Alla Lazaréva Rédactrice en chef adjointe, correspondente à Paris du journal Tyzhden

La guerre en Géorgie et la responsabilité française

Politique
9 août 2024, 09:59

Seize ans exactement après l’invasion de la Géorgie par la Russie, peu de leçons ont été tirées. A la lumière des évènements qui ont suivi, on peut toutefois dire que le plan de paix pour cette région, négocié par Sarkozy, a été un échec.

Il y a 16 ans, la Russie a attaqué la Géorgie. Le résultat de cette courte guerre a été l’appropriation par Moscou de 20 % du territoire géorgien, non sans l’aide de l’ancien président français, Nicolas Sarkozy. Ses actions ont alors été commentées comme « la mise en œuvre réussie d’un plan de paix ». Mais en réalité, personne n’a cherché à construire une paix stable dans la région. Avec le recul et en prenant en compte la guerre en Ukraine, on peut plutôt dire que l’agresseur n’a pas été pacifié. Au contraire, Moscou, ivre de son impunité, s’est mise à concevoir de nouveaux plans de conquêtes. En ce sens, l’agression de la Géorgie apparaît comme une répétition générale de la guerre contre l’Ukraine.

A l’époque, en août 2008, c’était la France qui présidait l’Union européenne. Le poste de haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité n’avait pas encore été créé. Nicolas Sarkozy était de facto responsable de la réaction de l’UE à l’apparition d’équipements militaires russes à Tskhinvali, la capitale d’Ossétie du sud. « Tout le monde à Bruxelles était en vacances. Nous devions tout faire nous-mêmes, il n’y avait rien à coordonner avec qui que ce soit », s’est souvenu plus tard Bernard Kouchner, alors ministre français des Affaires étrangères, lors d’une conférence de presse. « L’initiative française de maintien de la paix était une sorte d’improvisation audacieuse », a-t-il déclaré.

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Les analystes politiques débattent encore pour savoir dans quelle mesure le président géorgien de l’époque, Mikheil Saakashvili, s’est laissé provoquer. Le 8 août, la propagande russe a commencé à promouvoir activement l’idée selon laquelle l’armée régulière géorgienne avait attaqué les Ossètes, qui se seraient alors tournés vers les Russes pour obtenir leur protection. La technique consistant à dire « Poutine, aide-nous ! » a si bien fonctionné que, par la suite, de nombreuses personnes instruites et intelligentes ont cru que la petite Géorgie, par un coup de tête, avait effectivement attaqué la grande Russie et que la Russie devait se défendre.

Pendant les deux premiers jours du conflit armé, les médias français ont généreusement cité des porte-parole russes et pro-russes, jusqu’à ce que des envoyés spéciaux commencent à se rendre compte de la situation sur place. L’ancien ministre français des Affaires étrangères et vieil ami de Moscou, Hubert Védrine, a été particulièrement écouté. Comme il le fait toujours aujourd’hui, il a critiqué la politique occidentale « irréaliste » à l’égard de la Russie et a appelé à une communication plus respectueuse avec le Kremlin.

Le fondateur de l’ONG Médecins sans frontières, Bernard Kouchner, alors ministre français des affaires étrangères, n’était pas un sympathisant de Moscou. Cependant, à son arrivée à Tbilissi, alors que des brigades de chars russes se trouvaient déjà sur le territoire géorgien, il s’est mis à convaincre Saakashvili qu’il n’y avait « pas d’alternative au plan de paix de Sarkozy ». Dans le même temps, Moscou est allé bien au-delà de la « défense » de l’Ossétie du Sud. Les russes ont bombardé des villes, des ports et des installations militaires géorgiens. Les combats se sont étendus à l’Abkhazie.

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« La situation en Ossétie du Sud a été planifiée par le Kremlin depuis le début des années 1990 », estime Souliko Palavandashvili, une professeure à la retraite. « Après le référendum d’indépendance truqué de 2006, qui n’a été reconnu par aucun pays du monde, Poutine s’est mis à distribuer des passeports russes aux Ossètes ». Six ans plus tard, en 2014, des actions similaires ont été accomplies dans le Donbass.

