Roman Malko Correspondant spécialisé dans la politique ukrainienne

L’unité est-elle possible en les différentes Églises orthodoxes ukrainiennes?

Société
28 octobre 2024, 15:22

Une grande majorité de citoyens ukrainiens souhaite que les trois Eglises orthodoxes présentes dans le pays se rejoignent pour n’en former qu’une seule. Toutefois, cette réunion s’avère particulièrement difficile avec l’Eglise restée fidèle au Patriarcat de Moscou, une organisation formée au temps de Staline et qui joue un rôle politique, avant de se dédier à l’enseignement de la parole chrétienne.

Aujourd’hui, les églises orthodoxes ukrainiennes sont divisées en trois : la nouvelle Église orthodoxe d’Ukraine rattachée à Constantinople, celle qui reste fidèle au patriarcat de Moscou et une autre qui se dit « tout simplement orthodoxe ». Selon les derniers sondages, la plupart des Ukrainiens orthodoxes souhaitent que l’Ukraine ait sa propre Église unie. De facto, une telle église existe, mais l’unité réelle de l’orthodoxie est encore loin d’être atteinte.

Voici ce que révèlent les données d’une étude sociologique menée par l’Institut international de sociologie de Kyiv (KMIS) à la fin septembre et au début octobre 2024. En Ukraine, 70% des croyants se considèrent comme orthodoxes. Parmi eux, 81% se déclarent comme appartenant à l’Église orthodoxe d’Ukraine (OCU), 6% seulement sont rattachés à l’Église orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Moscou et 7% se disent simplement orthodoxes. Quelques 61% des Ukrainiens, c’est-à-dire la majorité, sont favorables à l’idée qu’il ne devrait y avoir qu’une seule Église orthodoxe dans le pays et 16% n’y sont pas favorables tandis que pour 20% d’entre eux, cela n’a pas d’importance.

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Comme le montrent les chiffres, le nombre de fidèles dans toutes les Eglises, à l’exception de l’église orthodoxe d’Ukraine, est assez faible. Toutefois, il serait fallacieux de prétendre que tous ceux qui se déclarent orthodoxes et appartenir à l’Église orthodoxe d’Ukraine sont des pratiquants réguliers. Il en va de même pour les autres églises orthodoxes, de sorte que le nombre réel de pratiquants est en réalité assez faible.

En Ukraine, l’appartenance religieuse est très souvent une question de politique et d’auto-identification, et non de foi. Cela a toujours été le cas et le reste aujourd’hui. Par conséquent, la question de l’unification des églises ne concerne pas la foi, mais plutôt le choix ou les sympathies politiques. Sur le plan formel, rien n’empêche tous les Ukrainiens orthodoxes de s’unir dans une seule église et de cesser de se battre les uns contre les autres.

L’Église orthodoxe d’Ukraine est reconnue par le monde orthodoxe, le Tomos – c’est-à-dire le document de reconnaissance de Constantinople – le confirme. La question n’est donc pas la canonicité de certains ou la non-canonicité d’autres.

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Parmi les options possibles pour arriver à une unification, la plus simple serait celle où les hiérarques et les prêtres de l’Eglise restée fidèle au patriarcat de Moscou rejoindraient l’Église orthodoxe d’Ukraine et en deviennent partie intégrante. Cette approche est souhaitée par 78 % des Ukrainiens. Toutefois, la majorité d’entre eux estiment qu’une telle adhésion n’est possible que pour les hiérarques et les prêtres ordinaires qui n’ont pas de liens directs avec la Russie. Cette condition est mentionnée par 66% des personnes interrogées. Et l’option selon laquelle tous les hiérarques et prêtres de l’église dite « de Moscou » deviendraient sans conditions partie intégrante de celle qui vient d’être reconnue par Constantinople, n’est souhaitée que par 11% des personnes qui se sont prononcées.

Le point clé est le « lien avec la Russie ». Lorsqu’il s’agit d’unification, il est important de prendre en compte qui a quels liens avec la Russie. Il est également utile de se rappeler quel rôle joue le pouvoir russe dans le fonctionnement de cette Eglise, et pourquoi l’Etat russe est des millions de fois plus important pour elle que Dieu.

Souvenons-nous que l’institution que le monde a l’habitude d’appeler l’Église orthodoxe russe a été fondée par Joseph Staline en 1943 sous la tutelle du NKVD-KGB. N’oublions pas non plus l’histoire de son utilisation sous les bolcheviks et le régime poutinien. Une église dans laquelle le patriarche bénit une guerre d’agression et appelle à la violence contre les faibles ne devrait probablement pas être considérée comme une organisation religieuse.

Malheureusement, les églises chrétiennes, en particulier celles du monde orthodoxe, accordent très peu d’attention au comportement de l’Église russe en ce qui concerne la guerre d’agression contre l’Ukraine, et condamnent encore moins publiquement l’hérésie que représente le projet de « Ruskiy mir » (monde russe), une idée à la base de cette guerre. Les Ukrainiens doivent faire face à ce problème idéologique par eux-mêmes, ce qui n’est pas toujours suffisant.

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Mais surtout, c’est l’esprit de dialogue qui manque au niveau du clergé et en particulier de la plus haute hiérarchie de l’église dite « russe ». Ce qui s’est passé le 17 octobre à Tcherkassy est un exemple très explicite. Ce jour-là, la communauté de la cathédrale Saint-Michel a choisi de rejoindre l’Église orthodoxe d’Ukraine. Les partisans de l’Église orthodoxe russe d’Ukraine ont organisé une véritable mutinerie dans la cour de l’église et à l’intérieur de ses murs, attaquant à coups de poing ceux qui souhaitaient passer sous la juridiction de l’Église ukrainienne. La police a du intervenir.

Nous pouvons clairement voir que la soi-disant Eglise russe, malgré deux ans et demi de guerre, est restée une branche des services spéciaux de l’agresseur, qui encourage ses croyants non pas à se réconcilier ou à s’unir, mais à faire la guerre et à détruire l’identité ukrainienne. Par conséquent, la question de l’unification des Eglises orthodoxes en Ukraine devrait être examinée surtout dans le contexte de la sécurité nationale. Elle doit être résolue en tenant compte de l’ampleur des menaces et du facteur de la guerre en cours entre l’Ukraine et la Russie.

Il va sans dire qu’il ne s’agit pas d’une « question religieuse » ni même d’une question intérieure ukrainienne. L’ensemble du monde orthodoxe et même chrétien est concerné d’une manière ou d’une autre par cette situation. L’unification des Eglises ukrainiennes serait une étape logique et appropriée. La question est de savoir si l’Église russe doit être considérée comme une Église, compte tenu du nombre de crimes de sang qui pèsent sur sa conscience ? Il est nécessaire de porter le problème à un niveau de discussion plus large, avec la participation d’historiens, de politologues et d’experts.

Chacun sait quoi faire face à l’ennemi extérieur. Mais que faire face à un ennemi intérieur qui, dans l’Église de Dieu, dresse les fidèles à saboter la résistance ukrainienne ? Il n’est pas facile de trouver une réponse appropriée.

Auteur:
Roman Malko