Andriy Golub Correspondant spécialisé dans la politique ukrainienne

La principale erreur de Sarkozy

Politique
23 août 2023, 07:55

Ce serait facile de qualifier l’interview de Nicolas Sarkozy au Figaro comme étant « manifestement pro-russe », de la compléter par d’autres citations de l’ex-président qui vont dans le même sens. Mais tous ces mots ont été dits tellement de fois qu’il ne vaut pas la peine de les copier-coller. « La Russie est notre voisine et nous devons donc dialoguer avec elle », « l’Ukraine est un “pont” entre l’Est et l’Ouest et ne doit donc pas être admise dans l’UE et l’OTAN » et d’autres généralités…

Certains pourraient dire que Moscou a lâché un autre de ses “Poutinefersteers” (ceux qui sont compréhensifs avec Poutine, NDT) parmi les politiciens européens à un moment opportun. Dès que les doutes sur le succès des forces armées ukrainiennes sur le champ de bataille grandissent en Occident, un nouveau défenseur de la paix émerge parmi les élites en perte de repères. Ce rôle a déjà été joué par Henry Kissinger (qui prétend maintenant avoir radicalement changé d’avis et insiste sur l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN), Silvio Berlusconi (qui est récemment décédé sans avoir payé une bouteille de vin datant de 1775 qu’il avait bue avec son ami Vladimir dans la Crimée occupée en 2015. Peut-être vaut-il la peine de demander une compensation à ses héritiers ?) et d’autres personnages de divers calibres.

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Et maintenant, c’est au tour de Sarkozy. L’explication la plus simple et probablement la plus populaire de ses prises de position, pour les Ukrainiens, est qu’il est à la solde du Kremlin. De tels exemples existent. Il suffit de penser à l’ancien chancelier allemand Gerhard Schroeder, salarié de Gazprom, ou à l’ancienne ministre autrichienne des affaires étrangères Karin Kneissl, qui serait en train d’apprendre les tenants et les aboutissants de la vie dans un « trou à rats russe » quelque part près de Riazan.

Toutefois, la réponse à la question de savoir pourquoi les hommes politiques du passé ont encore et encore « vu l’âme de Poutine dans ses yeux » (comme l’a fait le président américain George W. Bush au début des années 2000) est plus compliquée. Il ne s’agit pas d’une mauvaise compréhension des thèses de l’école du « réalisme géopolitique », mais il me semble que cela provient plutôt de leurs choix passés dans l’histoire récente.

La Russie a commencé à éprouver du ressentiment à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique dans les années 1990. De plus, la société russe est structurée d’une manière qui génère automatiquement une demande de politiques chauvines et agressives. Pour les Ukrainiens, c’est déjà une vérité couramment admise. Simplement, sous Poutine, le Kremlin a acquis les ressources économiques et l’influence nécessaires pour mettre toutes ces inspirations en pratique. Poutine a presque directement annoncé ses intentions lors de son discours de Munich en 2007. Et la Fédération de Russie a prouvé son sérieux un an plus tard, lors de l’invasion de la Géorgie. Tout cela s’est produit à une époque que l’on appelle communément l’ère de Sarkozy, Berlusconi, Merkel et Obama.

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En substance, le problème de ces dirigeants se résume au dilemme de Neville Chamberlain, Premier ministre de Grande-Bretagne en 1937-1940. Les historiens décrivent ce personnage comme ambigu et expliquent ses actions par des motifs rationnels. Mais en dehors des salles de classe et des bibliothèques universitaires, Chamberlain est associé à une chose : en 1938, il a discuté avec Adolf Hitler et déclaré qu’il avait « apporté la paix à toute une génération », et l’année suivante, la guerre mondiale a commencé. Chamberlain était le naïf faiseur de paix, Churchill était le combattant. On peut dire la même chose à propos de la patrie de Sarkozy. Le maréchal Philippe Pétain est entré dans l’histoire, en particulier en France, non pas comme un héros de la Première Guerre mondiale, mais comme un collaborateur honteux pendant la Seconde. Pétain et Chamberlain n’ont pas eu de chance.

Il est arrivé la même chose aux hommes politiques au cours des 15 premières années du 21e siècle. Ils ont tous parié que la guerre était impossible, et ils ont perdu. Comment se souviendra-t-on d’Angela Merkel ? Comme la dirigeante qui a mené l’Allemagne au plus haut niveau de prospérité économique, ou comme la personne qui a finalement placé l’Allemagne sous dépendance énergétique russe ? Se souviendra-t-on d’Obama comme d’un réformateur ou comme d’un homme politique qui a fait pression pour une « réinitialisation » des relations avec la Russie après son invasion de la Géorgie ? Ou peut-être se souviendra-t-on de lui comme d’un homme politique qui a réagi mollement aux premiers signes d’agression de la Chine ? Quel souvenir Sarkozy laissera-t-il dans l’histoire ? Celui d’un lobbyiste convaincu des intérêts français ou d’un faiseur de paix naïf lors de l’invasion russe de la Géorgie ?

Tous ces hommes politiques ont choisi des stratégies différentes pour faire face à la situation actuelle. Certains ne s’adressent que rarement à la presse pour éviter les questions gênantes et publient parfois des mémoires où ils se justifient. D’autres, comme Sarkozy, tentent de faire croire qu’ils ont toujours eu raison. Toute l’interview qu’il a accordée au Figaro peut se résumer en une seule thèse : « Je faisais tout ce qu’il fallait vis-à-vis de la Russie à l’époque, c’est juste que vous avez trahi ma politique, et c’est donc vous qui êtes responsable de ce qui se passe en Ukraine ».

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Si vous voulez cacher une erreur, ne l’admettez pas. Même lorsqu’elle est évidente. Cette approche adolescente n’est pas toujours perdante. C’est pourquoi Sarkozy n’est ni le premier ni le dernier à agir de la sorte. Cependant, il ne fait guère de doute que cela ne fonctionnera pas. Surtout si la guerre de la Russie contre l’Ukraine n’est pas la dernière au cours de la prochaine décennie.

La principale erreur des hommes politiques comme Sarkozy ne réside pas dans leur relations avec la Russie. La principale erreur est qu’ils ont longtemps essayé de faire passer l’absence de solutions pour des solutions. Il y a le feu ? Très bien, essayons de l’éteindre. Le feu couve-t-il encore ? Eh bien, cela se résoudra tout seul, d’une manière ou d’une autre. Un homme politique sans politique est le signe d’une époque qui, je l’espère, est enfin révolue.