Le grand défaut du « plan de paix Sarkozy » était le fait qu’il n’avait envisagé aucune sanction, même symbolique, contre le Kremlin. La Russie a réussi à se déguiser en gardien de la paix, en occultant son rôle d’agresseur. Un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU offre à Moscou une impunité. « À mon avis, la guerre de 2008, qui a commencé par le bombardement de villages géorgiens en Ossétie du Sud puis en Abkhazie, était une provocation planifiée par la Russie en réponse aux projet de Saakashvili d’organiser l’adhésion de la Géorgie à l’OTAN », estime Mme Palavandashvili.

Un des journalistes français qui a couvert сette guerre dit que Saakashvili a décidé d’agir à la suite de plusieurs appels téléphoniques de hauts fonctionnaires américains, qui auraient été « mal compris » par lui. Une façon parmi d’autres d’expliquer les actions de l’armée géorgienne. Bien qu’elles n’aient pas duré longtemps. Malgré le fait que le 8 août, le général Kurashvili ait annoncé que les troupes géorgiennes avaient pris le contrôle de Tskhinvali et d’une grande partie de la région, la Géorgie a unilatéralement mis fin à l’offensive dès le lendemain. Entretemps, un convoi de matériel militaire russe était entré en Ossétie du Sud. « Par miracle », il se trouvait au bon endroit, à l’entrée du tunnel de Roki, qui relie l’Ossétie du Nord à l’Ossétie du Sud.

Le plan de Sarkozy, que Tbilissi a accepté sous la pression, prévoyait un cessez-le-feu unilatéral, le retrait des troupes géorgiennes de Tskhinvali, le libre accès de l’« aide humanitaire » russe à la république non reconnue, le retrait des troupes russes de la région et l’ouverture de discussions internationales sur le nouveau statut de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. Tbilissi a rempli les trois premiers points presque immédiatement. Nous attendons toujours la mise en œuvre des deux derniers. Le 26 août, la Russie a rapidement reconnu l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud et n’a jamais bougé ses troupes de la région.

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Dès les premiers jours, les journalistes géorgiens ont surnommé le plan Sarkozy « le plan Medvedev ». Puisque Moscou ne souhaitait pas communiquer directement avec Saakashvili, ce sont les Français qui se sont chargés de la négociation. Aujourd’hui, nous pouvons affirmer que la partie a été gagnée par la propagande russe. On peut se demander si Tbilissi avait une chance, face aux aux provocations de Moscou. Peut-être que oui. Cependant, les chars russes à la frontière géorgienne se sont trouvés là au bon moment. Drôle de coïncidence.

Nicolas Sarkozy avait l’air très content de lui dans le rôle d’artisan de la paix. Dans de nombreuses interviews enregistrées après la fin du processus de négociation, il a vanté « l’efficacité de la voie politique pour résoudre les conflits », a condamné « l’impasse de la confrontation armée » et s’est réjouit d’avoir « contribué à arrêter une nouvelle guerre froide qui avait failli commencer en Europe »… Mais venons-en au cœur du sujet. La médiation diplomatique française, même si elle a été menée sous les auspices et au nom de l’UE, a eu pour résultat de légitimer une nouvelle prise de possession de territoire par la Russie.

C’est après la guerre en Géorgie que Moscou s’est intéressée aux navires de guerre français de classe Mistral, à la pointe de la technologie. « Avec de telles armes, nous serions à Tbilissi en deux heures, pas en deux jours », disait un haut fonctionnaire russe. C’est après la guerre avec la Géorgie que la Russie a commencé à moderniser son complexe militaro-technique et à tester de nouveaux types d’armes, d’abord en Syrie, puis en Ukraine. Tant que ses plans sont couronnés de succès, le Kremlin n’a aucune raison de cesser d’encourager toutes sortes de séparatismes pour affaiblir ceux qu’il considère comme des rivaux et des opposants. Les ennemis de Moscou ne sont pas seulement l’Ukraine, la Géorgie, les États baltes et d’autres anciens territoires soviétiques. Les démocraties occidentales sont également dans le collimateur, même si elles ne s’en rendent pas compte.