Olena Davlikanova Washington

Zelensky présente son plan de survie pour l’Ukraine

Politique
16 octobre 2024, 21:23

Le président Ukrainien doit se rendre au Conseil européen ce jeudi 17 octobre, à Bruxelles, pour y défendre les propositions contenues dans son « plan pour la victoire ». Quelques heures avant, il en a dévoilé les grandes lignes, à Kyiv, lors d’un discours devant le parlement ukrainien.

Après plusieurs semaines de démarches diplomatiques discrètes, le président Volodymyr Zelensky a présenté son « plan de la victoire » sous la coupole du parlement ukrainien, ce mercredi 16 octobre. Le document se compose de cinq points, de trois annexes secrètes et contient des demandes excessives.

Toutefois, si ce plan n’est pas mis en œuvre, le tragique destin qu’à connu l’État ukrainien au XXe siècle risque de se reproduire. Comme l ‘a déclaré le célèbre journaliste ukrainien Vitaly Portnikov, « l’existence de l’Ukraine en tant qu’État démocratique indépendant n’est pas garantie ».

Les Ukrainiens ne sont pas les seuls à ne pas aimer les pensées désagréables. Mais aujourd’hui, les intellectuels occidentaux doivent aussi renoncer à leurs illusions au sujet de la démocratisation qui serait irréversible, en raison de ses avantages évidents sur les dictatures. Ils doivent cesser de croire aux bénéfices de la mondialisation et aux liens économiques qui garantissent la paix et qui devraient protéger l’Europe contre une nouvelle guerre.

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Ce plan pour la victoire est déjà critiqué pour son caractère irréaliste. Il l’est aussi pour l’absence d’une mention des changements internes que doit accomplir l’Ukraine. Mais il ressemble surtout à un acte de résistance désespérée contre un ennemi plus imposant, plein de forces et de motivation.

Le plan est en effet axé sur ce que les partenaires de l’Ukraine peuvent faire. Les exigences de réforme du pays sont connues depuis longtemps et constituent une condition préalable à l’adhésion à l’UE et à l’OTAN. En revanche, la seule chance de résister à un ennemi qui ne fait qu’accroître sa puissance, pour les Ukrainiens, est que les alliés répondent à leurs attentes « exagérées ».

Selon les services de renseignement allemands, la Russie se prépare à une confrontation directe avec l’OTAN d’ici à 2030. La dissuasion par la force est le seul outil éprouvé pour décourager Moscou. Essayons alors d’interpréter la partie publique du plan qui, selon le président, mettra fin à la guerre au plus tard l’année prochaine s’il est mis en œuvre dans les délais prévus.

Le premier point, géopolitique, consiste à inviter l’Ukraine à rejoindre l’OTAN. Ce point ne nécessite qu’une détermination politique à faire une nouvelle promesse, sans aucune précision sur le calendrier d’adhésion. D’une part, cela ne comporte donc aucun danger pour nos partenaires. Mais d’autre part, cela n’a pas de conséquences pratiques pour l’Ukraine, qui a commencé à coopérer avec l’OTAN en 1992, mais a dû, depuis le début de la guerre, se contenter de déclarations sur le carractère « irréversible de son chemin vers l’Alliance ».

Cependant, l’invitation réelle, et non la promesse d’invitation, serait une victoire diplomatique et stratégique. L’Ukraine a essayé de « vendre » cette idée au président Biden. Il lui a dit que cela ferait partie de son héritage à la fin de sa carrière politique. Cependant, il semble que ni l’actuel, ni le futur président américain ne prendront cette responsabilité, celle de monter d’un cran dans la confrontation avec une puissance nucléaire, en tout cas pas avant qu’elle soit suffisamment affaiblie.

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C’est un peu le scénario pour l’octroi du statut de candidat à l’Union européenne qui se répète. Le haut-représentant de l’UE, Josep Borrell, a déclaré qu’avant le début de la guerre russe à grande échelle, l’octroi à l’Ukraine du statut de candidat et la perspective d’une adhésion à l’UE étaient « impensables ». Et ce, huit ans après la révolution de la dignité et les réformes menées ensuite.

Or, les Ukrainiens ont besoin de ces mesures symboliques. Elles permettent de justifier les efforts demandés pour mettre le pays sur la voie de l’adhésion à ces alliances. D’ailleurs, l’opinion publique des pays partenaires est favorable à cette décision. Selon une enquête menée auprès de la population des États-Unis, de l’Italie, de l’Allemagne, des Pays-Bas et de la France avant le sommet de l’OTAN à Vilnius, l’idée d’une invitation à devenir membre de l’OTAN dans un avenir proche a été soutenue par une moyenne de plus de 50 % des personnes interrogées. Mais il y a une réserve : la plupart d’entre eux pensent qu’une invitation n’est appropriée que si l’adhésion est accordée après la fin de la guerre.

Le deuxième point concerne la défense. L’Ukraine demande des armements sophistiqués. Maximaliste, cette demande risque de trouver aussi peu de soutien à l’Ouest que la précédente. Il ne fait aucun doute que le renforcement des capacités de défense de l’Ukraine est une priorité. Mais l’appel à faire la guerre sur le territoire russe, pour que les Russes « sentent ce qu’est la guerre » et réalisent « la profondeur du déclin moral de leur pays » risque d’être au mieux ignoré, malgré la réaction indulgente devant l’opération dans la région de Koursk. Celle-ci n’a d’ailleurs pas conduit à un changement tangible. Elle n’a pas non plus conduit nos alliés à revenir au slogan qu’ils employaient il y a quelques mois : « cette guerre peut être gagnée ».

