Les hauts et les bas des courts-métrages de l’animation ukrainienne

Culture
11 avril 2023, 18:51

Récemment, le dernier long métrage d’animation ukrainien « Mavka. Le chant de la forêt » est devenu le film le plus rentable d’Ukraine indépendante en cinq semaines suivant sa projection. Dans un pays en guerre, il a déjà collecté plus de 116 millions d’UAH (2,8 millions d’euros) dans les salles de cinéma à la date du 4 avril. Aussi, « Mavka », sous le nom de « Le Royaume de Naya », est devenu le leader dès le premier jour de projection en France. Ne serait-ce pas un bon prétexte de parler des dessins animés ukrainiens, dès leur 33 dernières années d’existence et du succès de la culture ukrainienne?

C’est « Le conte du taureau de paille » qui est considéré comme le premier dessin animé ukrainien. Il est créé par l’animateur Vyacheslav Levandovsky en 1927. L’auteur a utilisé la méthode des marionnettes (seulement quelques images ont survécu). Notre premier long métrage d’animation de l’ère de l’indépendance est l’inoubliable « Énéide » (1991) réalisé par Volodymyr Dakhno. Il est significatif que la littérature ukrainienne la plus récente ait commencée avec ce poème de Kotliarevsky, et que son adaptation cinématographique ait ouvert une nouvelle page dans l’histoire de notre animation.

Au tout début du retour d’indépendance, le film n’a pas pu bénéficier de distribution à proprement dite, sa première a été tout simplement diffusée sur la chaîne de la TV d’état UT-1. Je me souviens que lorsque j’ai essayé de le regarder, je n’arrivais pas à comprendre pourquoi il y avait tant de jeunes femmes déshabillées dans ce dessin animé : pour un enfant soviétique, voire ce genre d’images était très inattendu. Le film, bien que sorti après l’indépendance, a été commandé par Soyouz Téléfilm de Moscou en 1988, en russe. La version ukrainienne n’existe que grâce au Volodymyr Dakhno, connu pour une série de neuf dessins animés sur trois cosaques (1967-1995), un style qui a par la suite influencé « Enéide » . D’ailleurs, plus tard, des aventures d’Oko, Gray et Tour ont trouvé la suite dans la série « Cosaques. Football » (2016) et « Cosaques. Autour du monde » (2018), créé sous la direction de Maryna Medvid.

Les années 1990 ont été les plus difficiles pour l’animation ukrainienne. À cette époque, les adaptations de contes de fées et de légendes étaient le produit d’animation le plus courant, et c’est le studio cinématographique d’État « Ukranimafilm » (1959-2016) qui était le plus actif dans ce domaine. Pendant longtemps, il n’y a pas eu de soutien de l’État dans cette industrie, mais des studios d’animations privées ont vu le jour, car la demande de publicité et d’autres productions vidéo augmentait rapidement. En 1990, « Borisfen-S » est fondée à Kyiv, qui crée l’année suivante le studio ukraino-américain « REF-Borisfen ».

Ce studio réalise notamment l’animation de la série dessins animés « Peter Pan » (chaîne Fox TV). En 1991, le studio d’animation d’Odessa est apparu et en 1992, la société cinématographique de Kharkiv « MagiKa-Film ». Dans le même temps, en raison du manque de commandes sur le marché national, les animateurs ukrainiens ont commencé à coopérer activement avec des clients étrangers, créant un certain nombre de projets exceptionnels. En particulier, l’entreprise franco-ukrainienne « Borysfen-Lutèce » devient alors l’un des leaders européens de la production d’animation, produisant jusqu’à 130-150 minutes par mois. En 1997, sa succursale a été ouverte à Kharkiv (depuis 2004 elle est devenue une société indépendante et porte le nom de « Poplavok »), qui a ensuite coopéré très activement avec le studio français « Millimages ».

Après 2000, de nombreux studios d’animation ukrainiens sont apparus et, par conséquent, des films d’animation extraordinaires ont vu le jour. Et depuis 2014, le Festival international de l’animation et des arts médiatiques LINOLEUM se tient à Kyiv, ce qui indique aussi que l’Ukraine devient progressivement un acteur à part entière dans le domaine de l’animation.

En général, l’histoire de l’animation ukrainienne indépendante peut être classiquement divisée en trois genres : les courts métrages, les séries animées et les longs métrages d’animation. Aujourd’hui nous parlerons des courts-métrages.

Cette catégorie est la plus expérimentale et la plus représentée, bien qu’elle ne soit pas toujours destinée à un public d’enfants. Ici, l’Ukraine compte plusieurs artistes de premier plan connus bien au-delà des frontières de la patrie, il n’est donc guère possible de tous les énumérer. Seuls quelques multiplicateurs soviétiques ont continué à travailler dans l’Ukraine indépendante, et après 1991, la plupart d’entre eux n’ont pas pu se trouver une place décente pour diverses raisons. Comme, par exemple, Davyd Cherkasky, le célèbre réalisateur de « Les aventures du capitaine Vrungel » et de « L’île au trésor », qui dans de nombreuses interviews datant des années 2000 s’est plaint de ne plus savoir sur quoi faire ses dessins animés.

