La cuisine ukrainienne: ses symboles et ses codes cachés

Culture
31 mai 2023, 07:14

La cuisine ukrainienne reste encore assez exotique et peu connue dans le monde. Le plus souvent, les gens ne connaissent que par ouï-dire quelques plats proposés dans les restaurants de tous les continents, pas plus. Mais de plus en plus d’étrangers venaient en Ukraine bien avant la guerre totale pour des « virées gastronomiques », car le rapport qualité-prix des plats proposés était très impressionnant. Non seulement les célèbres « tchernozioms » (« terres noires », très fertiles – ndlr) ukrainiens offrent des fruits et des légumes délicieux, mais la façon dont ils sont préparés, selon des traditions très variées, est l’héritière de nombreux siècles d’interaction avec des cultures très différentes.

L’histoire de l’Ukraine, c’est l’histoire des esclavages et de luttes réussies contre les envahisseurs, qui ne considéraient le territoire que comme une très belle prise. Mais il s’agit aussi d’une assimilation pacifique des choses les plus saines, les plus nutritives et les plus délicieuses empruntées aux étrangers.

Le plus souvent, la cuisine ukrainienne est réduite à deux plats qui sont depuis longtemps devenus des symboles: le borchtch et le lard gras. Bien que pour de nombreux Ukrainiens ces notions soient complémentaires (et ces plats sont consommés avec de l’ail et du pain, de l’aneth et de la crème fraîche), ils sont devenus populaires dans ces territoires à des époques différentes. Apparemment, le lard gras était consommé par divers peuples non musulmans et, à une époque plus ancienne, par divers nomades, car c’est un produit qui se conserve bien pendant les longues marches.

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A cet égard, tous les sceptiques qui ne reconnaissent pas certains plats comme étant d’origine ukrainienne évoquent la première mise en garde suivante. Effectivement, le lard gras n’est pas une invention ukrainienne et ne constitue pas un plat en soi, car il ne s’agit pas d’une combinaison d’aliments. C’est un tissu gras sous-cutané de certains quadrupèdes à peau épaisse, particulièrement le porc, traité de manière appropriée. C’est vrai, mais il n’y a qu’en Ukraine que l’on trouve une telle richesse de modes de transformation et de cuisson (frit, cuit, fumé, conservé, salée, séché, pimenté, mariné, etc). Il existe d’importantes différences régionales dans les recettes : par exemple, de nombreuses personnes apprécient le saindoux fabriqué dans la région de Vynnytsia, et le « format » même pour le servir à table (en pâte à tartiner, émietté ou en fines tranches « classiques »).

Mais surtout, les Ukrainiens ont créé un important folklore et un halo littéraire autour de l’image du lard, qu’il s’agisse de proverbes, de dictons, d’anecdotes ou de romans. Ainsi, ce produit bien-aimé est devenu plus qu’un simple produit, il existe en tant que symbole et il est également très savoureux. En Ukraine, il est possible de déguster non seulement du lard mariné selon les recettes de Vynnytsa, ou du lard « du général » cuit au four, mais aussi du lard au chocolat (c’est une combinaison inhabituelle, mais c’est assez bon). A Lviv, il y a un Musée-restaurant « Salo » (lard), ouvert en 2011 par l’artiste Boris Berger. La collection présente à la fois de petites miniatures fantaisistes et de grandes sculptures faites de lard.

Un autre plat important en Ukraine a été, est et sera le bortsch. Et bien que la Russie s’obstine à le considérer comme son plat national (cet État n’est pas étranger à la captation d’héritage des peuples colonisés), le 1er juillet 2022, le bortsch a été officiellement reconnu par l’UNESCO comme ukrainien et inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel. Le célèbre chef ukrainien Yevhen Klopotenko a été l’un des principaux initiateurs de cette candidature. En 2020, il a produit un documentaire intitulé Borsch. L’ingrédient secret, qui peut être visionné sur Netflix. Dans ce film, Klopotenko voyage dans toute l’Ukraine et apprend comment le bortsch est cuisiné aux qautre coins du pays.

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Le mot « borchtch » est d’origine iranienne et il a probablement été cuisiné pour la première fois dans ce pays il y a plusieurs siècles. Mais c’est en Ukraine qu’il est devenu, il y a bien longtemps, l’emblème national le plus apprécié.

Autrefois, c’était un plat quotidien et maigre, car les paysans ne mangeaient de la viande que les jours de fêtes. A l’époque, il s’agissait d’une soupe composée de betteraves, de choux, de pommes de terre et de légumes de saison, cuite souvent sur un feu pendant la saison de la récolte des produits agricoles. De nos jours, le bortsch rouge au concentré de tomates est considéré comme le plat de base, mais il existe de nombreuses façons de le préparer. Il contient habituellement différentes sortes de viande ou des haricots, des betteraves, des tomates en saumure, des pommes de terre et du chou. Il existe de nombreuses façons de le préparer : avec différentes viandes (les plats de côtes sont particulièrement appréciés, sans viande (par exemple, avec des haricots), avec des tomates en saumure et du chou fermenté (blanc ou rouge), etc.

Il existe même une recette ancienne à la carpe crucifère, très apprécié du célèbre poète ukrainien Tarass Chevtchenko. En effet, un Ukrainien peut parler du borchtch en prose et en vers, ainsi qu’en manger presque tous les jours. Autre fait intéressant: en 2020, le Musée du bortsch bouilli a été ouvert dans le village d’Opichnia, dans l’oblast de Poltava. Il propose plus de 360 recettes de cette « soupe chaude ».

Certes, la cuisine ukrainienne ne se limite pas à ces plats symboliques. Et chaque région dispose de ses recettes spécifiques. Le poulet à la kyévienne, les galouchki de Poltava, la mamalyga de la Bucovine, le bograch de Transcarpatie, les deruny de Jytomyr), le laghman et la dolma de Crimée, les jarrets et l’okrochka de Donetsk, et bien d’autres choses encore.

La véritable découverte de la cuisine ukrainienne est une question d’avenir, car cela ne nécessite pas seulement quelques enthousiastes, mais une campagne sérieuse au niveau national. Cependant, je suis absolument certain que sa reconnaissance mondiale viendra, car elle est vraiment délicieuse !