Alla Lazaréva Rédactrice en chef adjointe, correspondente à Paris du journal Tyzhden

Le monde est-il prêt pour une victoire de l’Ukraine ?

Politique
11 septembre 2024, 14:25

Depuis le début de la guerre, la question ukrainienne est devenu un sujet de politique intérieure dans bon nombre de pays qui aident l’Ukraine en lui fournissant des armes, en lui envoyant de l’aide humanitaire et en accueillant des réfugiés. Mais ces pays sont-ils prêts à faire face à une éventuelle défaite russe ? Les récentes déclarations d’hommes politiques allemands et américains jettent le doute sur ce point.

« Souhaitez-vous que l’Ukraine gagne ? » Donald Trump a été interrogé à deux reprises sur ce sujet lors de son débat avec la candidate démocrate à la présidence des Etats-Unis Kamala Harris, le 10 septembre. « Je veux que la guerre se termine », a-t-il éludé. Même si la candidate démocrate s’est montrée beaucoup plus favorable à l’Ukraine, cela ne signifie pas que Washington ait la volonté politique de faire en sorte que Moscou soit réellement vaincu.

L’ancien commandant de l’armée américaine en Europe, le général à la retraite Ben Hodges, l’a dit. Il a déclaré lors d’une interview après la réunion du groupe de contact à Reimstein : « Les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne – nous tous, bien que nous ayons fourni beaucoup d’efforts, étions collectivement en train de gagner du temps. Il n’y avait pas le sentiment d’urgence nécessaire pour que l’Ukraine soit en mesure de vaincre la Russie et de se défendre… Je pense que c’est notre faute. Je pense que c’est le reflet du fait que l’administration américaine, le gouvernement allemand et le gouvernement britannique ne se sont pas engagés à aider l’Ukraine à gagner ».

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Ces jours-ci, le chancelier allemand Olaf Scholz a déclaré qu’« il est temps de parler de la fin de la guerre en Ukraine ». Selon lui, « une nouvelle conférence de paix avec la participation de la Russie s’impose ». Il n’en a pas fallu davantage pour que la presse spécule sur de « nouveaux accords de Minsk » qui seraient préparés par Olaf Scholz. Même si la plupart des commentateurs pensent que M. Scholz a commencé à parler de négociations pour des raisons internes, notamment l’échec de son parti aux élections en Saxe et en Thuringe, il est symptomatique que le dirigeant d’un État européen influent évoque ainsi une fin de conflit, avant de parler d’une victoire.

Théoriquement, si tous les pays occidentaux développés mettaient leurs ressources en commun et accordaient enfin à l’Ukraine l’autorisation de frapper des cibles militaires russes à longue distance, la situation sur le front pourrait changer de manière significative. Mais il s’agit là de théorie. Dans la pratique, Kyiv reçoit une aide qui lui permet plus ou moins de résister, pas de l’emporter en affaiblissant la Russie.

En revanche, la possibilité de laisser aux mains des Russes les territoires occupés est régulièrement évoquée dans la presse italienne, allemande et française. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky parle d’un nouveau forum de paix impliquant l’agresseur et le plus grand nombre possible d’États participants. « Nous nous efforçons de faire en sorte que le nouveau forum soit fondé sur les dix points du plan de paix du président Zelensky », a expliqué le ministère ukrainien des affaires étrangères à notre journal. « La Russie ne comprend que le langage de la force ».

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Et c’est là que les questions commencent. Non seulement Scholz, mais aussi d’autres dirigeants du monde occidental disent qu’ils « voient des signes montrant que Moscou veut négocier ». Alors, il s’agit de négociations sur quelle base ? La « formule » de Zelensky prévoit la restauration de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, le retrait des troupes russes et une cessation complète des hostilités. La Russie ne montre aucun signe permettant de penser qu’elle est prête à s’y conformer. Au contraire, le pilonnage des installations énergétiques ukrainiennes s’est intensifié, de nouvelles armes arrivent d’Iran et l’armée russe grignote du terrain à l’Est de l’Ukraine, kilomètre après kilomètre… Ces « conditions préalables » rappellent davantage la situation qui prévalait avant la conclusion de Minsk-1 et Minsk-2.

Selon les diplomates ukrainiens, le « format de Minsk » serait catégoriquement inacceptable pour Kyiv. « Les accords de Minsk ont permis aux Russes de se renforcer pour lancer une attaque de grande envergure », relève un diplomate ukrainien répondant à nos questions. Quand le deuxième forum de paix pourrait-il avoir lieu ? Aucune date n’a encore été annoncée.

On nous dit souvent que « toutes les guerres se terminent par des négociations », mais est-ce vrai ? La Première Guerre mondiale s’est terminée par la Conférence de paix de Paris, après que l’Allemagne ait demandé un arrêt des combats. Les Allemands ont alors été punis par la perte de territoires en Afrique et on ne leur a pas demandé leur accord. Il ne s’agissait pas de « négociations » ; les vainqueurs ont dicté leurs conditions aux vaincus. Lors de la seconde guerre mondiale, l’Allemagne a capitulé et il n’a pas non plus été question de « négociations » avec les nazis. Même si la guerre en Ukraine reste locale d’un point de vue géopolitique, le manque de vision stratégique de nos partenaires occidentaux est évidente.

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Le nouveau ministre des affaires étrangères, Andriy Sybiha, aura probablement du mal à convaincre ses alliés que le monde ne sera plus jamais le même que ce qu’il était avant février 2022. Que la rhétorique de « Minsk » est désespérément obsolète. Que les nouveaux défis exigent de nouvelles approches. Que la victoire de l’Ukraine et la défaite de la Russie seraient bénéfiques, non seulement pour Kyiv, mais aussi pour tout le monde. Parce que, si la démocratie ne parvient pas à se défendre et à défendre ses principes, les Etats totalitaires en profiteront immédiatement. Et une autre réalité, proche du monde d’Orwell, verra le jour.