’hypertension, nous devons l’emmener à l’hôpital de toute évidence. Mais comment ? En attendant, je lui pose une perfusion intraveineuse et je me rends compte qu’il n’y a aucun réseau pour appeler des autres secouristes ! De plus, il n’y a personne pour nous remplacer. Bref, on s’est éloignés, on s’est mis un peu plus loin, et c’est tout. Quelquefois, il ne reste rien d’autre à faire que serrer les dents et attendre la rotation.

En général, l’évacuation sanitaire se passe en sécurité relative, dans un endroit camouflé, peu bombardé, mais le plus près possible de la ligne du front, afin que les blessés puissent être évacués le plus rapidement possible. Mais ça c’est dans l’idéal. Aujourd’hui, on n’a pas eu de chance. Ce n’est pourtant pas la première fois que nos abris médicalisés sont bombardés. Il se peut que ce ne soit pas le dernier. Mais l’essentiel, c’est que notre Birnir fait comme si rien ne se passe et continue à raconter ses histoires. Il nous soigne plus avec ces petits sketchs qu’avec les médocs, en vrai.

Cet article est la suite de reportages à la première personne écrit par notre collègue depuis la ligne de front. Si vous n’avez pas lu les textes précédents, vous pouvez les trouver ICI