L’une de ces exceptions est Yevhen Syvokin, qui travaille toujours, depuis les années 1960. Il a formé une toute nouvelle génération d’animateurs dans son atelier à l’Université nationale de théâtre, de cinéma et de télévision Ivan Karpenko-Kary de Kyiv. Parmi ses meilleures œuvres « La neige couvrira les routes… » (2005) se démarque particulièrement, ce film a remporté de nombreux prix dans divers festivals. Il est tourné avec la technique du sable, c’est une histoire mélancolique sur le parcours de vie d’une personne, combinée avec des rêves et des songes.

Il a également été scénariste dans la pièce de théâtre de marionnettes « La pièce pour trois acteurs » (2004) d’Oleksandre Shmygun, qui a remporté des prix dans des festivals en Bulgarie, en Slovaquie et en Espagne.Un grand rôle dans la formation de ce format a aussi été joué par le festival international de films d’animation « Krok » (depuis 2015, le festival porte le nom « KROK dans son port d’attache »). Cet événement culturel a eu lieu à une fréquence variable de 1989 à 2014, souvent il se passait sur un bateau naviguant de Kyiv à Odessa.

Il est intéressant de noter que le seul Ukrainien à avoir remporté le « Grand Prix » de ce festival était Stepan Koval (un élève de Yevgeny Syvokony). C’était en 2002, avec « Le tram numéro neuf ». C’est Koval qui est notre animateur le plus titré, car pour le court métrage mentionné ci-dessus, entre autres récompenses, il a remporté le prestigieux « Ours d’argent » au Festival du film de Berlin (2003). Koval travaille principalement dans la technique de l’animation à la pâte à modeler, et son grotesquement réaliste « Le tram numéro neuf » où toute l’Ukraine est collectée en miniature dans les transports en commun, devient à la fois une continuation des traditions soviétiques de ce type d’animation (on reconnaît les références au style d’Aleksandre Tatarsky et d’Harry Bardin) et leur réinterprétation. Parmi les autres exemples de la virtuosité de Koval, citons le conte de fées Hutsul « Les mauvaises esprits » (2005), un sketch psychologique sur les influences « Devenir dur » (2009) et un film sur le Holodomor « Le nom en poche » (2020).

Si vous mentionnez tous les éminents animateurs ukrainiens qui tournent des courts métrages, vous obtiendrez une longue liste, je ne parlerai donc que des plus célèbres. En particulier, les dessins animés d’Anatoli Lavrenyshyn, un autre élève de Syvokon, sont très intéressants. Je recommande « Le corbeau blanc » (2011) et « Le magasin des oiseaux chanteurs » (2013), où les gens et les oiseaux ont échangé leurs corps et leurs rôles dans un monde fantaisiste.

Les experts évoquent les recherches créatives d’Oleksandr Bubnov, principalement dans son film « Clinique » (1993) sur la peur des médecins, qui a été reconnue dans de nombreux festivals internationaux, et la mythologique-érotique « La dernière femme de Barbe Bleue » (1996), qui a remporté le « Grand Prix » au Festival international du film de Montréal (1997). Oleg Pedan a travaillé avec succès dans la technique de l’animation de marionnettes, créant de petits chefs-d’œuvre tels que « Personnalité brillante » (2001), « Maladroit » (2016) et « Cirque sur un fil » (2019).

Les vidéoclips sont un type distinct de courts métrages d’animation qui utilisent différentes techniques d’animation. C’est « La Ballade de la princesse » de Ruslana (1998) qui est considéré comme le premier vidéoclip animé ukrainien, où la réalisatrice Olena Kasavina a combiné l’animation et des images de la chanteuse. Une technique similaire est utilisée dans le clip « La Lune » (1999) de Natalia Mogilevskaya, réalisé par Maxim Papernik. Le premier clip vidéo entièrement animé est « Il n’y avait pas des problèmes » (2002) d’un groupe musicale « Ot Vinta », réalisé par Yuriy Zhuravel et Valeriy Tsvenyuk.

En général, les courts métrages d’animation ukrainiens sont le genre le plus connu de la production artistique ukrainienne dans le monde. Grâce à eux, les animateurs remportent des prix dans les festivals internationaux depuis les années 1990 et ont pu rechercher de nouvelles formes et essayer de nouvelles techniques, qu’ils mettent ensuite en œuvre dans des genres plus vastes. Certes, nous ne pouvons pas encore rivaliser avec les États-Unis ou le Japon en matière de longs métrages d’animation, mais nous avons déjà développé plusieurs projets prometteurs dans le court métrage, ainsi que dans celui des séries animées, et nous parvenons assez bien à les concurrencer, du moins sur le marché européen.