Avec cette attaque sur le sol russe, l’Ukraine espère éviter la création de zones tampons sur son territoire. Mais cette argumentation ne semble pas assez convaincante, compte tenu du pourcentage de son territoire déjà occupé. Cependant, la destruction du potentiel offensif de la Russie sur le territoire de l’Ukraine est dans l’intérêt direct de l’OTAN, en particulier des pays de son flanc oriental, qui ne se font pas d’illusions sur les conséquences pour eux d’une défaite éventuelle de l’Ukraine.

Il en va de même pour la demande qui suit : le renforcement de la protection de l’Ukraine par des systèmes de défense aérienne, qui font toujours défaut, ainsi que par des munitions. Le « trou d’air » dans les approvisionnements est une conséquence directe du manque de volonté politique de ceux qui pourraient fournir ces systèmes. En conséquence, la Russie est en mesure de continuer à détruire les infrastructures critiques de l’Ukraine. Le plan de victoire prévoit des opérations de défense communes et un bouclier aérien commun.

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Il s’agit également d’étendre les opérations en utilisant des armes ukrainiennes, très probablement sur le territoire russe, et de lever les restrictions sur l’utilisation des armes occidentales. Il est également question d’un accès plus large aux renseignements occidentaux par satellite. Il faut bien admettre que la campagne visant à autoriser des frappes en profondeur à l’intérieur de la Russie était vouée à l’échec, en pleine année électorale américaine.

Entre-temps, des rumeurs font état de pressions exercées par nos partenaires occidentaux pour abaisser l’âge de la mobilisation en Ukraine à 18 ans. Le débat ressemble à celui de la poule et de l’œuf : faut-il fournir davantage d’armes face aux problèmes de mobilisation, ou le manque d’armes est-il l’un des facteurs qui doivent guider le niveau de la mobilisation ?

Le troisième point — fournir à l’Ukraine des moyens de dissuasion – comprend le déploiement d’un ensemble complet d’armes non nucléaire en Ukraine. Il est conçu pour réduire les choix de la Russie, soit accepter un processus équitable vers une fin de la guerre, soit subir des mesures de coercition. Et nous parlons de la fameuse « forteresse indestructible » qu’est la Russie. Alors, la mise en œuvre de ce point nécessite encore plus de détermination que le premier.

Le quatrième point peut inquiéter les Ukrainiens eux-mêmes. Il s’agit d’une stratégie visant à attirer des capitaux et à accroître les échanges commerciaux, afin que les élites occidentales aient davantage intérêt à la défense du pays. L’Ukraine dispose en effet d’importantes réserves de ressources naturelles stratégiques. Leur protection pourrait renforcer l’Occident, dans le contexte de concurrence mondiale accrue pour se fournir en énergie et nourriture.

L’Ukraine est prête à proposer un accord spécial sur la protection conjointe des ressources, des investissements et de leur utilisation future. Les termes d’un tel accord ne sont pas connus, mais il ne sera peut-être pas facile d’obtenir des conditions équitables en période de menace existentielle. D’une part, dans le cas où l’Ukraine conclurait un accord « injuste », visant à exploiter le pays pour avoir accès à ses ressources, nous retomberions dans un piège connu, celui de devenir à nouveau une colonie. D’autre part, l’Ukraine a besoin d’investissements ici et maintenant, alors que sa notation de crédit est au plus bas.

Ce point comprend également l’augmentation de la pression économique sur la Russie par le biais de restrictions continues sur les exportations et les prix des importations d’énergie, c’est-à-dire une dissuasion économique.

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Le dernier point, le cinquième, concerne la période d’après-guerre. Il s’agit de remplacer une partie du contingent américain en Europe par des unités ukrainiennes expérimentées. En effet, il pourrait s’agir d’une proposition rentable pour les États-Unis, si l’évaluation prouve qu’il n’y a pas de risque. L’expérience précieuse des militaires ukrainiens, formés à l’utilisation des armes occidentales et à l’interaction avec les troupes de l’OTAN, pourrait être utilisée avec succès pour défendre l’Alliance.

De cette manière, l’Ukraine pourra peut-être aussi faire face à d’éventuelles tensions internes dans le long processus de réinsertion des anciens combattants et de prise en charge de leurs besoins.
L’expérience a montré que la politique hésitante de l’Occident à l’égard de l’Ukraine n’a qu’un seul résultat : sa destruction systématique par la Russie. Le plan de victoire est en fait un plan pour la survie du pays.

Mais la réaction des dirigeants occidentaux informés du document, y compris ceux des États-Unis, du Royaume-Uni, de la France, de l’Allemagne et de l’Italie, a été plutôt tiède. Selon le président Zelensky, nos partenaires ont pris les propositions « au pied de la lettre ». La situation pourrait être clarifiée lors de la prochaine réunion du groupe Ramstein, qui comprend environ 50 partenaires de l’Ukraine. Cette réunion a été reportée et doit se tenir ce vendredi 18 octobre.

D’une manière générale, ce plan est présenté comme une feuille de route pour mettre fin à la guerre l’année prochaine, parvenir à une paix juste et durable et rétablir un ordre mondial fondé sur des règles. Et surtout, pour limiter les possibilités de recolonisation de l’Ukraine par la Russie. Comme l’a dit le président Volodymyr Zelensky, si la Russie n’est pas capable de nous laisser partir naturellement, alors nous devons nous séparer par la force.